APOLLINAIRE, Guillaume – Poésies, 2

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  • #145396
    Augustin BrunaultAugustin Brunault
    Maître des clés

      APOLLINAIRE, Guillaume – Poésies, 2


      Merveille de la guerre


      (Extrait du recueil Calligrammes, 1918)




      Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit
      Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder
      Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs

      J’ai reconnu ton sourire et ta vivacité

      C’est aussi l’apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes
      Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races
      Elles accouchent brusquement d’enfants qui n’ont que le temps de mourir

      Comme c’est beau toutes ces fusées
      Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore
      S’il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d’un livre
      Pourtant c’est aussi beau que si la vie même sortait des mourants

      Mais ce serait plus beau encore s’il y en avait plus encore
      Cependant je les regarde comme une beauté qui s’offre et s’évanouit aussitôt
      Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno
      C’est un banquet que s’offre la terre
      Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles
      La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale
      Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage
      Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain
      C’est pourquoi l’air a un petit goût empyreumatique qui n’est ma foi pas désagréable
      Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre
      Il n’avale que les âmes
      Ce qui est une façon de ne pas se nourrir
      Et se contente de jongler avec des feux versicolores

      Mais j’ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux
      Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence
      J’ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout
      Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout ou plutôt je commence à être partout
      C’est moi qui commence cette chose des siècles à venir
      Ce sera plus long à réaliser que non la fable d’Icare volant

      Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire
      Qui fut à la guerre et sut être partout
      Dans les villes heureuses de l’arrière
      Dans tout le reste de l’univers
      Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
      Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
      Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux
      Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes

      Et ce serait sans doute bien plus beau
      Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout
      Pouvaient m’occuper aussi
      Mais dans ce sens il n’y a rien de fait
      Car si je suis partout à cette heure il n’y a cependant que moi qui suis en moi

      #145448
      Augustin BrunaultAugustin Brunault
      Maître des clés

        Dans l’abri-caverne

        (Extrait du recueil Calligrammes, 1918)




        Je me jette vers toi et il me semble aussi que tu te jettes vers moi
        Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude
        Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir
        En face de moi la paroi de craie s’effrite
        Il y a des cassures
        De longues traces d’outils traces lisses et qui semblent être faites dans de la stéarine
        Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce
        Moi j’ai ce soir une âme qui s’est creusée qui est vide
        On dirait qu’on y tombe sans cesse et sans trouver de fond
        Et qu’il n’y a rien pour se raccrocher
        Ce qui y tombe et qui y vit c’est une sorte d’êtres laids qui me font mal et qui viennent de je ne sais où
        Oui je crois qu’ils viennent de la vie d’une sorte de vie qui est dans l’avenir dans l’avenir brut qu’on n’a pu encore cultiver ou élever ou humaniser
        Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire
        C’est aujourd’hui c’est ce soir et non toujours
        Heureusement que ce n’est que ce soir
        Les autres jours je me rattache à toi
        Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs
        En imaginant ta beauté
        Pour l’élever au-dessus de l’univers extasié
        Puis je pense que je l’imagine en vain
        Je ne la connais par aucun sens
        Ni même par les mots
        Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain
        Existes-tu mon amour
        Ou n’es-tu qu’une entité que j’ai créée sans le vouloir
        Pour peupler la solitude
        Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s’ennuyer
        Je t’adore ô ma déesse exquise même si tu n’es que dans mon imagination

        #141991
        Augustin BrunaultAugustin Brunault
        Maître des clés
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