DESPORTES, Philippe – Stances du mariage (Poème)

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    Augustin BrunaultAugustin Brunault
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      DESPORTES, Philippe – Stances du mariage (Poème)

      De toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
      De tout ce que les cieux ardemment courroucés
      Peuvent darder sur nous de tonnerre et d’orage,
      D’angoisseuses langueurs, de meurtre ensanglanté,
      De soucis, de travaux, de faim, de pauvreté,
      Rien n’approche en rigueur la loi de mariage.

      Jupiter en courroux, certain jour ici-bas
      Fit descendre la femme aux yeux remplis d’appas ,
      Et portant en la main une boëte féconde
      Des semences du mal , les procès , le discord ,
      Le souci, la douleur, la vieillesse et la mort,
      Bref, pour douaire, elle eut tout le malheur du monde.

      Vénus dessus son front mille beautés sema ;
      Pithon d’autant d’attraits sa parole anima;
      Vulcain forgea son cœur; Mars lui donna l’audace :
      Bref, le ciel rigoureux si bien la déguisa,
      Que l’homme épris de flamme aussi-tôt l’épousa,
      Plongeant en son malheur toute l’humaine race.

      De-là le mariage eut son commencement,
      Tyran injurieux, plein de commandement,
      Que la liberté fuit comme son adversaire
      Plaisant à l’abordée, à l’œil doux et riant,
      Qui, sous un beau dehors, traître, nous va liant
      D’un lien que la mort seulement peut défaire.

      Il tient dessous ses pieds le repos abbatu ;
      De cordage et de fers son corps est revêtu :
      Le soin est à côté, le travail le regarde;
      La peur, la jalousie et le mal inconnu,
      Mal par opinion , qui rend l’homme cornu :
      Puis vient le repentir, chef de l’arriere-garde.

      Le deuil et le courroux, après le vont suivant:
      A sa vue Amour fuit, léger comme le vent,
      Bien que le nom d’amour masque sa tyrannie ;
      Car ce puissant vainqueur, et des dieux et des rois,
      Magistrat souverain, n’est point sujet aux loix,
      Et de toute sa cour la contrainte est bannie.

      Hélas! grand Jupiter! si l’homme avoit erré,
      Tu le devois punir d’un mal plus modéré ,
      Et plutôt l’assommer d’un éclat de tonnerre
      Que le faire languir durement enchaîné,
      Hôte de mille ennuis, au deuil abandonné,
      Travaillant son esprit d’une immortelle guerre.

      On parle des enfers où les maux sont punis,
      Trop cruel magasin de tourmens infinis,
      Du chien toujours béant , des sœurs pleines de rage,
      Des douleurs de Titye et des autres esprits;
      Mais je ne puis penser que ce soit rien au prix,
      Ni qu’il y ait enfer si grand que mariage.

      Languir toute sa vie en obscur prison ,
      Passer mille travaux, nourrir en sa maison
      Une femme bien laide, et coucher auprès d’elle;
      En avoir une belle, et en être jaloux,
      Craindre tout, l’espier, se gêner de courroux,
      Y a-t-il quelque peine en enfer plus cruelle ?

      Je tais tant de regrets, de soucis et d’ennuis,
      Tant de jours ennuyeux, tant de fâcheuses nuits,
      Tant de rapports semés , tant de plaintes ameres ;
      Qui les pense nombrer aura plutôt compté
      Les fleurettes de mai, les moissons de l’été,
      Et des plaines du ciel les flambeaux ordinaires.

      Ecoutez ma parole : ô mortels égarés,
      Qui dans la servitude aveuglement courez ,
      Et voyez quelle femme au moins vous devez prendre :
      Si vous l’épousez riche , il se faut préparer
      A servir, à souffrir, à n’oser murmurer,
      Aveugle en tous ses faits et sourd pour ne l’entendre.

      Si vous la prenez pauvre, avec la pauvreté
      Vous épousez aussi mainte incommodité :
      La charge des enfans, la peine et l’infortune ;
      Le mépris d’un chacun vous fait baisser les yeux;
      Le soin rend vos esprits chagrins et soucieux;
      Avec la pauvreté toute chose importune.

      Si vous l’épousez belle, assurez-vous aussi
      De n’être jamais franc de crainte et de souci :
      L’œil de votre voisin , comme vous , la regarde ;
      Un chacun la desire; et vouloir l’empêcher,
      C’est égaler Sisyphe et monter son rocher :
      Une beauté parfaite est de mauvaise garde.

      Si vous la prenez laide , adieu toute amitié :
      L’esprit tenant du corps est plein de mauvaistié :
      Vous aurez la maison pour prison ténébreuse;
      Le soleil désormais à vos yeux ne luira:
      Bref, on peut bien penser qu’elle vous déplaira,
      Puisqu’une femme belle en trois jours est fâcheuse.

      Celui n’avoit jamais les nôces éprouvé ,
      Qui dit qu’aucun secours contre amour n’est trouvé,
      Depuis qu’en nos esprits il a fait sa racine;
      Car, quand quelque beauté vient nos cœurs embrâser,
      La voulons- nous haïr, il la faut épouser :
      Qui veut guérir d’amour, c’en est la médecine.

      Mille fois Jupiter, d’amour tout égaré,
      Pour les yeux de sa sœur a plaint et soupiré,
      Toutefois il la hait dès qu’il l’a épousée,
      Et lui déplaît si fort, que, pour s’en étranger,
      En bête et en oiseau ne craint de se changer,
      Ne trouvant rien fâcheux pour la rendre abusée.

      La noce est un fardeau si fâcheux à porter,
      Qu’elle fait à un dieu son empire quitter;
      Elle lui rend le ciel un enfer de tristesse;
      Il trouve en ses liens tant d’infélicité ,
      Qu’il aime mieux servir en terre une beauté,
      Que jouir dans le ciel d’une épouse déesse.

      A l’exemple de lui qui doit être suivi,
      Tout homme qui se trouve en ses lacs asservi,
      Doit par mille plaisirs alléger son martyre ,
      Aimer en tous endroits sans esclaver son cœur,
      Et chasser loin de lui toute jalouse peur :
      Plus un homme est jaloux, plus sa femme on désire.

      O supplice infernal en la terre transmis
      Pour gêner les humains, gêne mes ennemis :
      Qu’ils soient chargés de fers, de tourmens et de flamme,
      Mais fuis de ma maison, n’approche point de moi;
      Je hais plus que la mort ta rigoureuse loi,
      Aimant mieux épouser un tombeau qu’une femme.

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