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« Voilà : Aucun organisme ne peut vivre dans ses propres déchets ! Pour n’importe quelle forme de vie, ses propres déchets sont un poison ! »
« Mais… »
« Ecoutez. Le dioxyde de carbone est un déchet du corps humain. Kyra ne peut pas s’adapter à une atmosphère de dioxyde de carbone ! »
Bach le regarda, interdit. « Par le ciel ! » cria-t-il. « Mais même si vous avez raison, comment… »
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« Attendez une minute. Vous pouvez vous procurer une ou deux bouteilles de gaz carbonique au Grand Mercy. Pouvez-vous trouver un moyen d’injecter le gaz dans sa chambre ? »
« Eh bien, c’est une vieille maison. Il y a un trou dans le mur qui sépare sa chambre de la mienne, là où passe le tuyau du radiateur. Il n’est pas bouché ; nous pourrions y faire passer un tube de caoutchouc. »
« Très bien ! »
« Mais la fenêtre ! Sa fenêtre sera ouverte. »
« Ne vous inquiétez pas de ça. Veillez juste à ce qu’elle coulisse bien et qu’on puisse la fermer facilement, c’est tout. »
« Mais même si ça marche… Dan, vous ne parlez pas de la tuer ? »
Il secoua la tête. « J’en serais… incapable » lâcha-t-il dans un souffle. « Mais une fois qu’elle sera à notre merci, quand elle sera maîtrisée – si elle l’est jamais – vous l’opérerez. Cette opération de la glande pinéale dont vous avez eu l’idée. Puisse le ciel me pardonner ! »
Scott souffrit mille morts ce soir-là. Kyra, s’il était possible, était plus belle que jamais, et pour la première fois elle semblait même s’appliquer à être séduisante. Sa conversation était tout simplement brillante ; elle était étincelante, et plus le temps passait, plus Scott était fasciné et pensait que la trahison qu’il avait combinée était une monstruosité. Cela semblait presque un blasphème de faire usage de violence contre un être dont l’apparence respirait à ce point la pureté, l’innocence et la sainteté.
« Mais elle n’est pas totalement humaine ! » se disait-il. « Elle n’est pas un ange, mais un démon femelle, comment les appelle-t-on ? Un succube ! »
Malgré lui, quand Kyra finit par bailler voluptueusement et poser ses pieds délicats sur le sol pour prendre congé, il lui demanda de rester encore quelques instants.
« Mais il est encore tôt » dit-il, « et demain vous partez. »
« Je reviendrai, Dan. Ce n’est pas la fin pour nous. »
« Je l’espère, murmura-t-il, misérable, en regardant la porte de sa chambre qui se refermait.
Il regarda Bach. Le vieil homme, après un instant de silence, chuchota : « Elle va certainement dormir presque tout de suite. C’est cela aussi, l’adaptabilité. »
Pendant un moment de silence tendu, il regarda la fine ligne de lumière en bas de la porte fermée. Scott sursauta violemment quand, après un bref moment, il vit passer l’ombre de Kyra avant que la lumière ne s’éteigne.
« Allez » dit-il sombrement. « Finissons-en. »
Il suivit Bach dans la pièce voisine. Là se trouvaient, froids et métalliques, les cylindres gris qui contenaient le gaz comprimé. Il regarda le vieil homme y raccorder un long tuyau, puis faire passer celui-ci à travers l’ouverture, et bourrer l’espace restant avec du coton humide.
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Puis Scott s’attela à ses propres tâches. Il se rendit en silence dans la bibliothèque, puis avec la plus grande discrétion, il essaya d’ouvrir la porte de la chambre de Kyra ; comme il s’y attendait, elle était ouverte, car la jeune femme avait une confiance absolue en sa propre invulnérabilité.
Pendant un long moment, il resta à contempler la masse brillante de cheveux argentés sur l’oreiller, puis, avec force précautions, il posa une petite bougie sur le fauteuil près de la fenêtre, afin qu’elle se trouve à peu près au niveau du lit. Il l’alluma avec son briquet, ôta la clé de la serrure, et sortit.
Il referma la porte de l’extérieur, et puis bourra les interstices avec du coton. C’était loin d’être totalement étanche à l’air, mais cela importait peu, songeait-il, car il fallait bien que l’atmosphère qui allait être remplacée puisse s’échapper.
Il retourna dans la chambre de Bach. « Laissez-moi une minute » murmura-t-il. « Puis ouvrez la vanne. »
Il se dirigea vers une fenêtre. A l’extérieur, il y avait un rebord de pierre de deux pieds de large, et il monta sur ce précaire perchoir. Il était visible depuis la rue en contrebas, mais on avait peu de chances de le remarquer, car il se trouvait juste au-dessus de l’espace qui séparait la maison de Bach de celle de son voisin. Il pria pour ne pas attirer l’attention.
Il progressa avec précaution le long du rebord. Les deux fenêtres de la chambre de Kyra étaient grandes ouvertes, mais Bach avait bien travaillé : Scott parvint à les baisser sans faire le moindre bruit, puis il se colla à la vitre pour observer l’intérieur.
Dans la pièce luisait vaillamment la flamme de sa petite bougie. Tout à côté de lui, à portée de main s’il n’y avait eu de vitre, Kyra était là, tout à fait visible dans la pénombre. Elle était étendue sur le dos, un bras au-dessus de son incroyable chevelure, et son corps n’était recouvert que d’un drap. Il pouvait la voir respirer, tranquille, calme et en paix.
Après un temps qui lui parut très long, il lui sembla qu’il pouvait entendre le léger sifflement du gaz depuis la chambre de Bach, mais il savait que ce devait être une illusion. Dans la chambre, il ne constatait rien de particulier : la merveilleuse Kyra dormait, de la même façon qu’elle faisait toute chose : simplement, paisiblement, et en toute confiance.
Puis il y eut un signe. La flamme de la petite bougie, qui brûlait toute droite dans l’air immobile, se mit soudainement à vaciller. Il la regarda attentivement, certain maintenant que sa couleur avait changé. A nouveau, elle vacilla, puis devint plus vive un moment, et mourut. Une étincelle rouge brilla sur la mèche pendant un bref instant, et ce fut fini.
La flamme de la bougie avait été étouffée. Cela impliquait, à la température de la pièce, une concentration de dioxyde de carbone de huit ou dix pour cent – bien trop élevée pour permettre à la vie ordinaire de se maintenir. Et pourtant, Kyra était en vie. A part le fait que sa respiration semblait s’être alourdie, elle ne montrait pas le moindre signe d’inconfort. Elle s’était adaptée au manque d’oxygène.
Mais il devait y avoir des limites à ses pouvoirs. Il écarquilla les yeux pour mieux voir dans l’obscurité. Sans nul doute, sa respiration s’accélérait. Il en était certain maintenant, des halètements convulsifs
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soulevaient sa poitrine, et quelque part dans son esprit affolé, le scientifique qui était en lui prit note de ce fait.
« Respiration de Cheyne-Stokes » murmura-t-il. Dans un moment, la violence de cette réaction la réveillerait.
Et ce fut le cas. Soudain, les yeux argentés s’ouvrirent. Elle porta la main à sa bouche, puis à sa gorge. Réalisant immédiatement qu’elle était en danger, elle bondit sur ses pieds, et il aperçut ses jambes nues tandis qu’elle sortait du lit. Mais elle devait être confuse, car elle se tourna d’abord en direction de la porte.
Il remarqua qu’elle se mouvait avec quelque hésitation. Elle tourna la poigné de la porte, puis la tira frénétiquement ; alors elle se retourna et se mit à tituber d’une démarche chancelante à travers l’air vicié, et parvint à atteindre la fenêtre. Leurs visages étaient très proches, mais il doutait qu’elle pût le voir, car les yeux de la jeune femme étaient écarquillés et montraient de la peur, et sa bouche et sa gorge révélaient la lutte violente à laquelle elle se livrait pour respirer. Elle leva la main dans l’intention de briser la vitre ; elle parvint à porter un coup, mais faiblement ; la fenêtre vibra, mais sans se briser.
A nouveau elle leva le bras, mais ce coup-là ne fut jamais porté. Pendant un moment elle resta immobile et chancelante. Alors ses yeux magnifiques se voilèrent, puis finalement se fermèrent ; elle tomba à genoux, et finalement s’abattit mollement sur le sol.
Scott attendit durant un long moment d’angoisse, puis il souleva la fenêtre. Le soudain afflux d’air mortel le fit chanceler dangereusement, dans la précaire position où il se trouvait, et il dut se cramponner à l’encadrement de la fenêtre. Alors, grâce à la faible brise qui circulait entre les bâtiments, il parvint à s’éclaircir les idées.
Il entra avec précaution dans la chambre. Il étouffait, mais en restant à côté de la fenêtre ouverte, il parvenait à respirer. Il tapa deux fois contre le mur qui le séparait de Bach.
Le sifflement du gaz cessa. Il prit le corps de Kyra dans ses bras, attendit jusqu’à ce qu’il entendît tourner la clé, puis se précipita à travers la chambre jusqu’à la bibliothèque.
Bach regardait fixement, comme fasciné, les traits purs de la jeune femme. « Une déesse vaincue », dit-il. « Il y a quelque chose de terrible dans la part que nous avons pris à tout cela. »
« Dépêchons-nous ! » lui dit sèchement Scott. « Elle est inconsciente, pas anesthésiée. Dieu seul sait à quelle vitesse elle va pouvoir s’adapter. »
Mais elle n’avait toujours pas repris ses esprits lorsque Scott la déposa sur la table d’opération dans le bureau de Bach, et passa les sangles autour de ses bras, de son corps, et de ses minces jambes nues. Son regard tomba sur le visage tranquille et pâle de la jeune femme, et il sentit son coeur se contracter de douleur en voyant la brillante chevelure prendre une teinte légèrement plus sombre, en réaction à la vive lumière, riche en rayons actiniques, qui l’éclairait.
« Vous aviez raison » lui dit-il, sachant qu’elle ne pouvait l’entendre. « Si j’avais eu autant de courage que vous, il n’est rien que nous n’eussions pu réaliser ensemble. »
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Bach lui demanda soudain : « Nasal ? Ou dois-je la trépaner ? »
« Nasal. »
« Mais j’aimerais avoir l’occasion d’examiner sa glande pinéale. C’est un cas unique et … »
« Nasal ! » rugit Scott. « Je ne veux pas qu’elle ait de cicatrice ! »
Bach soupira et se mit au travail. Scott, malgré sa longue expérience à l’hôpital, réalisa qu’il était incapable d’assister à l’opération. Il tendait au vieil homme les instruments dont il avait besoin, mais son regard évitait de se poser sur le visage charmant et immobile de la jeune femme.
« Bien ! » dit enfin Bach. « C’est fait. » Et pour la première fois, il eut le temps d’examiner les traits de Kyra.
Il sursauta vivement. Disparue, l’exquise couleur aluminium de la chevelure, remplacée par la toison filasse, noire et grasse de la fille de l’hôpital ! Il souleva sa paupière : là non plus, plus d’argent, mais seulement un bleu pâle. De toute cette beauté, il ne restait plus que… que restait-il ? Une trace, peut-être, une trace de la pureté de madone de son pâle visage, dans le modelé de ses traits. Mais la flamme s’était éteinte : elle n’était plus une déesse, mais une mortelle – un être humain. La femme aux pouvoirs extraordinaires n’était plus qu’une fille qui souffrait.
Le cri qu’il s’apprêtait à pousser fut arrêté par la voix de Scott.
« Comme elle est belle ! » murmura-t-il. Bach le regarda longuement. Il réalisa soudain que Scott ne la voyait pas telle qu’elle était, mais telle qu’elle avait été. A ses yeux, teintés d’amour, elle était toujours Kyra la Magnifique.