(O) DEGANDT, Alain – La Drôlatique Histoire du roi inuit allant visiter ses terres

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  • #144516
    Alain DegandtAlain Degandt
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      #159650
      Alain DegandtAlain Degandt
      Participant

        Bonjour à toutes et tous,

        Je soumets à votre accord ce petit texte qui n'a d'autre prétention que de distraire et faire sourire :



        LA DRÔLATIQUE HISTOIRE DU ROI INUIT ALLANT VISITER SES TERRES









        Jadis, il y a de cela belle lurette,



        Un grand roi inuit



        De bonne grâce obéissant



        Aux tortueuses lois



        Qui, par l’effet conjugué



        D’alliances subtiles entre familles bien nées



        Et de vénales manigances de notaires,



        Régissent les destinées des têtes couronnées,



        D’un vaste domaine oublié,



        Perdu aux confins d’une ancienne province,



        Hérita. Les humbles fonctionnaires



        Chaque soir adressent à l’État



        Une laïque prière,



        Afin qu’en ce désert on ne les mute pas,



        Tant prospèrent ici-bas la ronce et les calvaires !






        Or, de toute sa vie, cet esquimau de prince



        Ne s’était guère éloigné de son igloo de maison,



        Que pour chasser le phoque et le petit ourson.



        Ignorant tout du cycle des saisons



        Qui en nos lieux tempérés règle les affaires,



        C’est au milieu de notre rude hiver



        Qu’il fit affréter attelage,



        Afin de prendre possession



        De son magnifique héritage.






        Le voyage ne manqua pas d’incidents,



        Le chemin était si long depuis le pôle !



        En montant en voiture, il se démit l’épaule ;



        En mordant sur un clou, il se cassa les dents.



        Sur les flots agités de la Mer Baltique



        Son navire heurta un cargo de barriques.



        À Copenhague, dit-on,



        En plein cœur de la nuit,



        Il fut courtisé sans façons



        Par une sirène en folie…



        Afin de ne pas lasser l’attention du lecteur



        Je passe des épisodes, et des meilleurs !






        À l’entrée de son domaine



        Il arriva enfin, tout fourbu,



        Content d’être vivant



        Mais contre les dieux en rage !






        Et en bien piteux équipage.



        Jugez-en plutôt : son cocher



        Ressemblait à s’y méprendre



        À un bandit de grand chemin



        Qu’on aurait poursuivi pour le pendre !






        Ses valets, deux nigauds,



        Qu’on aurait cru rentrés de stage



        Tout de go,



        Du royaume de Naples et des deux Sicile,



        Où, foin d’omerta,



        Chacun sait, comme moi,



        Qu’un peuple indocile



        Règle à coups de couteau,



        Si ce n’est de fusil,



        De futiles querelles de voisinage,



        Ses valets, vous dis-je,



        Semblaient deux loups malingres



        En quête d’un plumage.






        Ses chevaux, épuisés,



        Avaient tout de Rossinante



        Et plus rien de fringants destriers !






        Ses habits étaient défaits,



        Tout crottés, dépareillés, dépenaillés.






        Lui, était amaigri et débraillé,



        Sa mine était grise et son teint délavé.



        Son regard, éteint, traînait à la dérive



        Et son esprit, en rade,



        Lui donnait l’air hagard



        D’un voyageur perdu sur le quai d’une gare.






        Après s’être escrimés



        Un quart d’heure durant



        En vains ronds de jambe



        Ridicules courbettes



        Et viles salamalecs



        Devant notre roi sans divertissement



        Qui ne faisait que bâiller en les regardant,



        Deux obséquieux domestiques



        S’avisèrent soudain



        De l’urgente nécessité



        D’ouvrir à deux battants



        La grille en fer forgé



        Qui solennellement dressait sa rouille



        Au milieu des orties, des chardons, du chiendent



        Et des genêts à fumer les andouilles.






        Suant, soufflant, sifflant,



        Retenant et poussant



        Vaille que vaille,



        À hue et à dia tirant,



        Au nez des chevaux impatients,



        Nos deux fourbes laquais



        Parvinrent non sans mal



        À forcer le loquet



        Qui tenait bien fermé le portail.






        Quand il s’ouvrit,



        Un cri sinistre retentit



        Et par toute la campagne



        Se répandit :



        On eût dit le contre ut



        D’une diva d’opéra



        Ou le râle du boxeur



        Frappé par l'uppercut.



        Le royal convoi délivré s'ébranla.






        Pénétrant plus avant dans son domaine,



        Le roi fut pris d'un vrai ravissement !



        Car malgré le froid saisissant,



        Qui lui rappelait vaguement



        Le cœur de l'été polaire,



        Il put admirer tout un camaïeu de vert



        Qui se répandait par la nature entière !



        La mousse et les lichens



        Recouvraient chaque branche



        De leur perfide matière.



        Le lierre grimpant escaladait les troncs



        Et en vampirisait la sève dormante



        Pour le plus grand plaisir des yeux.



        Des lianes étouffantes



        Étranglaient de leurs nœuds



        Les pousses les plus récentes.



        La vermine habitait les fentes et les souches



        Et tous les parasites y avaient fait leur couche,



        Se sentant bénis des dieux.



        Les arbres portaient à bout de bras



        D'énormes boules, d'un vert luisant,



        Agrémentées de perles de nacre,



        Sous lesquelles des couples de jeunes gens



        À bouche que veux-tu



        S'embrassaient goulûment,



        Tandis que des prêtres barbus,



        Armés d'une serpette,



        Faisaient de ce trésor



        De fameuses emplettes !






        Absolument époustouflé,



        Émerveillé et subjugué,



        Le roi tint à féliciter



        Le jardinier qui, par son grand art,



        Avait si bien conçu et entretenu



        Ce foisonnant et vivant bazar.






        On envoya chercher l'artiste.






        Ce n'est qu'après avoir fouillé



        Vingt ateliers, cinq serres et cent remises,



        Qu'on dénicha cet effronté,



        Batifolant en simple chemise



        Dans une grange à foin



        Où, foin du qu'en-dira-t-on,



        Sans vergogne il lutinait



        Les jupons



        D'une Margot, d'une Suzon



        Dont les chevilles étaient exquises.



        Sans ménagements il fut extrait



        De ses joyeux ébats



        Et manu militari



        Jusqu'à Sa Majesté fut conduit.






        D'un violent coup de pied



        Judicieusement placé,



        Devant le roi



        On l'invita fermement à s'incliner.






        Face contre terre,



        Le soulier d'un laquais coincé entre les deux épaules,



        Le drôle fut anobli et élevé



        Au rang de Grand Maître de la Jarretière



        Et Autres Fariboles,



        Ce qui, entre nous soit-dit,



        Lui fit une belle guibolle.






        Le soulier du laquais se faisant plus pressant,



        Le manant remercia le roi



        Par d'inaudibles paroles



        (La boue du chemin obstruait son gosier).



        Et sans plus tarder le royal convoi



        De nouveau s'ébranla.






        Plus on s'approchait



        De la Cour d'Honneur,



        Plus les arbres perdaient



        De leur foisonnante vigueur.






        Bientôt on ne vit plus



        La moindre tache de verdure.



        Et l'entière Nature



        Avait partout perdu sa luxuriante parure :



        Amputés, rabougris, squelettiques,



        Allées, parterres et portiques



        Étaient affligés de formes géométriques.



        Lignes droites, sphères et fuseaux,



        Tout semblait tracé et taillé au cordeau.



        Plus de fantaisie pour rêver à loisir,



        Plus de coussinets où poser le regard.



        La Sévérité et ses grinçants ciseaux,



        Associée à la Mort et son austère faux,



        Régnaient ici en maîtres



        Et vous glaçaient les os.






        Offusqué qu'on l'eût mené



        Au cœur de cette désolation



        Qui plongeait l'âme humaine



        En un cafard profond



        Et vous mettait les nerfs à vif,



        D'un geste sec et peu amène



        Sa Majesté ordonna de ses chevaux l'arrêt



        Et demanda qu'on lui amène,



        Sur le champ, mort ou vif,



        L'indigne énergumène, le fautif,



        Coupable d'avoir estropié ses massifs.






        Inutile cette fois d'aller en bande



        Par tout le domaine



        Quérir sous les châlits,



        Derrière les fagots



        Ou dans des coins bizarres,



        Le jardinier maudit



        Qu'un funeste destin,



        Qu'un malheureux hasard,



        Avait placé en travers



        Du chemin d'un monarque,



        Venu du diable vauvert



        Piétiner ses plates-bandes :






        Il était planté là,



        À deux pas du carrosse,



        Comme un fiancé falot



        Au matin de ses noces.



        Car pris d'une frénésie quasi hystérique



        À l'annonce de cette royale visite,



        Il avait intrigué



        Et s'était ingénié



        Par cent ruses diverses,



        Stratagèmes pervers,



        À se faire inviter,



        Afin de s'approcher



        De ce prince exotique



        Et vanter ses mérites,



        Dans l'espoir chimérique



        D'obtenir de Sa Très Gracieuse Majesté



        Une charge, Un diocèse,



        Un domaine, Un titre.






        Sa révérence exécutée,



        Et par sept fois renouvelée,



        Il restait humblement prosterné,



        Chapeau bas, genou plié,



        L'air timide, mains croisées,



        Tremblant comme feuille de peuplier



        Sous la bourrasque de septembre.






        Puis il tint en rougissant



        Cet émouvant discours au roi :



        «  – J'attire, bredouilla-t-il, respectueusement



        L'attention de Votre Majesté



        Sur l'envergure des travaux



        Que quotidiennement



        Entreprennent Vos gens,



        Afin que les rigueurs de nos frimas



        N'affectent par trop l'agencement



        Ni l'harmonie qui président,



        Depuis des siècles,



        À l'excellente renommée



        Ainsi qu'à la préservation



        De Votre royal domaine.



        Et ce, grâce à la pointilleuse attention



        Que lui a toujours portée la lignée



        De Vos illustres ancêtres



        Et aux soins scrupuleux



        Prodigués par leurs fidèles sujets.






        Aussi est-ce avec fierté



        Que je présente à Votre Majesté



        Les fruits de notre soumission



        D'hommes-liges,



        Avec l'espoir qu'ils sauront



        À Votre Grâce complaire.»






        Le roi se frotta d'abord les yeux



        Car il eut peine à croire



        Ce qu'il venait de reluquer.






        Puis il introduisit chacun de ses auriculaires



        Dans chacun de ses conduits auditifs,



        Qu'avec vigueur il ramona



        Car il eut peine à croire ce qu'il venait d'esgourder.






        [Remarque du narrateur : il exécuta cette basse besogne lui-même et sans le secours d'une main experte, contrairement à l'accoutumée et vu l'urgence, ne trouvant pas de chambrière à portée de sceptre pour la faire exécuter à sa place, dans cet environnement hostile et retiré de tout. « – À la guerre, comme à la guerre !» fut sa pensée profonde du jour, que s'empressa de noter son tabellion.]






        Ces deux exercices accomplis,



        Il se persuada qu'il n'avait pas rêvé :



        On venait de se moquer de Sa Royale Personne,



        Et ce, de façon éhontée.



        Nous étions à n'en point douter



        Devant un crime de lèse-majesté.



        Il fallait, sans coup férir,



        Sévir, sous peine de perdre la face.



        Il fallait mettre fin à cette farce



        Qui avait assez duré.






        Un tribunal fut illico constitué.



        Le roi y tiendrait tous les rôles,



        À l'exception notoire



        De celui de prévenu.






        Il déclara ouverte la séance,



        En procédure de délit flagrant.






        Le Procureur-Roi



        Prononça le réquisitoire.






        De bonne foi, ne trouvant



        Aucune circonstance atténuante,



        Il demanda l'application



        De la peine capitale.






        L'Avocat-Roi dut s'absenter pour une affaire urgente,



        Pile au moment de sa plaidoirie.






        Les jurés ne reçurent leur convocation



        Qu'à la fin de la semaine pascale,



        Soit trois mois francs



        Après le jugement,



        Ce, en raison des nombreuses escales



        Que s'octroya la malle-poste



        Pour accomplir sa mission,



        Selon l'officielle version.






        Le Juge-Roi fut contraint, on le comprend,



        De faire, séance tenante,



        Procéder à l'exécution :






        Par son bourreau Scipion,



        Dépêché tout exprès de son septentrion,



        Au jardinier infâme il fit trancher la tête.

        – Schlak !





        Sans plus de fioritures



        Le chou du jardinier



        S'en vint choir dans la sciure.








        De cette affligeante mésaventure



        Retenons bien ces deux leçons :



        La première, que depuis l’enfance nous savons,



        Est que l’habit point ne fait le moine,



        Pas plus que l’aronde le printemps



        Et que jamais nous ne devons



        Juger sur la mine, ni les arbres, ni les gens,



        Ni les objets, hormis peut-être les crayons,



        Si chatoyants soient-ils dans les vitrines.






        La seconde nous exhorte



        À ne point trop flatter



        Les puissants de ce monde



        Ni à leur obéir plus qu’il n’est de raison.



        Ils sont si impatients,



        Capricieux, versatiles !



        Ils vous feraient,



        Sans autre forme de procès,



        Devenir chèvre,



        Tourner en bourrique,



        Perdre le Nord,



        Qui sait ? Voire même perdre la vie !






        Passez inaperçu,



        Faites-vous oublier !



        Car ne vous connaissant



        Ni d’Ève ni d’Adam,



        Ces très grands personnages,



        Du haut de leur perchoir,



        Ne se donneront pas même



        La peine de vous voir !






        Et de votre jeunesse



        Jusqu’à votre grand âge



        Ils vous ficheront – quel régal ! –



        Une paix on ne peut plus royale !







        © Alain DEGANDT – Octobre-Novembre 2015 – Tous droits réservés

         

        #159651
        Christiane-JehanneChristiane-Jehanne
        Participant

                     OUI.

                           O.






          #159653
          PommePomme
          Participant

            O  3 fois Oui

            #159654
            CocotteCocotte
            Participant

              O Très drôle. Et en même temps, très moral

              #159666
              Vincent de l'ÉpineVincent de l’Épine
              Maître des clés

                O

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