DEGANDT, Alain – Lamentations d’un chien-prétexte

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  • #145008
    Alain DegandtAlain Degandt
    Participant
      #162748
      Alain DegandtAlain Degandt
      Participant

        Bonjour Christine,

        Voici la version définitive, très très légèrement modifiée, de mon texte. Merci et très bonne 22ème journée de confinement  Sourire !

        Cordialement,

        ALAIN D.

        DEGANDT, Alain

        LAMENTATIONS D'UN CHIEN-PRÉTEXTE

         

        Je suis un clébard de base, un clebs dûment estampillé bâtard (je possède tous les certificats et tampons officiels requis). Les enfants m'appellent Ul', mon charmant maître : Ducon (il m'adore !) et ma maîtresse : Ulysse, qui est mon nom officiel, celui qui est inscrit sur ma carte d'identification.

        Comme mon célèbre homonyme et comme le non-moins célèbre Jason, son compatriote argonaute, j'aime les beaux voyages.

        En premier lieu, et en temps ordinaire, j'aime l'agrément que me procurent mes trois promenades quotidiennes dans le quartier où je réside, avec la famille de mes sympathiques propriétaires. C'est pour moi comme un petit cabotage côtier autour de mon Ithaque perso. Je musarde. Patte en l'air, je m'attarde au pied d'un arbre, d'un lampadaire ou d'un bas de pantalon, et mon p'tit robinet émet rapidement deux ou trois giclées de pipi qui disent : « – Ulysse est passé ici et il a conquis ce territoire, qu'on se le dise ! » Un genre de drapeau d'appropriation unilatérale, comme au bon vieux temps de la colonisation, en quelque sorte.

         

        J'aime tirer sur ma laisse (allant parfois jusqu'à m'étrangler) et, lorsque mon maître ou ma maîtresse s'arrête pour bavarder, avec un voisin ou une copine, je me montre impatient et jaloux : je ne tarde pas à les ficeler comme des saucissons, en exécutant une danse de sioux autour de leurs guibolles ! Ça me fait toujours marrer intérieurement ( je suis resté très primesautier malgré mon âge).

         

        J'aime draguer les femelles en allant me frotter la truffe contre la leur, la queue frétillante.

         

        J'aime, j'ai honte à le dire, aller renifler le derrière de mes coreligionnaires pour savoir s'ils sont ennemis ou amis (méthode infaillible qui mérite quelques petits sacrifices olfactifs).

         

        Après avoir, d'un bref coup d'œil expert, bien vérifié qu'il est dûment harnaché et réglementairement muselé, j'aime aboyer à la face baveuse d'un bouledogue ou d'un rottweiler, jusqu'à m'en faire péter les cordes vocales haut-perchées de petit-roquet-à-sa-mémère-du-seizième-arrondissement.

         

        J'aime, davantage encore, aboyer aux mollets de notre voisin Adolphe, un nostalgique du Maréchal Pétain, qui fait son jogging en treillis militaire, genre le beauf' du regretté Cabu.

         

        Mais ce dont je raffole, ce sont les sorties du week-end, à la campagne. Là, on me libère de mes chaînes et j'en profite un max. Je me défonce : je gambade, je batifole, je poursuis tout ce qui bouge, je joue, j'exécute des roulades, j'essaie d'attraper les feuilles et les papillons au vol, je rapporte avec une soumission fidèle les bâtons ou la ba-balle des adultes (c'est vraiment pour leur faire plaisir à ces deux grands nigauds), j'essaie de choper les bulles de savon fabriquées par les enfants (ils vont bien sur les traces de leurs géniteurs, ces deux morveux) etc.

         

        Or, il y a quelques jours, le gouvernement a pris un arrêté décrétant le confinement obligatoire de la population, sur l'ensemble du territoire, en raison d'une grave épidémie mondiale qui se propage à la vitesse d'un cheval au galop, comme la marée montante sur les sables mouvants de la baie du Mont Saint-Michel, et qui répand la mort sur son passage.

         

        Un seul mot d'ordre : RESTEZ CHEZ VOUS !

         

        Il s'en suit toute une liste d'interdictions et de restrictions dont j'ignore le détail, mais qui font que dorénavant, mes maîtres n'étant plus autorisés à sortir de leur domicile (qui est aussi le mien), je me les coltine 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 sur le paletot, ce qui est bien plus pénible que d'être assailli par un black block de puces et de tiques !

         

        Mais le pire est ailleurs : à ces obligations fixées par le gouvernement, il existe quelques possibilités de dérogations, parmi lesquelles, paraît-il, celle au motif certifié sur l'honneur, coché, daté et signé, de, je cite : « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés […] aux besoins des animaux de compagnie. »

         

        Vous pensez bien que ceci n'a pas échappé à l'attention perfide de ma petite famille Tartempion !

         

        Alors, depuis hier je vis un véritable calvaire. On me force, à l'aide d'un entonnoir (comme le pauvre Fernandel, dans le film François Ier), à absorber des litres et des litres d'eau, de soupe, de cidre et de bière (heureusement sans alcool), de café, de thé, de camomille (Beurk!), dans lesquels ils dissolvent, ces pervers, quelques cachets de diurétique !

         

        Pour favoriser la grosse commission, ils mêlent à la viande de ma pâtée : des épinards, des lentilles, des blettes, des poireaux, etc. Ma maîtresse y est même allée d'une série de cinq suppositoires laxatifs glycérinés ! Du coup, j'ai la désagréable impression que mon transit intestinal accomplit le trajet du pylore au rectum en première classe du TGV, les jours où celui-ci n'est pas tombé en panne de caténaire !

         

        Quant à Charles-Édouard, le petit dernier (très calme, seulement quand il dort), il s'assied de tout son poids de façon sadique sur mon ventre, à m'en faire éclater les boyaux et la vessie ! Des vrais malades, je vous dis ! C'est à désespérer de la race humaine !

         

        Et tout ce cirque, simplement pour pouvoir, grâce à mon sacrifice, sortir chacun à tour de rôle pour me promener, jusqu'à des vingt ou trente fois tout au long de la journée et en toute légalité, afin de s'extraire des quatre murs de leur prison dorée !

         

        Moi qui comptais passer cette maudite période de confinement tranquille-peinard, vautré sur les coussins du canapé, à écouter des audio-livres comme : « L'appel de la forêt » , « Croc-blanc » ou « Le Roman de Miraut, chien de chasse » sur le merveilleux site de Littérature-audio(*), tiens, BERNIQUE, oui !

         

        © Alain DEGANDT – Écrit en situation de confinement obligatoire, face à l'épidémie du coronavirus covid-19 – Mars 2020

         

        (*) https://www.litteratureaudio.com = plus de 8300 audio-livres en accès et téléchargement GRATUITS !!!

        #162768
        PlumePlume
        Participant

          O

          On parle beaucoup de l'augmentation des violences conjugales mais guère de celle de la maltraitance animale. Merci, Alain, de réparer cette injustice !

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