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BBernard Mora
Participant

    Il fallait bien que vînt la Noêl et votre intercession, cher divin Sautillant, pour que j’ose affronter (tempérant mais non abstinent) les vapeurs anisées d’un bar marseillais, au saut d’une navette aixoise.
    Votre portrait de mon père est fidèle et gratifiant pour sa descendance – ma soeur, vous lisant à mes côtés, prétend que le flegme n’était pas sa vertu cardinale, mais le “moi” de l’homme et celui de son oeuvre n’est pas toujours le même… je peux en témoigner, ayant bénéficié moi-même de son enseignement – que je perturbais de mes bavardages -. Votre mémoire est en défaut sur un seul point: il était plutôt grand pour l’époque (1,77m). Quant à sa figure émaciée, un séjour de cinq années dans un camp de représailles pour prisonniers évadés, en Ukraine (on disait Pologne alors) n’avait pas contribué à l’épaissir. Je l’ai vu jusqu’à ses derniers jours, les mains collées à la chaleur d’un poêle comme pour en extirper le froid impénitent de la petite Russie.
    J’ai découvert tardivement qu’il était, de fait, un littéraire contrarié ( le machisme ibère ne l’ayant pas épargné, il aurait jugé dévirilisant de faire des lettres) mais j’ai tenu sur ce point à le venger, supportant mal que les matières scientifiques s’immiscent dans mes rêveries privées, ce dont j’ai payé le prix fort. En dehors du “Jardinier provençal” qu’il tenait à son chevet ( le “Reboul” le laissait glabre, tout cuisinier émérite qu’il fût, n’ayant d’égard en matière culinaire qu’aux produits et pratiques de son Bordeaux natal) il aimait Marcel Aymé dont il citait volontiers “Uranus” pour sa parodie racinienne: ” Passez-moi Astyanax et nous filons en douce, N’attendons pas d’avoir les poulets à nos trousses!”, et Giono. Au bout de la semaine, il partait toujours jeter un coup d’oeil et de bêche sur son jardin drômois (5 heures de route A.R. pour un week-end de 36 heures alors!) Nous en avions un autre, vaste pourtant, en plein centre-ville, mais qu’il négligeait car improductif, jugeait-il. Il cessa les trajets à sa retraite en 1967 pour devenir gentleman-farmer à temps plein.
    Mon séjour à St Charles fut des plus complets, de mon entrée en “onzième”, comme on disait alors, en 1951, jusqu’à la Terminale en 1965, ayant eu le bon goût de rater 2 marches, pour raisons sus-évoquées. A raison de quatre trajets quotidiens La Plaine – Bld Camille Flammarion et vice-versa, j’ai eu de quoi me tenir en forme pour la vie… J’ai passé la quasi totalité des goûters du primaire en de longues attentes au labo de Physique-Chimie ( il n’était pas alors dans le bâtiment de l’ex chapelle que vous avez connu, mais dans une manière de longère, ombragée d’un mûrier, au débouché d’une rue qui n’existe plus), avant que mon père eût fini de monter les expériences du lendemain. Je peux donc enrichir votre vocabulaire de deux vocables à l’usage exclusif des physiciens-chimistes: Le Bonhomme d’Ampère, petite figurine cartonnée sur socle de liège qui me servait de marionnette, et les spirales du Solénoïde sur lequel un exposé fervent me valut un 19 à un oral de bac – c’était donc que l’écrit n’avait pas convaincu.
    Le fait que vous évoquiez si ardemment la mémoire de M. Paldacci m’émeut très fort, savez-vous bien! Il fut “le” prof de Français que j’espérais,- n’ayant eu jusque là, à quelques notables différences près, que des “marchands de grec et de latin” ( le pire, deux quatrièmes durant, un M. J…., vénal, méprisant et lâche, nul du reste) – et je conserve comme une relique la photo de classe qu’il posa avec nous. Son premier cours, dès la rentrée: nous lire “La Place Royale” de Corneille; ça venait comme une perruque sur le bouillon, mes camarades écoutaient ça un peu interloqués; ils ne tarderaient pas à être conquis; moi, je l’étais d’emblée. Vrai partageux d’une culture éclairée et rare, nous pensant au plus haut et voulant nous hisser encore, naturel et sincère, dun humour ravageur, pudique et chaleureux…
    La papillote du jour (excellent praliné) citait Jules Renard: “Ecrire, c’est pouvoir parler sans être interrompu”. Je pense avoit tenté de m’en acqitter.
    Joyeuses fêtes à vous derechef, et à très bientôt, cher ami.
    Bernard

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