GILMAN, Charlotte Perkins – Selon Salomon

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      GaëlleGaëlle
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        Selon Salomon, Charlotte PERKINS GILMAN
        Texte original : According to Solomon, The Forerunner vol.1, n°2 (1909) – lire en ligne
        Traduction par Gaëlle pour Littérature Audio


        — « Celui qui réprimande un homme trouvera ensuite plus de faveur que celui dont la langue est flatteuse. », déclara M. Salomon Bankside à sa femme Mary.
        — C’est l’inverse pour une femme, je pense, lui répondit-elle, vous pourriez l’ajouter.
        — Tut, tut, tut, Molly, dit-il, n’ajoutez rien à ses paroles … Ne parlez pas à la légère de la sagesse du grand roi.
        — Ce n’est pas mon intention, chéri, mais… à force de l’entendre tout le temps …
        — « Celui qui détourne l’oreille pour ne pas écouter la loi, sa prière même sera une abomination » , répondit M. Bankside.
        — Je crois que vous connaissez chacun de ces vieux proverbes par cœur, dit sa femme avec un peu de fougue. Ça, ce n’est pas irrespectueux… Ils sont vieux ! Et j’aimerais que vous en oubliiez quelques-uns !
        Il lui sourit avec un air moqueur, rejetant ses lourds cheveux gris argentés avec ce geste qu’elle avait toujours aimé. Ses yeux étaient d’un bleu profond et lumineux sous leurs sourcils touffus ; et sa bouche était bienveillante, de sa manière sérieuse.
        — Je n’en ai pas moins de trois en tête à vous asséner, Molly, dit-il, mais je ne les dirai pas.
        — Oh je sais celui auquel vous pensez !  » Une femme querelleuse est pareille à une gouttière qui coule sans cesse par un jour de pluie.  » Je ne suis pas querelleuse, Salomon !
        — Non, vous ne l’êtes pas, admit-il sincèrement. Celui que j’avais vraiment à l’esprit était « Une femme avisée est un don du Seigneur« , et aussi « Celui qui trouve une femme trouve une bonne chose, et obtient la faveur du Seigneur.  »
        Elle courut autour de la table à sa façon impulsive que les années n’avaient pas affectée, et l’embrassa chaleureusement.
        — Je ne vous gronde pas, ma chère, poursuivit-il, mais si vous aviez tout l’argent que vous aimeriez donner, il ne resterait pas grand-chose !
        — Mais regardez ce que vous dépensez pour moi ! insista-t-elle.
        — C’est un sage investissement, et une récompense méritée, répondit calmement son mari.  » Celui qui donne libéralement, devient plus riche  » vous savez, ma chère,  » Et celui qui épargne à l’excès, ne fait que s’appauvrir  » ! Prenez tout ce que vous recevez, ma chérie – rien n’est trop beau pour vous.
        Il lui donna un baiser d’au-revoir avec une affection particulière, revêtit son lourd pardessus doublé de satin et se rendit à son bureau.


        M. Salomon Bankside n’était pas un Juif, bien que son nom de famille le suggérât et son prénom semblait le confirmer ; sa parfaite connaissance de l’Ancien Testament renforçait également cette idée. Non, il était du Vermont, d’une lignée ininterrompue issue de la Nouvelle Angleterre et d’une vielle ascendance de puritains anglais, où les Salomons, Isaacs et Sédécias n’étaient atténués que par les Gloire à Dieu et les Louons le Seigneur. Ils étaient tous obstinément, excessivement pieux, dans cette famille.
        Sa femme n’avait pas un pedigree aussi pur. Une veine de sang huguenot (du meilleur de France, sans qu’aucun d’eux ne le sache), une grand-mère d’Albanie avec un Van à son nom, une arrière-grand-mère avec un Mac, une autre avec un O’, et même un croisement allemand entrait quelque part. M. Bankside se consacrait à la généalogie, et avait eu de la peine à déterrer ces origines – plus il en trouvait, plus il se sentait mal à l’aise et dévaluait son opinion de l’ascendance de Mme Bankside.
        Elle avait été une jeune fille fascinante : jolie, avec la fougue et le piquant d’un passereau dans un pommier de mai ; intelligente et efficace dans tout ce qu’elle touchait de ses mains, une maîtresse de maison tout à fait exceptionnelle. Et le sévère et triste jeune homme venant de l’Est l’avait épousée sur une impulsion soudaine qui l’avait souvent étonné dans les années qui ont suivi – elle aussi.
        Ce qu’il n’avait pas suffisamment pesé à l’époque, c’était son incorrigible esprit d’indépendance, et une légèreté qu’il pouvait, après un jugement plus réfléchi, presque qualifier d’irréligieux. Toute sa conduite à lui était basée sur des règles, ancrée fermement dans l’habitude et soutenue par des citations bibliques. Celle de sa femme lui paraissait aussi futile que le vol d’un papillon de nuit. En y réfléchissant, de sa manière sérieuse et consciencieuse, il lui semblait que tous les errements de sa femme s’expliquaient à la lumière de ses recherches généalogiques, et que l’erreur qu’il avait faite était d’avoir épousé trop de personnes différentes à la fois.
        Ils avaient néanmoins été, et étaient encore, très heureux ensemble, bien que leur bonheur fût parfois un peu chancelant. C’était l’un de ces moments. On était le lendemain de Noël, et Mme Bankside entrait dans le grand salon, qui sentait le pop-corn et le sapin, et marchait lentement vers le coin où les présents d’hier avaient été déposés avec soin : si peu qu’elle avait pu donner – et tant qu’elle avait reçus.
        Il y avait tous ces objets assez interchangeables offerts par ses nombreux amis, « cadeaux » adaptés à n’importe quelle femme. Il y en avait quelques-uns parfaitement choisis par ceux qui la connaissaient le mieux. Il y avait le cadeau plutôt déroutant de Mme MacAvelly. Il y avait l’enveloppe blanche et rigide de son frère qui contenait un chèque. Il y avait les cadeaux adorables de ces enfants et petits-enfants.
        Enfin, il y avait celui de Salomon.
        C’était son habitude de lui offrir un objet imposant et onéreux, une offrande pour ainsi dire, soigneusement sélectionné, après mûre réflexion et évaluation de ses avantages. Mais il attachait de l’importance à la nature du cadeau – pas aux désirs de sa destinataire. Il y avait le piano dont elle ne savait pas jouer, la statue qu’elle n’admirait pas, l’œuvre complète de Dante qu’elle n’avait jamais lue, le lourd bracelet en or, la broche rigide en diamant – et ainsi de tous les autres. Cette fois, c’était un ensemble en zibeline, coûtant plus encore qu’elle ne se l’imaginait.
        Noël après Noël, ces choses lui étaient venues ; et elle se tenait debout là maintenant, en pensant à ce cortège de présents coûteux qu’elle n’appréciait pas, avec l’expression mêlée et changeante d’un kaléidoscope. Amour pour Salomon, fierté envers Salomon, respect pour le jugement de Salomon et la capacité de Salomon à payer, gratitude pour sa gentillesse sans faille et sa générosité, agacement de ce qu’il lui donnait toujours ce grand cadeau pérenne et précieux, alors qu’il savait si bien qu’elle préférait de loin les petits présents éphémères et bon marché. Son aversion personnelle pour les fourrures, la conviction désagréable que le brun ne lui allait pas – tout cela et plus encore remplissait la petite femme de ce que l’on appelait autrefois des « émotions conflictuelles ».
        Elle lissa de la main le chèque de son frère, regrettant comme toujours qu’il ne soit pas arrivé avant Noël, afin qu’elle puisse acheter plus de cadeaux aux personnes qu’elle aimait. Salomon aimait dépenser son argent pour elle – à sa façon ; mais il n’aimait pas qu’elle en dépensât pour lui – ou pour n’importe qui d’autre d’ailleurs. Une fois elle avait demandé à son frère s’il voudrait bien lui envoyer son cadeau de Noël plus tôt.
        — Jamais de la vie, Molly ! avait-il dit. Tu n’en verrais jamais un centime ! Tu ne peux pas leur acheter plus de choses à Noël, et il n’en resterait rien bien avant le prochain.
        Elle rangea le chèque et se retourna pour examiner son cadeau le plus bizarre. Sur cet examen minutieux entra sa donatrice.
        — Je vous suis très reconnaissante, Benigna, dit Mme Bankside. Vous savez combien j’aime fabriquer des choses. C’est un métier à tisser, n’est-ce pas ? Pouvez-vous me montrer comment on s’en sert ?
        — Bien sûr, ma chère, c’est justement pour cela que je suis accourue ici – je craignais que vous ne le sachiez. Mais vous êtes si habile de vos mains que je suis certaine que vous y prendrez plaisir, tout comme moi.


        C’est ainsi que Mme MacAvelly enseigna à Mme Bankside l’art séculaire du tissage. Et Mme Bankside l’apprécia plus que tout autre activité manuelle à laquelle elle s’était essayée. Elle s’y prit bien, commençant par des tissages assez grossiers et simples, et progressivement apprenant à maîtriser les travaux les plus fins. Comme elle dédaignait les vêtements de laine plus modernes, elle acheta de vrais fils de laine d’un beau rouge, et tissa de la flanelle chaude et légère dont elle s’empressa d’entourer ses petits-enfants.
        M. Bankside approuva chaleureusement, en murmurant affectueusement, « Elle cherche la laine et le lin – elle travaille volontiers de ses mains ». Il regarda les petits Bob et Polly « aider » vigoureusement le chaudronnier à dégager le trottoir, sautillant comme des oiseaux rouges avec leurs nouveaux bonnets et manteaux ; et son visage rayonna de la justesse de sa citation, lorsqu’il remarqua « Elle n’a pas peur de la neige pour les siens, car ils sont tous habillés d’écarlate ! » et il lui offrit spontanément un nouveau baiser, ce qui la réjouit beaucoup.
        — Cher homme ! dit-elle en le serrant contre elle, je crois que vous préféreriez trouver le proverbe adéquat plutôt qu’une mine d’or !
        Ce à quoi il répondit triomphalement :
        — « La sagesse vaut mieux que les rubis ; et toutes les choses que l’on peut désirer ne peuvent lui être comparées ».
        Elle se moqua gentiment de lui :
        — Et pensez-vous que la sagesse se soit arrêtée à une série de proverbes ?
        — On ne peut aller beaucoup au-delà, répondit-il calmement. Si nous étions à la hauteur de tout ce qu’il y a dans cette liste, nous ne devrions pas être loin de la sagesse, ma chère !
        Elle rit de nouveau, lissa sa crinière grise et l’embrassa dans la nuque.
        — Oh, vous, mon cher ! dit Mme Bankside.
        Elle passa beaucoup de temps avec son nouveau jouet, comme il l’appelait. Ses mains qui avaient été plutôt inactives étaient maintenant bien occupées. Sa santé s’améliora, et le moindre début de querelle qu’ils pouvaient occasionnellement avoir disparut entièrement ; de sorte que son mari fut pris d’une nouvelle admiration pour son tempérament joyeux, et cita pour la centième fois, « Elle ouvre sa bouche avec sagesse, et sur sa langue est la loi de la bonté ».


        Mme MacAvelly lui apprit à fabriquer des serviettes. Mais le talent de Mme Bankside surpassait le sien ; elle faisait preuve d’inventivité et concevait ses propres modèles. La finesse et la qualité de son travail s’améliorèrent, et elle remplit avec grande satisfaction son coffre à linge de son propre travail.
        — Je vous affirme, ma chère, lui dit Mme MacAvelly, que si vous étiez prête à les vendre, vous obtiendriez un bon prix de ces serviettes, celles avec les initiales tissées. Je sais que je pourrais vous obtenir des commandes – par l’intermédiaire de la Bourse des Femmes, vous savez !
        Mme Bankside était ravie.
        — Que ce serait amusant ! répondit-elle. Et je n’aurais pas du tout besoin d’y paraître ?
        — Non, absolument pas – laissez-moi essayer.
        Ainsi Mme Bankside fit des serviettes de grande valeur, douces, fines, splendides, jusqu’à en être lasse ; et dans la plénitude de son talent elle se mit à concevoir des ceintures tissées très élaborées. Celles-ci furent extrêmement admirées. Toutes ses amies en voulaient une, voire plus. La Bourse s’en empara, il y avait une demande distincte. Et finalement, Mme MacAvelly arriva un jour avec un air d’importance et une commande particulière.
        — Je ne sais pas ce que vous allez en penser, ma chère, dit-elle, mais il se trouve que je connais très bien les Percy – les propriétaires des grands magasins, vous savez. Et M. Percy me parlait de vos ceintures – bien sûr il ne savait pas qu’elles étaient de vous. Mais il m’a dit (parce que les gens de la Bourse lui ont dit que je savais, vous comprenez), il m’a dit : « Si vous pouvez passer une commande auprès de cette femme, je prendrai tout ce qu’elle fera et en paierai le prix fort. » « Est-elle pauvre ? » a-t-il demandé. « A-t-elle besoin de ce travail pour vivre ? » Et je lui ai répondu « En aucune manière ». Et je pense qu’il pense que c’est intéressant ! Quoi qu’il en soit, voilà la commande. L’accepterez-vous ?
        Mme Bankside était très excitée. Elle en avait très envie, mais redoutait d’offenser son mari. Jusqu’à présent, elle ne lui avait pas parlé de son discret commerce de serviettes ; mais elle avait caché et mis de côté cet argent précieux – le premier qu’elle avait jamais gagné. Les deux amies discutèrent longuement des avantages et des inconvénients. Et finalement, un peu troublée, elle décida d’accepter la commande.
        — Vous ne le direz jamais, Benigna ! insista-t-elle. Salomon ne me le pardonnerait pas, j’en ai peur.
        — Bien sûr, n’ayez aucune crainte ! Vous me les donnez – je m’arrêterai avec la voiture que vous voyez – et je les apporterai à la Bourse. Il les récupèrera là-bas.
        — On dirait de la contrebande ! se réjouit Mme Bankside. J’ai toujours aimé faire de la contrebande !
        — On dit que les femmes n’ont aucun respect des lois, n’est-ce pas ? suggéra Mme MacAvelly.
        — Pourquoi le devrions-nous ? répondit son amie. Ce n’est pas nous qui les faisons – ni Dieu, ni la nature. Pourquoi diable devrions-nous respecter un ensemble de règles stupides établies par certains hommes un jour et changées par d’autres le lendemain ?
        — Que Dieu nous garde, Molly ! Parlez-vous ainsi à M. Bankside ?
        — Bien sûr que non ! , répondit son hôtesse, en prenant une ceinture étoilée particulièrement belle pour la faire admirer. Il y a beaucoup de choses que je ne dis pas à M. Bankside. Le proverbe dit « L’homme intelligent garde le silence », vous savez – la femme aussi.
        C’était une jolie personne, ses cheveux semblaient poudrés comme ceux d’une marquise, ses joues roses et sa silhouette ferme et légère faisaient penser à une charmante porcelaine de Dresde. Mme MacAvelly la considérait avec admiration.
        — « Quand il n’y a plus de bois, le feu s’éteint ; ainsi, quand il n’y a pas de calomniateur, la querelle s’apaise » , proposa-t-elle fièrement. Je peux moi-aussi faire des citations.
        Malgré tout Mme Bankside avait quelque appréhension à poursuivre sur cette voie audacieuse. Les heures où elle était occupée semblaient s’envoler, et elle était toujours surprise des chèques qui volaient en retour vers elle et s’accumulaient en manière de gratification. Elle était souriante et douce à ses dîners, parfaitement organisés ; elle était toujours bien habillée, passait des soirées tranquilles avec son mari ou sortait avec lui en faisant preuve à son égard d’une telle tendresse et d’un tel charme que le cœur de son époux se réchauffait à nouveau pour la femme de sa jeunesse. Et il se laissait même aller à un peu d’indulgence envers ses ancêtres hétéroclites. Alors que les jours raccourcissaient et devenaient plus sombres, elle brillait de plus en plus. Elle chantonnait de temps à autre, jouait gaiement quelques notes sur le grand piano, lançait soudainement à son mari des mots affectueux, des caresses charmantes.
        — Molly ! dit-il, je ne peux croire que vous ayez plus de vingt ans ! Qu’est-ce qui vous fait vous comporter ainsi ?
        — N’aimez-vous pas cela, Sa ? lui demanda-t-elle.
        C’était le diminutif le plus proche de son prénom qu’elle utilisait.
        Il aimait cela, bien sûr, et il lui donna même dix dollars supplémentaires pour acheter des cadeaux de Noël, tandis qu’il réfléchissait à lui offrir une voiture légère – à elle, qui avait peur d’une brouette ! …


        Lorsque le jour de Noël arriva et que la famille fut toute réunie, Mme Bankside, portant la broche en diamant, le bracelet en or, le mouchoir en dentelle – tout ce qu’elle pouvait accumuler de la générosité de son mari – et arborant triomphalement un tel air de mystère que le sapin lui-même semblait triste à côté d’elle, distribua à ses proches étonnés un si grand nombre de cadeaux qu’ils ne trouvèrent pas de mots pour exprimer leur gratitude.
        — Ça alors, Mère ! dit Jessie, dont le mari était un pasteur et rémunéré comme tel, ça alors, Mère, comment avez-vous su que nous voulions justement ce genre de tapis ? Et une machine à coudre aussi ! Et cette charmante tenue et, et … ça alors, Mère !
        Et son gendre la prit à part et l’embrassa solennellement. Il avait désiré cet ensemble de livres de sociologie pendant des années – sans jamais espérer les obtenir ; et cette série de magazines aussi.
        Nellie, elle, avait fait un « beau mariage » ; elle était moins ostensiblement gâtée ; mais elle avait exprimé sa reconnaissance une semaine plus tôt, lorsque sa mère lui avait remis un chèque.
        — Chut, chut ! ma chèrie ! lui avait dit sa mère, ne dis pas un mot – je sais ! Quel temps agréable nous avons !
        Ce gendre-là aussi fut agréablement surpris, ainsi que tous les autres membres de la famille, mariés et célibataires, tandis que les enfants s’agitaient parmi leurs affaires et leurs jouets, voyant ce Noël comme tous les autres, comme une période de joie absolue.
        M. Salomon Bankside regardait cela avec un étonnement croissant, faisant des calculs dans son esprit pratique, mais ne disant rien. Pouvait-il faire des critiques à sa femme devant les autres ? Mais quand son tour vint, quand il fut couvert de cadeaux – assortiments de mouchoirs en soie (il ne pouvait pas supporter le contact d’un mouchoir en soie !), une boîte de cartes et de jetons de toutes sortes (il ne jouait jamais aux cartes), un échiquier incrusté avec des pièces en ivoire (le jeu lui était inconnu), une magnifique épingle à cravate (il détestait les bijoux), une boîte de bonbons de cinq livres (il n’en mangeait jamais), des émotions si fortes affluèrent en lui que, ne voulant pas les exprimer et ne pouvant les réprimer, il monta rapidement les escaliers jusqu’à sa chambre.
        Elle l’y rejoignit plus tard, entrant en rougissant, en souriant et en pleurant un peu aussi – à la manière d’une enfant espiègle mais charmante. Il déglutit en la regardant, et sa voix était un peu crispée.
        — Je peux accepter une plaisanterie aussi bien que n’importe quel homme, Molly. Je suppose que nous sommes d’accord sur ce point. Mais, ma chère, où avez-vous trouvé tout cet argent ?
        — Je l’ai gagné, dit-elle, en baissant la tête et jouant avec son mouchoir en dentelle.
        — Gagné ! Ma femme gagne de l’argent ! Comment … si je peux me permettre de demander ?
        — Par mon tissage, mon cher… Les serviettes et les ceintures… je les ai vendues. Ne soyez pas en colère, personne ne le sait, mon nom n’apparaît pas ! Je vous en prie, ne soyez pas en colère ! Ce n’est pas mal, et c’était si amusant !
        — Non … ce n’est pas mal, je suppose, dit-il d’un ton sinistre. Mais c’est assurément pour moi très mortifiant et douloureux –- sans aucun précédent.
        — Pas sans précédent, mon cher, insista-t-elle. Même la femme que vous respectez le plus l’a fait ! Ne vous souvenez vous pas de « Elle tisse du lin fin et le vend, et livre des ceintures aux marchand » ?
        M. Bankside fut totalement effondré.
        Après un moment il s’y habitua, et même en devint fier. Si un ami se risquait à en faire une critique, ou à le plaindre, il répondait calmement « Le cœur de son mari a confiance en elle, et les profits ne lui feront pas défaut. » « Récompensez-la du fruit de son travail, et qu’aux portes ses œuvres la louent. »

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