GILMAN, Charlotte Perkins – Le Papier peint jaune

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      GaëlleGaëlle
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        Le Papier peint jaune, Charlotte Perkins Gilman

        texte original : The Yellow Wallpaper, Charlotte Perkins Gilman sur Wikisource
        Traduction par Gaëlle et http://www.canadianmysteries.ca– avec leur aimable autorisation – sous licence CC-BY-NC-ND


        Il est très inhabituel que de simples gens ordinaires comme John et moi-même, parviennent à obtenir des résidences ancestrales pour l’été.
        Un manoir colonial, un domaine héréditaire, une maison hantée pourrais-je dire pour atteindre les cimes de la félicité romantique– mais ce serait trop demander au destin !
        Pourtant j’affirme avec fierté qu’il y a quelque chose d’étrange à son sujet.
        Sinon, pourquoi serait-elle louée à si bon prix ? Et pourquoi serait-elle restée si longtemps inhabitée ?
        John se moque de moi, naturellement, mais c’est ce à quoi l’on s’attend dans un mariage.
        John est d’un prodigieux sens pratique. Il ne fait preuve d’aucune patience envers la foi, exprime une violente aversion de la superstition et raille ouvertement toute discussion relative à ce qui ne peut être perçu, vu et exprimé en chiffres.
        John est médecin, et peut-être – (je ne l’avouerais à aucun être vivant, naturellement, mais ceci est un papier mort et un réel soulagement pour mon esprit) – peut-être cela est-il l’une des raisons pour lesquelles je ne guéris pas plus vite.
        Voyez-vous, il ne croit pas que je sois malade !
        Et que peut-on y faire ?
        Si un médecin de renom, qui est votre propre mari, affirme à vos proches et amis que vous n’avez rien de sérieux, si ce n’est une dépression nerveuse passagère – une légère tendance à l’hystérie – que pouvez-vous y faire ?
        Mon frère aussi est médecin, et tout aussi renommé, et il tient le même discours.
        Alors je prends des phosphates ou des phosphites – peu importe –, et des toniques, et de l’air frais, et je fais des promenades et de l’exercice, et il m’est formellement interdit de « travailler » jusqu’à ce que je sois remise.
        Personnellement, je ne suis pas d’accord avec leurs idées.
        Personnellement, je crois qu’un travail agréable, me procurant un peu d’excitation et de changement, me ferait du bien.
        Mais que peut-on y faire ?
        J’ai tout de même un peu écrit, malgré eux ; mais il est vrai que cela m’épuise considérablement – de devoir le faire sournoisement ou de faire face à leur vive opposition.
        Je m’imagine parfois que mon état s’améliorerait si ma vie comportait moins d’opposition et plus de rapports sociaux et de stimuli, mais John affirme que la pire des choses est de réfléchir à mon état, et je dois avouer que cela me fait me sentir toujours bien mal.
        Je laisserai donc ce sujet de côté et parlerai de la maison.
        La plus jolie des maisons ! Elle est plutôt isolée, située bien en retrait de la route, à presque trois milles du village. L’endroit me fait penser à ces domaines anglais dont on parle dans les livres, car il y a des haies et des murets, et des portails que l’on verrouille, et plein de petits pavillons distincts pour les jardiniers et les domestiques.
        Et quel délicieux jardin ! Je n’en ai jamais vu de pareil – vaste et ombragé, avec des allées bordées de caissons à fleurs et de longues tonnelles recouvertes de vignes sous lesquelles se trouvent des bancs de jardin.
        Il y avait des serres, aussi, mais elles sont en ruines désormais.
        Je crois qu’il y a eu une dispute juridique, quelque chose au sujet des héritiers et cohéritiers ; en tout cas, le domaine a été abandonné pendant des années.
        J’ai bien peur que cela ne gâche mes histoires de maison hantée, mais je m’en moque. Cette maison a quelque chose d’étrange, je le sens.
        J’en ai même parlé à John, un soir de lune, mais il m’a répondu que ce que je sentais était un courant d’air, puis il a fermé la fenêtre.
        Je me mets parfois en colère sans raison contre John. Je suis persuadée que je n’étais pas aussi susceptible avant. Ce doit être cette affection nerveuse.
        Mais John dit que si je pense cela je vais perdre toute maîtrise de moi-même ; alors je déploie de grands efforts pour me maitriser – devant lui du moins –, et cela m’épuise vraiment.
        Je n’aime pas du tout notre chambre. Je voulais celle du bas, qui s’ouvre sur la piazza et dont les fenêtres sont envahies par les roses, avec ces jolies cantonnières anciennes de chintz ! Mais John n’a rien voulu entendre.
        Il a dit qu’il n’y avait qu’une seule fenêtre et pas suffisamment de place pour deux lits, et aucune autre chambre à proximité pour qu’il puisse en prendre une autre.
        Il est très attentionné et aimant, et me laisse à peine bouger sans instructions spéciales.
        Il m’a prescrit un horaire qui régit chaque heure de la journée ; il s’occupe de tout à ma place et je me sens donc horriblement ingrate de ne pas apprécier cela davantage.
        Il a dit que nous ne sommes venus ici que pour mon seul bénéfice, que je dois profiter d’un repos complet et du plus d’air frais possible. « Tes exercices physiques dépendent de tes forces, ma chérie, » a-t-il dit , « et tes repas de ton appétit ; mais l’air, il t’est possible de l’absorber tout le temps. » Nous avons donc pris la chambre d’enfants tout en haut de la maison.
        C’est une grande pièce spacieuse, couvrant presque tout l’étage, avec des fenêtres sur tous les côtés et de l’air et du soleil à profusion. C’était d’abord une chambre d’enfants, ensuite une salle de jeu, puis une salle d’exercice, si l’on se fie aux barreaux installés aux fenêtres pour les petits enfants, et aux anneaux et choses fichés dans les murs.
        La peinture et le papier peint semblent avoir servi à une école pour garçons. Il est arraché – le papier peint – sur de grandes surfaces tout autour de la tête de mon lit, à peu près aussi loin que je peux l’atteindre, et sur une large partie en bas du mur en face. De ma vie, je n’ai jamais vu pire papier peint.
        Un seul de ces tentaculaires et flamboyants motifs contrevient à toutes les lois artistiques.
        Il est à la fois assez terne pour dérouter l’œil qui le suit, et assez marqué pour susciter l’agacement et l’examen continuels, et si l’on suit, sur une courte distance, ces courbes boiteuses et incertaines, elles se suicident soudainement, s’abîmant en des angles impossibles, s’anéantissant elles-mêmes en d’inédites contradictions.
        La couleur en est repoussante, répugnante presque ; un jaune fumant et malpropre, étrangement défraîchi par la lente progression du soleil.
        Il est d’un orangé terne mais incandescent à certains endroits, et à certains autres, d’une nuance malsaine de soufre.
        Il n’est pas surprenant que les enfants l’aient détesté. J’en viendrais moi-même à le haïr si je devais occuper cette chambre bien longtemps.
        John arrive et je dois tout ranger. Il déteste que j’écrive même un seul mot.

        * * *

        Cela fait deux semaines que nous sommes ici et je n’avais pas, depuis cette première journée, ressenti l’envie d’écrire.
        Je suis maintenant assise près de la fenêtre, là-haut dans cette atroce chambre d’enfants, et rien ne m’empêche d’écrire autant que bon me semble, sinon le manque de force.
        John s’absente souvent toute la journée, et même parfois la nuit lorsque ses cas sont graves.
        Je suis contente que mon cas ne soit pas sérieux !
        Mais ces troubles nerveux sont affreusement déprimants.
        John ignore à quel point je souffre réellement. Il sait qu’il n’y a aucune raison que je souffre, et cela le satisfait.
        Naturellement, ce n’est que de la nervosité. Cela me pèse tant de ne pas accomplir mon devoir d’aucune manière !
        J’avais l’intention d’être un tel appui pour John, de lui apporter la quiétude et le réconfort, et me voilà déjà pour lui un fardeau considérable.
        Personne ne croirait l’effort que c’est pour moi de faire le peu dont je suis capable – m’habiller, recevoir, et commander des choses.
        C’est une réelle chance que Mary soit si bonne avec le bébé. Un si charmant bébé !
        Et pourtant je ne peux pas être avec lui, il me rend si nerveuse.
        Je suppose que John n’a jamais été nerveux de sa vie. Il rit tant de moi à propos de ce papier peint !
        Au début il a envisagé de retapisser la chambre, mais ensuite il a dit que j’étais en train de le laisser avoir le dessus et que rien ne pouvait être pire pour un patient souffrant de troubles nerveux que de se laisser aller à de tels caprices.
        Il a dit qu’une fois le papier peint changé, ce serait l’imposant châlit, et ensuite les barreaux aux fenêtres, puis cette barrière en haut de l’escalier, et ainsi de suite.
        « Tu sais que l’endroit te fait du bien », a-t-il dit, « et vraiment, chérie, je peux me passer de rénover une maison que nous ne louons que pour trois mois. »
        « Alors laisse nous aller en bas », ai-je dit « il y a tellement de jolies chambres en bas.  »
        Alors il m’a prise dans ses bras, m’a appelé sa petite dinde adorée et a dit qu’il descendrait jusqu’à la cave si tel était mon désir, et qu’il la ferait blanchir à la chaux par-dessus le marché.
        Mais il a raison à propos des lits, des fenêtres et de tout le reste.
        C’est une chambre on ne peut plus spacieuse et confortable et bien sûr je ne serai pas idiote au point de l’importuner pour un simple caprice.
        Je commence à aimer de plus en plus cette grande chambre, à part ce hideux papier peint.
        De l’une des fenêtres, je peux voir le jardin, les tonnelles ombragées et mystérieuses, les fleurs anciennes exubérantes, les buissons et les arbres noueux.
        Depuis une autre j’ai une vue splendide sur la baie et le petit quai privé appartenant au domaine. Il y a une charmante allée ombragée qui le rejoins de la maison. Je m’imagine souvent voir des gens se promener le long de tous ces chemins et sous les tonnelles, mais John m’a prévenue de ne pas me laisser aller à ces rêveries. Il dit qu’avec mon imagination fertile et ma manie d’inventer des histoires, une fragilité nerveuse comme la mienne est assurée de donner lieu à toute sorte de divagations fantaisistes, et que je ferais mieux de mettre toute ma volonté et mon bon sens à contrecarrer cette inclination. Alors j’essaie.
        Je pense quelquefois que si seulement je me sentais assez bien pour écrire un peu, cela allègerait le fardeau de ces idées, et me procurerait un peu de repos.
        Mais je trouve que je deviens vite fatiguée quand j’essaie.
        Cela est si décourageant de ne profiter d’aucun conseil, ni de compagnie dans mon travail. Quand je vais vraiment bien John dit que nous demanderons à Cousin Henry et à Julia de venir nous rendre une longue visite ; mais il dit qu’en ce moment il bourrerait plutôt ma taie d’oreiller de feux d’artifices que de recevoir ces stimulantes personnes.
        Je voudrais aller mieux beaucoup plus vite.
        Mais je ne dois pas y penser. Ce papier peint me regarde comme s’il savait quelle influence pernicieuse il exerce !
        Il y a un endroit qui se répète où le motif retombe comme un cou cassé et où deux yeux bulbeux vous épient à l’envers.
        Je commence à me sentir réellement en colère contre l’impertinence et l’obstination de tout cela. Ils rampent de haut en bas puis de biais, et il y a ces yeux absurdes et impassibles qui pullulent. Il y un endroit où deux panneaux ne coïncident pas et les yeux chevauchent la ligne de haut en bas, l’un des deux yeux perché un peu plus haut que l’autre.
        Je n’ai jamais vu auparavant autant d’expressivité chez une chose inanimée, et nous savons tous comme elles savent être expressives ! Quand j’étais enfant, j’avais l’habitude de rester éveillée et j’éprouvais davantage de plaisir et de terreur à regarder des murs nus et de simples meubles que la plupart des enfants n’en trouvent dans un magasin de jouets.
        Je me souviens du clin d’œil sympathique qu’adressaient les boutons de notre grosse vieille commode, et de ce fauteuil qui m’avait toujours semblé un ami solide.
        J’avais l’impression que si n’importe quel autre objet prenait un air trop menaçant, je pourrais toujours sauter dans ce fauteuil et être hors de danger.
        Le mobilier de cette chambre, toutefois, n’a d’autre défaut que d’être dépareillé, car nous avons dû tout monter d’en bas. Je suppose que quand elle a été transformée en salle de jeu, ils ont retiré toutes les choses de la nurserie, et on ne peut pas s’en étonner ! Je n’ai jamais vu de dégâts comme ceux que les enfants ont causés ici.
        Le papier peint, comme je l’ai déjà dit, est arraché par endroits, pourtant il était attaché comme à un frère – ils devaient être aussi persévérants que motivés par la haine.
        Aussi le plancher est rayé, gougé et fendu, le plâtre lui-même est creusé ici et là, et le grand lit, le seul meuble que nous ayons trouvé dans la pièce, semble avoir traversé plusieurs guerres.
        Mais tout cela m’est égal – sauf le papier peint.
        Voilà la sœur de John qui arrive. Une si charmante jeune fille, et qui s’occupe si bien de moi ! Je ne dois pas la laisser me surprendre en train d’écrire.
        C’est une parfaite femme d’intérieur, pleine d’enthousiasme, et qui n’a aucune autre ambition. Je crois vraiment qu’elle pense que c’est le fait d’écrire qui m’a rendue malade !
        Mais j’ai tout le loisir d’écrire lorsqu’elle est sortie, et de ces fenêtres, je peux l’apercevoir de très loin.
        L’une d’elles donne sur la route, une jolie route ombragée et sinueuse, et une autre regarde vers la campagne. Un beau paysage de campagne, aussi, avec de grands ormes et des prairies à l’aspect de velours.
        Ce papier peint présente une sorte de motif sous-jacent d’une teinte différente, particulièrement irritante, que l’on ne peut voir que sous certains éclairages, et même pas clairement.
        Mais aux endroits qui ne sont pas décolorés, quand la lumière du soleil est juste comme il faut, j’arrive à percevoir une sorte de silhouette informe, provocante et étrange, qui semble rôder derrière le motif ridicule et vulgaire du devant.
        La sœur est dans l’escalier !

        * * *

        Enfin, le 4 juillet est passé ! Tout le monde est parti, et je suis épuisée. John avait pensé que cela pourrait me faire du bien d’avoir un peu de compagnie, et nous avons donc reçu Mère, Nellie et les enfants pendant une semaine.
        Bien sûr je n’ai absolument rien fait. Jennie s’occupe de tout désormais.
        Mais cela m’a tout autant fatiguée.
        John dit que si je ne me remets pas plus rapidement, il devra m’envoyer chez Weir Mitchell à l’automne.
        Mais je ne veux absolument pas y aller. J’avais une amie qui est passée entre ses mains, et elle dit qu’il est exactement comme John et mon frère, en pire !
        Et puis, c’est une telle expédition d’aller si loin.
        Je n’ai pas l’impression que cela vaille la peine que je fasse quoi que ce soit, et je deviens terriblement irritable et pleurnicheuse.
        Je pleure pour un rien, et à tout moment.
        Naturellement, pas quand John est là, ou quiconque, mais quand je suis seule.
        Et je suis très souvent seule en ce moment. John est fréquemment retenu en ville par des cas sérieux, et Jennie est gentille et me laisse seule quand je le lui demande.
        Je me promène donc un peu au jardin ou le long de cette charmante allée, ou je m’assois sous le porche couvert de roses, et je reste allongée ici une bonne partie du temps.
        J’aime vraiment de plus en plus cette chambre, malgré le papier peint. Peut-être même à cause du papier peint.
        Comme il hante mon esprit !
        Allongée ici sur ce grand lit immobile– il est cloué au sol, je crois – je suis le motif des heures durant. C’est aussi bon que la gymnastique, croyez-moi. Je démarre, disons, en bas, juste au coin où il est resté intact, et pour la millième fois je décide que je vais suivre ce motif absurde jusqu’à atteindre une sorte de conclusion.
        Je possède quelques notions de design et je peux affirmer que cette chose n’obéit ni aux lois de la radiation, ni à celles de l’alternance, ni à celles de la répétition, de la symétrie, ou d’aucune autre dont j’aurais entendu parler.
        Il se répète, en largeur sur les différents pans, bien entendu, mais d’aucune autre façon. Sous un certain angle, chaque pan apparaît indépendant, les courbes boursouflées et les fioritures – sorte de romanesque bâtard atteint de delirium tremens – se dandinent de haut en bas en des colonnes solitaires et absurdes. D’un autre point de vue, pourtant, elles se rejoignent diagonalement et leurs contours tentaculaires fuient en de grandes vagues inclinées effarantes, comme des touffes d’algues marines s’enroulant et se poursuivant.
        L’ensemble se lit aussi de manière horizontale, du moins il me semble, et je m’épuise à tenter de discerner l’organisation de son mouvement dans cette direction.
        Il y a aussi un pan horizontal qui sert de frise et ajoute magnifiquement à la confusion.
        Dans un coin de la chambre, le papier est presque intact, et là, quand les rayons du soleil s’estompent et que la lumière du soleil couchant l’éclaire directement, je peux presque imaginer, après tout, une disposition radiale – les interminables figures distordues semblent s’organiser autour d’un point commun et se précipiter la tête la première dans des plongeons fous.
        Comme il me fatigue de le suivre. Je crois que je vais dormir un peu.

        * * *

        J’ignore à quoi il me sert d’écrire ceci.
        Je ne veux pas le faire.
        Je ne m’en sens pas capable.
        Et je sais que John trouverait cela absurde. Mais je dois dire ce que je ressens et ce que je pense d’une quelconque manière– c’est un tel soulagement !
        Mais l’effort deviendra bientôt plus grand que le soulagement.
        La moitié du temps maintenant je suis terriblement paresseuse, et je reste couchée.
        John dit que je ne dois pas perdre mes forces, il me fait prendre de l’huile de foie de morue et toutes sortes de fortifiants, sans parler de la bière, du vin et de la viande saignante.
        Cher John ! Il m’aime très profondément, et déteste me savoir malade. L’autre jour, j’ai essayé d’avoir avec lui une vraie conversation, franche et raisonnable, et de lui dire à quel point je souhaiterais qu’il me laisse aller rendre visite à Cousin Henry et Julia.
        Mais il a dit que je n’étais pas en état de faire le voyage, ni de supporter le séjour là-bas, et je n’ai pas très bien défendu mon cas, car je me suis mise à sangloter avant d’avoir fini.
        Il me devient vraiment difficile de garder l’esprit clair. Ce n’est que cette fragilité nerveuse, je suppose.
        Alors mon cher John m’a prise dans ses bras, m’a portée à l’étage et m’a couchée sur le lit ; il s’est assis à côté de moi et m’a fait la lecture jusqu’à ce que ma tête soit lourde.
        Il m’a dit que j’étais sa chérie, son réconfort et tout ce qu’il avait au monde, et que je devais prendre soin de moi, pour son bien, et me porter mieux.
        Il dit que moi-seule peut me sortir de cet état, que je dois faire preuve de volonté et me maîtriser et ne pas me laisser aller à toute sorte d’idées farfelues qui pourraient m’emporter.
        Il y a une chose qui me réconforte, c’est que le bébé se porte bien et est joyeux. Et qu’il n’est pas obligé d’occuper cette chambre avec son horrible papier peint.
        Si nous ne l’avions pas prise, c’est lui, ce cher enfant, qui l’aurait eue ! Quelle chance qu’il y échappe ! Ciel, je ne voudrais pour rien au monde que mon enfant, un petit être impressionnable, vive dans une telle chambre.
        Je n’y avais pas pensé avant, mais il est heureux, finalement, que John m’ait retenue ici. Car voyez-vous, je peux le supporter beaucoup plus facilement qu’un bébé.
        Évidemment, je ne leur en parle plus jamais – je suis trop futée pour cela – mais je poursuis mes observations.
        Il y a des choses dans ce papier que personne d’autre que moi ne sait, ou ne saura jamais.
        Derrière le motif du premier plan, les formes estompées se précisent chaque jour.
        Il s’agit toujours de la même forme, multipliée à l’infini.
        Et cela ressemble à une femme qui se jette au sol et qui rampe derrière ce motif. Je n’aime pas du tout cela. Je me demande – je commence à me demander – comme je souhaiterais que John me sorte d’ici !

        * * *

        Il est si difficile de parler avec John de mon cas, parce qu’il est si intelligent, et parce qu’il m’aime tant.
        Mais la nuit dernière j’ai essayé.
        C’était un soir de lune. La lune jette sa lumière partout, aussi brillante que celle du soleil.
        Je déteste la regarder, elle glisse si lentement et trouve toujours le moyen d’entrer, par une fenêtre ou par une autre.
        John était endormi, et je m’en serais voulu de le réveiller, alors je suis restée immobile et j’ai observé la lumière de la Lune sur ce papier peint ondoyant, jusqu’à en avoir la chair de poule.
        La forme délavée, derrière, semblait secouer le motif comme si elle cherchait à s’en extraire.
        Je me suis levée doucement pour toucher et voir si le papier bougeait vraiment, et quand je suis retournée au lit John s’était réveillé.
        « Que se passe-t-il, ma petite ? » m’a-t-il demandé. « Ne te promène pas comme ca, tu vas prendre froid. »
        J’ai pensé que c’était le bon moment pour lui parler, je lui ai donc dit que je n’allais pas mieux du tout et que j’aimerais qu’il m’emmène loin d’ici.
        « Mais chérie ! » s’est-il écrié́, « notre bail arrive à son terme dans trois semaines et je ne vois pas comment nous pourrions partir plus tôt. »
        « Les rénovations ne sont pas achevées dans notre maison, et je ne peux absolument pas quitter la ville en ce moment. Bien entendu si tu étais réellement en danger, je le pourrais et je le ferais, mais tu vas vraiment mieux, ma chérie, que tu en sois consciente ou non. Je suis médecin, chérie, et je le sais. Tu reprends des couleurs et du poids, tu as meilleur appétit. Je suis tout à fait rassuré à ton sujet. »
        « Je ne pèse pas un gramme de plus », ai-je dit, « et mon appétit peut sembler meilleur le soir, quand tu es là, mais je n’en ai pas le matin quand tu es absent. »
        « Mon cher petit cœur ! » m’a t-il dit en me serrant dans ses bras ; « qu’elle soit aussi malade qu’elle le désire ! Mais maintenant profitons au mieux de ces heures et dormons un peu, nous parlerons de cela dans la matinée. »
        « Et tu ne t’en iras pas ? », ai-je demandé tristement.
        « Mais, comment le pourrais-je, ma chérie ? Il ne nous reste que trois semaines et ensuite nous ferons un joli petit voyage de quelques jours, pendant que Jennie s’occupera de préparer la maison. Vraiment, chérie, tu vas mieux ! »
        « Mieux physiquement peut-être » – ai-je commencé, avant de m’arrêter court parce qu’il s’est assis raide dans le lit et m’a regardé avec un air si sévère et plein de reproches que je n’ai pu prononcer un mot de plus.
        « Mon amour », a-t-il dit, « Je t’en supplie, pour moi, pour notre enfant et pour ton propre bien, promets-moi de ne jamais laisser une telle idée te traverser l’esprit ! Rien n’est plus dangereux, plus impressionnant pour un tempérament comme le tien. C’est une idée fausse et ridicule. Ne peux-tu pas me faire confiance, en tant que médecin, si je te l’affirme ? »
        Alors bien sûr, j’ai laissé tomber le sujet, et nous sommes retournés dormir sans tarder. Il a cru que je m’étais assoupie la première, mais je ne dormais pas –je suis restée allongée là pendant des heures, essayant de déterminer si le motif de devant et celui de derrière se mouvaient réellement ensemble ou séparément.
        Un motif comme celui-ci, à la lumière du jour, présente un manque de cohérence et un mépris de toute loi, c’est une perpétuelle provocation pour un esprit sain.
        La couleur en est hideuse, assez incertaine, et assez exaspérante, mais le motif, lui, est une véritable torture.
        Vous pensez l’avoir maîtrisé, mais au moment même où vous commencez à bien le suivre, il s’élance dans une culbute arrière et vous vous retrouvez tout ahuri. Il vous gifle le visage, vous jette au sol et vous piétine le corps. C’est un cauchemar.
        Le motif extérieur est une arabesque luxuriante qui rappelle un champignon. Si vous pouvez vous imaginer un champignon vénéneux, une chaîne interminable de champignons vénéneux, qui bourgeonnent et grossissent dans des circonvolutions sans fin – voilà, c’est quelque chose comme ça.
        C’est à dire, à certains moments !
        Ce papier peint a quelque chose de très singulier, quelque chose que personne ne semble remarquer à part moi, c’est qu’il change avec la lumière.
        Lorsque le soleil pénètre par la fenêtre orientée à l’est– je guette toujours ce premier rayon de lumière long et droit – il change si rapidement que j’ai toujours un peu de mal à le croire.
        C’est pourquoi je l’observe sans cesse.
        À la lumière de la lune – la lune éclaire toute la nuit quand le ciel est dégagé – je ne saurais dire s’il s’agit du même papier peint.
        La nuit, sous quelque lumière que ce soit, à la tombée du jour, à la lumière d’une bougie, ou d’une lampe, ou pire que tout, de la lune, il prend la forme de barreaux ! Le motif extérieur, je veux dire, et la femme qui est derrière apparaît alors clairement.
        J’ai mis longtemps à comprendre ce qu’était cette chose, ce pâle motif sous-jacent, qui apparaissait derrière mais maintenant je suis à peu près convaincue qu’il s’agit d’une femme.
        Le jour, elle se fait discrète, tranquille. Je m’imagine que c’est le motif qui la tient immobile. Il est si déroutant. Il me tient moi-même tranquille des heures durant.
        Je reste maintenant couchée la majeure partie du temps. John dit que c’est une bonne chose, et de dormir autant que possible.
        En fait, il a pris l’habitude de me faire faire une sieste d’une heure après chaque repas.
        C’est une très mauvaise habitude, j’en suis convaincue, parce que, voyez-vous, je ne dors pas.
        Et cela m’encourage à les tromper, puisque je ne leur dis pas que je suis éveillée, oh que non !
        La vérité est que je commence à avoir un peu peur de John.
        Il semble vraiment bizarre quelquefois, et même Jennie a un air énigmatique.
        Il me semble parfois, simple hypothèse scientifique, que peut-être c’est à cause du papier !
        J’ai observé John sans qu’il le sache, je suis entrée soudainement sous les prétextes les plus anodins, et je l’ai surpris à plusieurs reprises en train de regarder le papier peint ! Et Jennie aussi. J’ai surpris Jennie une fois, sa main dessus.
        Elle ne savait pas que j’étais dans la chambre, et lorsque je lui ai demandé d’une voix douce, très douce, le plus prudemment possible, ce qu’elle faisait avec le papier peint, elle s’est retournée d’un bond, l’air fâché, comme si elle avait été surprise en train de commettre un vol, et elle m’a demandé pourquoi je lui avais fait si peur !
        Alors elle a dit que le papier peint tachait tout ce qu’il touchait, qu’elle avait trouvé des traces jaunes sur tous mes vêtements et sur ceux de John, et qu’elle aimerait que nous fassions plus attention !
        N’était-ce pas une explication innocente ? Mais je sais qu’elle étudiait le motif et je suis bien décidée à ce que personne à part moi ne le perce à jour !

        * * *

        La vie est maintenant bien plus excitante qu’avant. Voyez-vous, j’ai maintenant quelque chose à attendre, à souhaiter, à observer. J’ai vraiment meilleur appétit et suis plus détendue que je ne l’étais.
        John est si satisfait de mes progrès ! Il était de très joyeuse humeur l’autre jour et a dit que je semblais m’épanouir malgré mon papier peint.
        Je m’en suis sortie par un éclat de rire. Je n’avais aucunement l’intention de lui dire que c’était grâce au papier peint – il se serait moqué de moi. Il voudrait peut-être même m’emmener loin d’ici.
        Je ne veux pas partir maintenant, pas avant de l’avoir compris. Il me reste une semaine, et je crois que cela me suffira.

        * * *

        Je me sens tellement mieux ! Je ne dors pas beaucoup la nuit, parce qu’il est si fascinant d’observer les évolutions, mais je dors beaucoup dans la journée.
        Dans la journée, il est épuisant et déconcertant.
        Il y a tout le temps de nouvelles pousses de champignons et de nouvelles teintes de jaune qui les recouvrent. Je n’arrive pas à en garder le compte, bien que je m’y applique consciencieusement.
        Il est du jaune le plus singulier, ce papier peint ! Il me fait penser à toutes les choses jaunes que j’ai vues dans ma vie – pas à celles qui sont belles comme les boutons d’or, mais à toutes ces vieilles choses jaunes, répugnantes, mauvaises.
        Mais il y a quelque chose d’autre au sujet de ce papier peint : l’odeur ! Je l’ai remarquée dès le moment où nous sommes entrés dans la chambre, mais avec tout ce grand air, et ce soleil, ce n’était pas trop mal. Mais maintenant que nous avons eu une semaine complète de brouillard et de pluie, l’odeur persiste, que les fenêtres soient ouvertes ou pas.
        Elle se glisse partout dans la maison.
        Je la surprends qui flotte dans la salle à manger, qui rôde au salon, qui se terre dans le couloir, qui m’attend, tapie dans l’escalier.
        Elle imprègne mes cheveux.
        Même quand je me promène, si je tourne rapidement la tête pour la surprendre– l’odeur est là !
        C’est une odeur si singulière, aussi ! J’ai passé des heures à essayer de l’analyser, à chercher de quelle sorte d’odeur il s’agissait.
        Elle n’est pas désagréable – au premier abord – et elle est très douce, mais c’est assurément l’odeur la plus subtile et la plus persistante que j’aie jamais rencontrée.
        Par ce temps humide, elle est affreuse. Je me réveille au milieu de la nuit et la retrouve suspendue au-dessus de moi.
        Au début, elle m’incommodait. J’ai sérieusement pensé mettre le feu à la maison – pour attraper l’odeur.
        Mais maintenant je m’y suis habituée. La seule chose que je puisse dire à son sujet est qu’elle est comme la couleur du papier peint ! C’est une odeur jaune.
        Il y a une trace très étrange sur ce mur, tout en bas près de la plinthe. Une éraflure qui fait le tour de la pièce. Elle passe derrière chacun des meubles, à l’exception du lit, une longue fissure rectiligne et lisse, comme si elle avait été frottée encore et encore.
        Je me demande comment elle a été faite, et par qui, et pour quoi. Tout autour et autour et autour – et autour et autour et autour – j’en suis tout étourdie !

        * * *

        J’ai enfin réellement découvert quelque chose.
        À force de l’observer pendant la nuit, quand il est si changeant, j’ai finalement compris.
        Le motif du devant bouge bel et bien – et ce n’est pas étonnant ! C’est la femme qui se trouve derrière qui le secoue !
        Quelquefois il me semble qu’il y a un grand nombre de femmes là-derrière, et quelquefois une seule, et elle rampe très vite tout autour et en rampant elle secoue le motif tout entier.
        Dans les zones les plus éclairées, elle se tient immobile, alors que dans les zones sombres, elle s’agrippe aux barreaux et les secoue avec force.
        Et elle tente sans relâche de sortir. Mais personne ne pourrait s’extraire de ce motif – il étrangle tant ; je crois que c’est pour cette raison qu’il y a un si grand nombre de têtes.
        Elles parviennent à s’échapper, mais alors le motif les étrangle et les retourne à l’envers ce qui rend leurs yeux tout blancs !
        Si ces têtes étaient dissimulées ou enlevées, ce serait moitié moins horrible.

        * * *

        Je pense que cette femme s’échappe pendant la journée !
        Et je vais même vous dire pourquoi – en toute confidence – parce que je l’ai vue !
        Je peux l’apercevoir dehors depuis chacune de mes fenêtres !
        C’est la même femme, je le sais, parce qu’elle est toujours en train de ramper, et la plupart des femmes ne rampent pas en plein jour.
        Je la vois sur cette longue route sous les arbres, rampant allègrement, et lorsque vient une calèche, elle se met à couvert sous le feuillage des mûriers.
        Je ne la blâme pas, loin de là. Ce doit être très humiliant de se faire surprendre en train de ramper au grand jour !
        Je verrouille toujours la porte quand je rampe au grand jour. Je ne peux le faire la nuit, car John se douterait aussitôt de quelque chose.
        Et John est si bizarre ces temps-ci, que je ne souhaite surtout pas l’agacer. Comme j’aimerais qu’il prenne une autre chambre ! D’ailleurs, je ne veux pas que quiconque d’autre que moi n’aide cette femme à s’échapper la nuit.
        Je me demande souvent si j’arriverais à la voir de toutes les fenêtres en même temps.
        Mais j’ai beau tourner aussi vite que possible, je ne réussis à la voir que d’une seule à la fois.
        Et bien que je la voie toujours, il n’est pas impossible qu’elle rampe plus vite que je n’arrive à tourner !
        Je l’ai observée quelquefois, au loin dans la campagne, elle rampe aussi vite que l’ombre d’un nuage par grand vent.

        * * *

        Si seulement ce motif du devant pouvait être détaché de celui du dessous ! J’ai l’intention de m’y mettre, peu à peu.
        J’ai découvert une autre chose étonnante, mais cette fois je ne le dirai pas ! Il ne faut pas trop se fier aux autres.
        Il ne reste que deux jours pour arracher ce papier peint, et je crois que John commence à se douter de quelque chose. Je n’aime pas son regard.
        Et je l’ai entendu poser à Jennie un tas de questions d’ordre professionnel à mon sujet. Elle n’avait que des bonnes choses à lui rapporter.
        Elle a dit que je dormais beaucoup dans la journée.
        John sait que je ne dors pas très bien la nuit, pourtant je me tiens si tranquille !
        Il m’a aussi posé toutes sortes de questions, et a fait semblant d’être très affectueux et doux.
        Comme si je ne lisais pas clairement dans son jeu !
        Tout de même, son comportement ne me surprend pas, il dort depuis trois mois sous ce papier peint.
        Il n’y a que moi qui m’y intéresse, mais je suis persuadée qu’il déteint secrètement sur John et Jennie.

        * * *

        Hourra ! C’est notre dernier jour, mais c’est assez. John doit passer la nuit en ville et ne partira que ce soir.
        Jennie voulait dormir avec moi – ah la sournoise ! – mais je lui ai dit que je passerais certainement une meilleure nuit si je dormais seule.
        C’était plutôt malin parce qu’en vérité, je n’étais pas du tout seule ! Aussitôt que la lumière de la lune est entrée et que cette pauvre chose s’est mise à ramper et à secouer le motif, j’ai bondi hors du lit et me suis précipitée à son secours.
        Je tirais et elle secouait, je secouais et elle tirait, et avant le lever du jour, nous avions arraché plusieurs mètres de papier peint.
        Une bande à peu près de ma hauteur sur toute une moitié de la chambre.
        Et alors quand le soleil est apparu et que cet odieux motif a commencé à se moquer de moi, j’ai décidé d’en finir aujourd’hui !

        Nous partons demain, et ils redescendent tous mes meubles en bas afin de laisser la maison comme nous l’avions trouvée.
        Jennie a regardé le mur avec stupéfaction, mais je lui ai gaiement affirmé l’avoir fait par pure haine de cette vilaine chose.
        Elle s’est esclaffée et a dit qu’elle le ferait bien elle-même, mais que je ne dois pas me fatiguer.
        Comme elle s’est trahie, cette fois !
        Mais je suis là, et personne d’autre que moi ne touchera ce papier peint– pas avec la vie sauve !
        Elle a essayé de me faire sortir de la chambre– c’était trop évident ! Mais j’ai dit que c’était si tranquille et vide et propre maintenant que je pensais m’allonger à nouveau et dormir tout mon saoul ; et de ne pas me réveiller, pas même pour le dîner – que je ferais appeler à mon réveil.
        La voilà maintenant partie, les domestiques sont partis, les meubles sont partis, et il ne reste plus rien que cet immense châlit, avec le matelas de toile qui était dessus à notre arrivée.
        Nous dormirons en bas cette nuit, et prendrons demain le bateau vers la maison.
        J’aime assez cette chambre, maintenant qu’elle est à nouveau nue.
        Comme ces enfants avaient fait des ravages ici !
        Ce lit est drôlement rongé !
        Mais je dois me mettre au travail.
        J’ai verrouillé la porte et jeté la clef dans l’allée devant la maison.
        Je ne veux pas sortir, et je ne veux laisser entrer personne avant l’arrivée de John.
        Je veux le stupéfier.
        J’ai ici une corde que même Jennie n’a pas trouvé. Si cette femme s’échappe et essaie de se sauver, je pourrai l’attacher !
        Mais je n’ai pas pensé que je n’aurais pas une très vaste portée sans aucun objet sur lequel me tenir ! Ce lit ne veut tout simplement pas bouger !
        J’ai essayé de le soulever et de le pousser jusqu’à ce que je me sente faible, et cela m’a mise dans une telle colère que j’en ai mordu un petit morceau dans un coin – mais je me suis fait mal aux dents.
        Puis j’ai arraché tout le papier peint que je pouvais atteindre en me tenant debout au sol. Il colle affreusement et le motif y prend un tel plaisir ! Toutes ces têtes étranglées, ces yeux globuleux et ces pousses de champignons qui se dandinent ne font que hurler de rire !
        Je suis tellement en colère que je vais commettre un acte désespéré. Me défenestrer serait un geste admirable, mais les barreaux sont trop solides pour même le tenter.
        Quand bien même, je ne le ferais pas. Bien sûr que non. Je suis consciente qu’un tel geste serait inconvenant, et pourrait être mal interprété.
        Le fait même de regarder par ces fenêtres m’indispose – il y a tant de ces femmes qui rampent, et elles rampent si vite.
        Je me demande si elles se sont toutes échappées du papier peint comme moi ?
        Mais je suis solidement attachée maintenant, grâce à la corde que j’avais si bien dissimulée – ce n’est pas moi que vous réussirez à faire sortir sur la route !
        Je suppose que je vais retourner derrière le motif quand la nuit viendra, et c’est pénible !
        Il est si agréable d’être en liberté dans cette grande chambre et d’y ramper comme bon me semble !
        Je ne veux pas aller dehors. Je n’irai pas, même si Jennie me le demande.
        Parce que là dehors il vous faut ramper sur le sol, et tout est vert au lieu d’être jaune.
        Alors qu’ici je peux ramper sans peine sur le plancher, et la largeur de mes épaules est juste ce qu’il faut pour que je m’insère dans cette longue fissure qui court au bas des murs, et ainsi je ne peux pas me perdre.
        Ma foi, mais c’est John qui frappe à la porte !
        C’est inutile, jeune homme, tu ne peux pas l’ouvrir !
        Comme il appelle et martèle !
        Le voilà qui crie qu’on lui apporte une hache.
        Ce serait vraiment dommage de démolir cette belle porte !
        « John, mon chéri ! » lui ai-je dit de ma voix la plus douce, « la clé est en bas, près des marches devant, sous une feuille de plantain ! »
        Cela l’a fait taire pendant quelques instants.
        Puis il a dit – vraiment très doucement : « Ouvre la porte, ma chérie ! »
        « Je ne peux pas, » ai-je répété. « La clé est en bas près de la porte d’entrée sous une feuille de plantain ! »
        Et alors je lui ai répété la même chose, plusieurs fois, très doucement et lentement, tant et si bien qu’il s’est décidé à aller vérifier, et il l’a trouvée, bien sûr, et est entré. Il est resté figé près de la porte.
        « Que se passe-t-il ? » s’est-il écrié. « Pour l’amour de Dieu, qu’est-ce que tu fais ? »
        J’ai continué à ramper comme si de rien n’était, mais en le regardant par-dessus mon épaule.
        « Je me suis enfin échappée, » ai-je dit, « malgré toi et Jane. Et comme j’ai arraché la majeure partie du papier peint, vous ne pouvez pas m’y enfermer à nouveau ! »
        Mais pourquoi donc cet homme s’est-il évanoui ? Il a bel et bien perdu connaissance, et juste en travers de mon chemin près du mur, ce qui m’oblige à ramper par-dessus lui à chaque tour !

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