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- 15 juillet 2009 à 20h46 #14271015 juillet 2009 à 20h46 #149949
DIVERS – La Fontaine vu par Rousseau, Lamartine et Perrault
ROUSSEAU, Jean-Jacques – Émile, ou De l’éducation (Livre II, extrait)
[…] Émile n’apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables, pas même celles de la Fontaine, toutes naïves, toutes charmantes qu’elles sont ; car les mots des fables ne sont pas plus les fables que les mots de l’histoire ne sont l’histoire. Comment peut-on s’aveugler assez pour appeler les fables la morale des enfants, sans songer que l’apologue, en les amusant, les abuse ; que, séduits par le mensonge, ils laissent échapper la vérité, et que ce qu’on fait pour leur rendre l’instruction agréable les empêche d’en profiter ? Les fables peuvent instruire les hommes ; mais il faut dire la vérité nue aux enfants : sitôt qu’on la couvre d’un voile, ils ne se donnent plus la peine de le lever.
On fait apprendre les fables de la Fontaine à tous les enfants, et il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les entendraient, ce serait encore pis ; car la morale en est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu’elle les porterait plus au vice qu’à la vertu. Ce sont encore là, direz-vous, des paradoxes. Soit ; mais voyons si ce sont des vérités.
Je dis qu’un enfant n’entend point les fables qu’on lui fait apprendre, parce que quelque effort qu’on fasse pour les rendre simples, l’instruction qu’on en veut tirer force d’y faire entrer des idées qu’il ne peut saisir, et que le tour même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir, en sorte qu’on achète l’agrément aux dépens de la clarté. Sans citer cette multitude de fables qui n’ont rien d’intelligible ni d’utile pour les enfants, et qu’on leur fait indiscrètement apprendre avec les autres, parce qu’elles s’y trouvent mêlées, bornons-nous à celles que l’auteur semble avoir faites spécialement pour eux.
Je ne connais dans tout le recueil de la Fontaine que cinq ou six fables où brille éminemment la naïveté puérile ; de ces cinq ou six je prends pour exemple la première de toutes, parce que c’est celle dont la morale est le plus de tout âge, celle que les enfants saisissent le mieux, celle qu’ils apprennent avec le plus de plaisir, enfin celle que pour cela même l’auteur a mise par préférence à la tête de son livre. En lui supposant réellement l’objet d’être entendue des enfants, de leur plaire et de les instruire, cette fable est assurément son chef-d’œuvre : qu’on me permette donc de la suivre et de l’examiner en peu de mots.
Le corbeau et le renard
Fable
Maître corbeau, sur un arbre perché,
Maître ! que signifie ce mot en lui-même ? que signifie-t-il au-devant d’un nom propre ? quel sens a-t-il dans cette occasion ?
Qu’est-ce qu’un corbeau ?
Qu’est-ce qu’un arbre perché ? L’on ne dit pas sur un arbre perché, l’on dit perché sur un arbre. Par conséquent, il faut parler des inversions de la poésie ; il faut dire ce que c’est que prose et que vers.
Tenait dans son bec un fromage.
Quel fromage ? était-ce un fromage de Suisse, de Brie, ou de Hollande ? Si l’enfant n’a point vu de corbeaux, que gagnez-vous à lui en parler ? s’il en a vu, comment concevra-t-il qu’ils tiennent un fromage à leur bec ? Faisons toujours des images d’après nature.
Maître renard, par l’odeur alléché,
Encore un maître ! mais pour celui-ci c’est à bon titre : il est maître passé dans les tours de son métier. Il faut dire ce que c’est qu’un renard, et distinguer son vrai naturel du caractère de convention qu’il a dans les fables.
Alléché. Ce mot n’est pas usité. Il le faut expliquer ; il faut dire qu’on ne s’en sert plus qu’en vers. L’enfant demandera pourquoi l’on parle autrement en vers qu’en prose. Que lui répondrez-vous ?
Alléché par l’odeur d’un fromage ! Ce fromage, tenu par un corbeau perché sur un arbre, devait avoir beaucoup d’odeur pour être senti par le renard dans un taillis ou dans son terrier ! Est-ce ainsi que vous exercez votre élève à cet esprit de critique judicieuse qui ne s’en laisse imposer qu’à bonnes enseignes, et sait discerner la vérité du mensonge dans les narrations d’autrui ?
Lui tint à peu près ce langage :
Ce langage ! Les renards parlent donc ? ils parlent donc la même langue que les corbeaux ? Sage précepteur, prends garde à toi ; pèse bien ta réponse avant de la faire ; elle importe plus que tu n’as pensé.
Eh ! bonjour, monsieur le corbeau !
Monsieur ! titre que l’enfant voit tourner en dérision, même avant qu’il sache que c’est un titre d’honneur. Ceux qui disent monsieur du Corbeau auront bien d’autres affaires avant que d’avoir expliqué ce du.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Cheville, redondance inutile. L’enfant, voyant répéter la même chose en d’autres termes, apprend à parler lâchement. Si vous dites que cette redondance est un art de l’auteur, qu’elle entre dans le dessein du renard qui veut paraître multiplier les éloges avec des paroles, cette excuse sera bonne pour moi, mais non pas pour mon élève.
Sans mentir, si votre ramage
Sans mentir ! on ment donc quelquefois ? Où en sera l’enfant si vous lui apprenez que le renard ne dit sans mentir que parce qu’il ment ?
Répondait à votre plumage,
Répondait ! que signifie ce mot ? Apprenez à l’enfant à comparer des qualités aussi différentes que la voix et le plumage ; vous verrez comme il vous entendra.
Vous seriez le phénix des hôtes de ces bois.
Le phénix ! Qu’est-ce qu’un phénix ? Nous voici tout à coup jetés dans la menteuse antiquité, presque dans la mythologie.
Les hôtes de ces bois ! Quel discours figuré ! Le flatteur ennoblit son langage et lui donne plus de dignité pour le rendre plus séduisant. Un enfant entendra-t-il cette finesse ? sait-il seulement, peut-il savoir ce que c’est qu’un style noble et un style bas ?
À ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie,
Il faut avoir éprouvé déjà des passions bien vives pour sentir cette expression proverbiale.
Et, pour montrer sa belle voix,
N’oubliez pas que, pour entendre ce vers et toute la fable, l’enfant doit savoir ce que c’est que la belle voix du corbeau.
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Ce vers est admirable, l’harmonie seule en fait image. Je vois un grand vilain bec ouvert ; j’entends tomber le fromage à travers les branches : mais ces sortes de beautés sont perdues pour les enfants.
Le renard s’en saisit, et dit : Mon bon monsieur,
Voilà donc la bonté transformée en bêtise. Assurément on ne perd pas de temps pour instruire les enfants.
Apprenez que tout flatteur
Maxime générale ; nous n’y sommes plus.
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Jamais enfant de dix ans n’entendit ce vers-là.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Ceci s’entend, et la pensée est très bonne. Cependant il y aura encore bien peu d’enfants qui sachent comparer une leçon à un fromage, et qui ne préférassent le fromage à la leçon. Il faut donc leur faire entendre que ce propos n’est qu’une raillerie. Que de finesse pour des enfants !
Le corbeau, honteux et confus,
Autre pléonasme ; mais celui-ci est inexcusable.
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Jura ! Quel est le sot de maître qui ose expliquer à l’enfant ce que c’est qu’un serment ?
Voilà bien des détails, bien moins cependant qu’il n’en faudrait pour analyser toutes les idées de cette fable, et les réduire aux idées simples et élémentaires dont chacune d’elles est composée. Mais qui est-ce croit avoir besoin de cette analyse pour se faire entendre à la jeunesse ? Nul de nous n’est assez philosophe pour savoir se mettre à la place d’un enfant. Passons maintenant à la morale.
Je demande si c’est à des enfants de dix ans qu’il faut apprendre qu’il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur profit ? On pourrait tout au plus leur apprendre qu’il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons, et se moquent en secret de leur sotte vanité ; mais le fromage gâte tout ; on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec qu’à le faire tomber du bec d’un autre. C’est ici mon second paradoxe, et ce n’est pas le moins important.
Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font presque toujours une contraire à l’intention de l’auteur, et qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable précédente, les enfants se moquent du corbeau, mais ils s’affectionnent tous au renard ; dans la fable qui suit, vous croyez leur donner la cigale pour exemple ; et point du tout, c’est la fourmi qu’ils choisiront. On n’aime point à s’humilier : ils prendront toujours le beau rôle ; c’est le choix de l’amour-propre, c’est un choix très naturel. Or, quelle horrible leçon pour l’enfance ! Le plus odieux de tous les montres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu’on lui demande et ce qu’il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.
Dans toutes les fables où le lion est un des personnages, comme c’est d’ordinaire le plus brillant, l’enfant ne manque point de se faire lion ; et quand il préside à quelque partage, bien instruit par son modèle, il a grand soin de s’emparer de tout. Mais, quand le moucheron terrasse le lion, c’est une autre affaire ; alors l’enfant n’est plus lion, il est moucheron. Il apprend à tuer un jour à coups d’aiguillon ceux qu’il n’oserait attaquer de pied ferme.
Dans la fable du loup maigre et du chien gras, au lieu d’une leçon de modération qu’on prétend lui donner, il en prend une de licence. Je n’oublierai jamais d’avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu’on avait désolée avec cette fable, tout en lui prêchant toujours la docilité. On eut peine à savoir la cause de ses pleurs ; on la sut enfin. La pauvre enfant s’ennuyait d’être à la chaîne, elle se sentait le cou pelé ; elle pleurait de n’être pas loup.
Ainsi donc la morale de la première fable citée est pour l’enfant une leçon de la plus basse flatterie ; celle de la seconde, une leçon d’inhumanité ; celle de la troisième, une leçon d’injustice ; celle de la quatrième, une leçon de satire ; celle de la cinquième, une leçon d’indépendance. Cette dernière leçon, pour être superflue à mon élève, n’en est pas plus convenable aux vôtres. Quand vous leur donnez des préceptes qui se contredisent, quel fruit espérez-vous de vos soins ? Mais peut-être, à cela près, toute cette morale qui me sert d’objection contre les fables fournit-elle autant de raisons de les conserver. Il faut une morale en paroles et une en actions dans la société, et ces deux morales ne se ressemblent point. La première est dans le catéchisme, où on la laisse ; l’autre est dans les fables de la Fontaine pour les enfants, et dans ses contes pour les mères. Le même auteur suffit à tout.
Composons, monsieur de la Fontaine. Je promets, quant à moi, de vous lire avec choix, de vous aimer, de m’instruire dans vos fables ; car j’espère ne pas me tromper sur leur objet ; mais, pour mon élève, permettez que je ne lui en laisse pas étudier une seule jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé qu’il est bon pour lui d’apprendre des choses dont il ne comprendra pas le quart ; que, dans celles qu’il pourra comprendre, il ne prendra jamais le change, et qu’au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon.
En ôtant ainsi tous les devoirs des enfants, j’ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance, et presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c’est qu’un livre. Mais il faut bien au moins, dira-t-on, qu’il sache lire. J’en conviens : il faut qu’il sache lire quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à l’ennuyer.
15 juillet 2009 à 20h48 #149950LAMARTINE, Alphonse (de) – Méditations poétiques, Préface de 1849 (Extrait)
On me faisait bien apprendre aussi par cœur quelques fables de La Fontaine ;mais ces vers boiteux, disloqués, inégaux, sans symétrie ni dans l’oreille ni sur la page, me rebutaient. D’ailleurs, ces histoires d’animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard, que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel, ce n’est pas du lait pour les lèvres et pour les cœurs de cet âge. Ce livre me répugnait ; je ne savais pas pourquoi. Je l’ai su depuis : c’est qu’il n’est pas bon. Comment le livre serait-il bon ? l’homme ne l’était pas. On dirait qu’on lui a donné par dérision le nom du bon La Fontaine. La Fontaine était un philosophe de beaucoup d’esprit, mais un philosophe cynique. Que penser d’une nation qui commence l’éducation de ses enfants par les leçons d’un cynique ? Cet homme, qui ne connaissait pas son fils, qui vivait sans famille, qui écrivait des contes orduriers en cheveux blancs pour provoquer les sens de la jeunesse, qui mendiait dans des dédicaces adulatrices l’aumône des riches financiers du temps pour payer ses faiblesses ; cet homme dont Racine, Corneille, Boileau, Fénelon, Bossuet, les poètes, les écrivains ses contemporains, ne parlent pas, ou ne parlent qu’avec une espèce de pitié comme d’un vieux enfant, n’était ni un sage ni un homme naïf. Il avait la philosophie du sans-souci et la naïveté de l’égoïsme. Douze vers sonores, sublimes, religieux, d’Athalie m’effaçaient de l’oreille toutes les cigales, tous les corbeaux et tous les renards de cette ménagerie puérile. J’étais né sérieux et tendre ; il me fallait dès lors une langue selon mon âme. Jamais je n’ai pu, depuis, revenir de mon antipathie contre les fables.
15 juillet 2009 à 20h50 #149951PERRAULT, Charles – Biographie de La Fontaine
Monsieur de La Fontaine naquit à Château-Thierry en l'année 1621. Son père, maître des Eaux et Forêts de ce duché, le revêtit de sa charge dès qu'il fut capable de l'exercer, mais il y trouva si peu de goût, qu'il n'en fit la fonction, pendant plus de vingt années, que par complaisance. Il est vrai que son père eut pleine satisfaction sur une autre chose qu'il exigea de lui, qui fut qu'il s'appliquât à la poésie, car son fils y réussit au delà de ce qu'il pouvait souhaiter. Quoique ce bonhomme n'y connût presque rien, il ne laissait pas de l'aimer passionnément, et il eut une joie incroyable, lorsqu'il vit les premiers vers que son fils composa. Ces vers se ressentaient comme la plupart de ceux qu'il a faits depuis, de la lecture de Rabelais et de Marot, qu'il aimait et qu'il estimait infiniment. Le talent merveilleux que la nature lui donna, n'a pas été inférieur à celui de ces deux auteurs, et lui a fait produire des ouvrages d'un agrément incomparable. Il s'y rencontre une simplicité ingénieuse, une naïveté spirituelle, et une plaisanterie originale qui, n'ayant jamais rien de froid, cause une surprise toujours nouvelle. Ces qualités si délicates, si faciles à dégénérer en mal et à faire un effet tout contraire à celui que l'auteur en attend, ont plu à tout le monde, aux sérieux, aux enjoués, aux cavaliers, aux dames et aux vieillards, de même qu'aux enfants. Jamais personne n'a mieux mérité d'être regardé comme original et comme le premier de son espèce. Non seulement il a inventé le genre de poésie, où il s'est appliqué, mais il l'a porté à sa dernière perfection; de sorte qu'il est le premier, et pour l'avoir inventé, et pour y avoir tellement excellé que personne ne pourra jamais avoir que la seconde place dans ce genre d'écrire. Les bonnes choses qu'il faisait lui coûtaient peu, parce qu'elles coulaient de source, et qu'il ne faisait autre chose que d'exprimer naturellement ses propres pensées, et se peindre lui-même. S'il y a beaucoup de simplicité et de naïveté dans ses ouvrages, il n'y en a pas eu moins dans sa vie et dans ses manières. Il n'a jamais dit que ce qu'il pensait, et il n'a jamais fait que ce qu'il a voulu faire. Il joignit à cela une humilité naturelle, dont on n'a guère vu d'exemple; car il était fort humble sans être dévot, ni même régulier dans ses moeurs, si ce n'est à la fin de sa vie qui a été toute chrétienne. Il s'estimait peu, il souffrait aisément la mauvaise humeur de ses amis, il ne leur disait rien que d'obligeant, et ne se fâchait jamais, quoiqu'on lui dît des choses capables d'exciter la colère et l'indignation des plus modérés. Monsieur Fouquet alors surintendant des Finances lui donna une pension, et lui fit beaucoup d'accueil ainsi qu'à ses ouvrages, dont il y en a plusieurs où il l'a loué très ingénieusement, et où les beautés de sa maison de Vaux-le-Vicomte sont dépeintes avec une grâce admirable. Le peu de soin qu'il eut de ses affaires domestiques l'ayant mis en état d'avoir besoin du secours de ses amis, Madame de La Sablière, dame d'un mérite singulier et de beaucoup d'esprit, le reçut chez elle, où il a demeuré près de vingt ans. Après la mort de cette dame, Monsieur d'Hervart, qui aimait beaucoup M. de La Fontaine le pria de venir loger chez lui, ce qu'il fit, et il y est mort au bout de quelques années. Il a composé de petits Poèmes épiques, où les beautés de la plus grande poésie se rencontrent, et qui auraient pu suffire à le rendre célèbre; mais il doit son principal mérite et sa grande réputation à ses Poésies simples et naturelles. Son plus bel ouvrage et qui vivra éternellement, c'est son recueil des fables d'Esope qu'il a traduites ou paraphrasées. Il a joint au bon sens d'Esope des ornements de son invention si convenables, si judicieux et si réjouissants en même temps, qu'il est malaisé de faire une lecture plus utile et plus agréable tout ensemble. Il n'inventait pas les fables, mais il les choisissait bien, et les rendait presque toujours meilleures qu'elles n'étaient. Ses Contes qui sont la plupart de petites nouvelles en vers sont de la même force, et l'on ne pourrait en faire trop d'estime s'il n'y entrait point presque partout trop de licence contre la pureté; les images de l'amour y sont si vives qu'il y a peu de lectures plus dangereuses pour la jeunesse, quoique personne n'ait jamais parlé plus honnêtement des choses déshonnêtes. J'aurais voulu pouvoir dissimuler cette circonstance, mais cette faute a été trop publique et le repentir qu'il en a fait paraître pendant les deux ou trois dernières années de sa vie a été trop sincère pour n'en rien dire. Il était de l'Académie française, et lorsqu'il témoigna souhaiter d'en être, il écrivit une lettre à un prélat de la Compagnie, où il marquait et le déplaisir de s'être laissé aller à une telle licence, et la résolution où il était de ne plus composer rien de semblable. Il mourut à Paris le 13 avril 1695, âgé de soixante-quatorze ans, avec une constance admirable et toute chrétienne.
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