MALLARMÉ, Stéphane – Poésies

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  • #146378
    VictoriaVictoria
    Participant

      MALLARMÉ, Stéphane – Poésies


      Apparition





      La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
      Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
      Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
      De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
      – C’était le jour béni de ton premier baiser.
      Ma songerie aimant à me martyriser
      S’enivrait savamment du parfum de tristesse
      Que même sans regret et sans déboire laisse
      La cueillaison d’un Rêve au coeur qui l’a cueilli.
      J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli
      Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
      Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
      Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
      Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
      Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
      Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.

      #146379
      VictoriaVictoria
      Participant

        L’Azur





        De l’éternel Azur la sereine ironie
        Accable, belle indolemment comme les fleurs,
        Le poëte impuissant qui maudit son génie
        A travers un désert stérile de Douleurs.

        Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
        Avec l’intensité d’un remords atterrant,
        Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
        Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?

        Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
        Avec de longs haillons de brume dans les cieux
        Que noiera le marais livide des automnes,
        Et bâtissez un grand plafond silencieux !

        Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
        En t’en venant la vase et les pâles roseaux,
        Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse
        Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.

        Encor ! que sans répit les tristes cheminées
        Fument, et que de suie une errante prison
        Eteigne dans l’horreur de ses noires traînées
        Le soleil se mourant jaunâtre à l’horizon !

        – Le Ciel est mort. – Vers toi, j’accours ! Donne, ô matière,
        L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché
        A ce martyr qui vient partager la litière
        Où le bétail heureux des hommes est couché,

        Car j’y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
        Comme le pot de fard gisant au pied d’un mur,
        N’a plus l’art d’attifer la sanglotante idée,
        Lugubrement bâiller vers un trépas obscur…

        En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante
        Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
        Nous faire peur avec sa victoire méchante,
        Et du métal vivant sort en bleus angelus !

        Il roule par la brume, ancien et traverse
        Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
        Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
        Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !

        #146380
        VictoriaVictoria
        Participant

          Brise marine




          La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
          Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
          D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
          Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
          Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
          Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
          Sur le vide papier que la blancheur défend
          Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
          Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
          Lève l’ancre pour une exotique nature !

          Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
          Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
          Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
          Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
          Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …
          Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

          #146381
          VictoriaVictoria
          Participant

            Le Tombeau d’Edgar Poe




            Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change,
            Le Poète suscite avec un glaive nu
            Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu
            Que la mort triomphait dans cette voix étrange !

            Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
            Donner un sens plus pur aux mots de la tribu,
            Proclamèrent très haut le sortilège bu
            Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.

            Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
            Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
            Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne

            Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
            Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
            Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.

            #142160
            VictoriaVictoria
            Participant
              #146382
              VictoriaVictoria
              Participant

                Le Vierge, le vivace et le bel aujourd’hui



                Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
                Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
                Ce lac dur oublié que hante sous le givre
                Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !

                Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
                Magnifique mais qui sans espoir se délivre
                Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
                Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.

                Tout son col secouera cette blanche agonie
                Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
                Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.

                Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
                Il s’immobilise au songe froid de mépris
                Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.

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