NANCES, Olivier (de) – Le Raid Évasion

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    Daniel LuttringerDaniel Luttringer
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      Daniel LuttringerDaniel Luttringer
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        Olivier de NANCES – Le Raid Evasion



        1- Evadés poursuivis

        Vendredi 4 juin 1976.

        Après nous avoir secoués dans tous les sens pendant une bonne heure, le camion bâché finit par s'arrêter dans la cour d’une ferme à moitié en ruines. La nuit tombe. Les phares du camion éclairent une petite porte sur la façade en pierres. Avec tout le peloton d'élèves officiers, je viens de passer dans les bois une grosse journée d'entraînement au combat. Nous sommes tous fourbus, et malgré les secousses du camion, nous avons somnolé sur les bancs à l'arrière. Dès l'arrêt, nous rouvrons les yeux

        D'une des jeeps qui s'arrêtent derrière nous, le capitaine saute à terre

        – Débarquez!

        Le chauffeur du camion est déjà descendu, il fait le tour et nous ouvre la porte abattante à l’arrière. Il déplie les marchepieds et nous, les 18 élèves officiers de la 134ème promotion de l'école de San Marin, sautons à terre.

        Je jette un coup d'œil à Paul, mon ami. Que va-t-il se passer? Nous savons qu'une épreuve particulièrement difficile nous attend. Cette sortie qui boucle notre troisième mois d'instruction est destinée à tester notre endurance à l'effort, à éprouver notre caractère, en gros à voir ce que nous avons dans les tripes. Donc nous allons en baver. Mais de quelle manière ? Nous ne savons rien des épreuves que les gradés nous ont préparées.

        Le capitaine ne nous laisse pas le temps de nous poser plus de questions.

        Rentrez!

        Par la porte basse, éclairée par le camion, nous pénétrons un par un dans une petite salle éclairée par deux lampes à gaz. Sans doute une des rares pièces qui aie encore un plafond au milieu de ces ruines.

        A l’intérieur, nous nous serrons debout contre le mur de gauche. En face de nous, le commandant responsable de l'instruction, attend devant un tableau de papier blanc. Dès que nous sommes tous réunis en face de lui, il entame son briefing.

        « Messieurs, je ne vais pas vous faire un long discours. La manœuvre, très simple, est la suivante: Vous êtes des prisonniers de guerre, retenus dans un camp, à l'intérieur des lignes ennemies. Grâce à la complicité de partisans vous avez réussi à vous évader et vous devez maintenant rejoindre vos lignes à 100 km au nord. Vous n'avez que 48 heures, soit 2



        nuits et 2 jours, pour les atteindre, car vous savez qu'une opération ennemie de grande envergure rendra ensuite tout déplacement impossible.

        Vous allez être lâchés en camion par groupe de 4, munis seulement d'un plan approximatif dont vous voyez une copie sur ce tableau. Remarquez bien cette rivière, la “Dévone” à droite du plan. Vous allez devoir la suivre plus ou moins tout au long de votre parcours, jusqu'à la Loire, tout en haut sur le plan. Vous serez rendus dans vos lignes, donc au bout de l’épreuve, quand vous aurez franchi le fleuve.

        Bien entendu, l'ennemi , figuré par un plastron, ne va pas vous laisser filer comme ça. Vous serez poursuivis jour et nuit, jusqu'au bout. Vous devrez tout faire pour ne pas être repris. Si vous vous faîtes prendre, ce sera un échec et le plastron vous reculera de 5 km à chaque fois. Soyez vigilants, soyez intelligents, débrouillez-vous !

        J'allais oublier, la population locale n'est ni pour, ni contre vous. Selon les circonstances elle peut soit vous aider, soit renseigner le plastron. A vous de savoir vous entendre avec elle. Bien entendu, il n’est pas question de voler ou de forcer ces gens à faire quoi que ce soit.

        Enfin, vous allez être fouillés avant de partir pour vérifier que vous n'emportez pas par étourderie, nourriture, couteau, boussole, montre, carte du pays, ou même de l'argent. Vous avez beaucoup de chance, nous vous laisserons vos rangers avec leurs lacets.

        L’exercice est tellement simple. J'espère qu'il n'y a pas de questions parce que je n'y répondrais pas.

        Dernier détail, qui va donner un peu de croustillant à l'affaire : Nous avons reçu des instructions de l'état major pour renforcer la coopération entre les groupes d'instructions masculins et féminins. Les grandes huiles de l'état major nous demandent de multiplier les exercices mixtes entre élèves officiers. En application de cette instruction, chaque groupe de 4 évadés sera formé de deux d'entre vous et de deux élèves officiers féminins de l'école de Marquet. »

        Bien entendu, il n'est pas question de manifester devant le commandant un quelconque sentiment d'enthousiasme, mais un mince sourire apparait sur les visages. Géniale l'armée d'aujourd'hui, ils nous fournissent des filles pour nous soutenir le moral dans les moments difficiles!

        Riez bien, reprend le commandant qui a bien senti notre joie, vous rirez moins quand vous en serez à la 23 ème pause pipi, quand vous devrez gérer les crises de nerf ou quand il faudra porter les greluches sur votre

        dos pour continuer à avancer parce qu'elles auront des ampoules plein les pieds. Je vous souhaite bien du plaisir.

        Nullement macho le commandant!

        Le discours est terminé, tout le peloton est renvoyé dans la cour. Un repas froid nous est distribué et rapidement avalé dans la lumière des phares du camion. La température est douce. C’est une belle nuit de début d’été. Une multitude d’étoiles scintillent au-dessus de nous dans un ciel clair.

        Je m'approche de Paul:

        On essaie d'être ensemble?

        Ouais, si on peut.

        A ce moment là, le capitaine apparaît sur le seuil de la petite porte:

        Groupez-vous par deux et attendez devant cette porte qu'on vous fasse entrer.

        Très vite, un premier binôme entre. Dix minutes plus tard le capitaine fait entrer le deuxième. Nous restons donc 14 dans la cour, en plus des chauffeurs qui fument ensemble un peu plus loin. A part quelques réflexions humoristiques destinées à détendre l'atmosphère, chacun reste silencieux. La journée a été épuisante et sans être vraiment inquiets nous essayons d'imaginer une cavale de 48 heures avec deux filles. Les filles, c'est sympa et tous nous aimons tous leur compagnie, mais dans une balade éreintante comme celle qui nous attend ces deux jours, est-ce que ce ne sera pas encombrant? Le commandant n'a peut- être pas tout à fait tord… J'aimerai bien voir la tête des deux filles que nous allons percevoir… Enfin, il suffit d'attendre.

        Quelques minutes plus tard, le cinquième binôme est appelé. C'est nous. Paul entre le premier, je le suis.

        L'éclairage de la pièce n'a pas changé, mais une grande table a été posée qui la sépare en deux. Deux sergents, un lieutenant et notre capitaine nous attendent debout de l'autre côté.

        Nous nous approchons.

        Allez, on se déshabille, toutes vos fringues sur la table!

        Allez, à poil, et plus vite que ça!

        Nous obtempérons. Les gradées fouillent toutes nos poches, glissent la main dans nos rangers, vérifient tous les ourlets de tous nos vêtements au cas où nous aurions tenté de dissimuler quelque chose.

        Quasiment au garde-à-vue, nus et grelottant dans cette pièce humide, nous n'avons d'autre chose à faire qu'à les regarder palper nos vêtements, “sous toutes les coutures”.

        Je pense tout à coup que nos deux équipières n'ont pas été invitées à la fouille. Cela aurait pu faire un démarrage croustillant.

        Ça vous fait rire Guillot?

        Non mon lieutenant.

        Décidément, il va falloir que j'apprenne à mieux cacher ce que je pense. Ça risque de me jouer des tours.

        C'est bon, récupérez vos affaires, aboie le capitaine.

        J'attrape une de mes chaussettes et l'enfile sur un pied lorsque j'entends:

        Non mais vous ne croyez tout de même pas qu'on va attendre que vous soyez rhabillés. Récupérez tout et filez par la porte du fond.

        Je récupère mes rangers d'une main et mes vêtements en boule de l'autre. Je suis Paul qui s'est arrêté devant la fameuse porte du fond et hésite à en franchir le seuil. La pièce suivante est dans le noir total.

        Je n'ai pas le temps de réfléchir plus, une forte poussée venant de derrière me précipite contre Paul que je bouscule. La porte s’ouvre. Avec l'élan nous entrons et manquons de tomber sur le sol. La porte se referme derrière nous. Heureusement des voix amicales nous chuchotent des conseils:

        Les quatre premiers binômes sont là, tassés dans le fond de ce petit réduit pour nous faire de la place et nous aider à nous rhabiller sans mélanger toutes nos affaires. C'est cela la solidarité entre nous. Et c'est parce que nous faisons tout pour nous soutenir les uns les autres que nous arrivons à surmonter les épreuves qui jalonnent notre formation.

        Toute notre force est là, dans cette entraide permanente et inconditionnelle sans laquelle nous ne pourrions pas tenir. Cela s’appelle la cohésion, et c’est bien ce que les gradés cherchent à créer entre nous.

        Dans le noir total, j'identifie mes vêtements à tâtons et je m'habille sans traîner, car il faut que la place soit dégagée quand arriveront les deux suivants.

        Un peu plus tard, quand le dernier binôme est propulsé dans le réduit, la place disponible est saturée. Nous avons beau nous serrer, les deux arrivants ont tout juste la place d’entrer. Ils restent debout et se font rhabiller par ceux qui les entourent…

        Nous attendons ainsi une bonne demi heure, nous prenant pour des sardines en boîte. Un clocher sonne au loin, il est minuit. Pour passer le temps, des plaisanteries fusent à mi-voix:

        Bon, les gars il va falloir vous serrer un peu plus, parce que dans trois minutes, ils font faire entrer vingt filles complètements nues et ce sera à nous de les rhabiller dans le noir.

        Dans ce cas, je ne sais pas pourquoi on a renfilé nos treillis, on aurait mieux fait de rester comme on était.

        Eh les gars, arrêtez un peu vos fantasmes, vous vous excitez pour rien. Le commandant a oublié de vous dire, mais chaque binôme de filles sera chaperonné par une vieille adjudante acariâtre qu'il faudra traîner jusqu'à l'arrivée.

        Rassure-toi, la vieille adjudante acariâtre, je l'aurais larguée dans un fossé avant le troisième virage.

        Ca dépend, il y a des vieilles qui sont bien conservées…

        SILENCE! Entend-on crier derrière la porte.

        Chacun reprend le cours de sa méditation solitaire. En fait je crois bien qu'une majorité est en train de se dire que s'il y avait un peu plus de place, on essayerait bien de s’asseoir et de piquer un petit roupillon.

        Nous sommes tous bien fatigués et les deux prochaines nuits risques d'être très courtes.

        Enfin la porte s'ouvre, un sergent nous fait signe de sortir, nous retraversons la première salle qui est maintenant vide et ressortons dans la cour.

        Un deuxième camion est arrivé et s’est garé contre le nôtre. Malgré l’obscurité, nous devinons rapidement qu'il y a du monde à l'arrière sous les bâches dans les deux camions. Les portes abattantes sont ouvertes et les marches-pieds dépliés. Le capitaine se place à l’arrière du premier camion et une liste dans une main, une lampe dans l'autre, il appelle:

        Ferrand et Montagu, vous formerez le groupe N°1 avec Falicci et d'Armoise. Voici votre feuille de route. Montez! Au fond à gauche!

        Nous comprenons que les deux derniers noms que nous ne connaissons pas correspondent à deux minettes qui attendent sagement dans le camion et qui vont intégrer le premier groupe. Trois autres binômes appelés tour à tour par le capitaine, viennent compléter ce premier camion qui part aussitôt. Le capitaine se déplace vers le deuxième:

        Guillot et Martin, vous formerez le groupe N°5 avec Perrin et Arrinacova. Au fond à gauche! Montez!

        Guillot c'est moi, Martin, c'est Paul. Perrin et Archimachin ce doit être nos belles équipières. Enfin, belles? Difficile à savoir. Il fait nuit noire et sous la bâche il fait encore plus sombre. La faible lueur diffusée par la lampe du capitaine fait apparaître deux silhouettes sombres coiffées d'une casquette et assises sur le banc. Nous nous asseyons à côté d'elles et le capitaine appelle les autres binômes qui montent à leur tour. Le chauffeur remonte la porte arrière et démarre de suite.

        Le camion rejoint la route en reprenant le chemin défoncé par lequel nous sommes venus. Comme d'habitude, nous nous faisons sérieusement secouer et il s'agit de se cramponner. Curieusement, personne ne dit rien. Pourtant nous aurions beaucoup de questions à poser à nos équipières, mais le conditionnement est tel (l'habitude de faire profil bas) que nous préférons nous taire et attendre d'être seuls, libérés de la surveillance des gradés, pour prendre un premier contact.

        Nous roulons maintenant sur la route. Nous sommes moins secoués. Paul s'est agenouillé contre la ridelle, il penche la tête à l'extérieur et observe vers l’avant, la portion de route éclairée par les phares.

        Le camion freine brusquement et s'arrête. Paul se rassoit au plus vite. Le capitaine descend de la cabine :

        Le groupe 5, à terre!

        Nous sautons par-dessus la ridelle, les deux filles nous imitent, en souplesse.

        Voici votre feuille de route. Ici le numéro de téléphone en cas de problème grave. Vous savez dans quelle direction vous devez partir?

        Par là, mon capitaine. Répond Paul en indiquant la direction d'où nous venons.

        Parfait, bon raid, à après demain.

        Le camion repart, et nous nous retrouvons seuls dans l'obscurité, au bord d'une petite route déserte. Sans même prendre le temps de nous présenter, Paul déclare:

        Ne restons pas là, la route c'est trop dangereux, il faut disparaître au plus vite. La rivière ne doit pas être bien loin, par là, à droite. Au moins ce sera plus facile de se planquer si on se fait surprendre. Enfin si vous êtes d'accord…

        J'approuve:

        C'est évident qu'il ne faut pas rester sur cette route.

        OK, répond une des filles.

        Nous nous enfilons dans le bois, tout droit à travers les broussailles. Paul fonce le premier, je le sens pressé. Il arrache les ronces à grandes foulées sans se soucier des épines qui doivent pourtant le griffer et écarte les branches en se protégeant le visage de ses bras repliés.

        J'accélère la cadence pour le suivre et je sens que les filles font des efforts pour ne pas se laisser distancer. Heureusement nous arrivons assez vite à la rivière. Les filles sont essoufflées, sans doute surprises par le rythme du démarrage, mais n'osent trop rien dire. En chuchotant, je me fais leur porte parole:

        Dis Paul, on est obligé de se précipiter comme ça?

        Désolé, mais j'ai le pressentiment qu'ils nous ont volontairement largués dans un piège. Longeons la rivière, le plus discrètement possible.

        Une petite sente, sans doute un passage de chasseurs ou d’animaux, suit le cours d'eau. Aidés par la faible lumière d'un croissant de lune, nos yeux qui sont habitués à l'obscurité nous permettent de voir le minimum pour nous suivre sans nous percuter ni nous perdre de vue. Nous avançons rapidement et assez facilement.

        Je me dis que ça y est, nous sommes partis. Je savoure cet instant particulier. Pour le moment je suis en excellente forme, je ne suis pas trop fatigué, j'ai l'estomac plein et je n'ai mal nulle part. Je n'ai ni froid ni trop chaud, pas même soif. La douceur de cette nuit de juin et la présence des filles confirme l'ambiance “petite balade nocturne” en camp de vacances. Si nous pouvons continuer à avancer comme ça pendant 48 heures, tout sera pour le mieux, et finalement ce raid tant redouté ne sera peut-être pas si terrible.

        Tout à coup un bruit de camion, des phares sur la route qui nous parait bien proche, un coup de frein, des cris. Un camion s'est arrêté avec les phares braqués dans notre direction. Heureusement la végétation broussailleuse du bois limite beaucoup leur portée.

        Immédiatement nous nous sommes arrêtés et accroupis. Paul qui marchait en tête se retourne vers nous et dit:

        Je m'en doutais.

        Le camion doit être à une centaine de mètres. Il doit transporter une vingtaine de bonhommes du plastron qui en descendent bruyamment. Un gradé crie des ordres pour les placer en position sur une ligne entre la rivière et la route et ratisser tout le bois. Ils vont évidement venir dans notre direction. Heureusement pour nous leur mise en place dans ce sous-bois broussailleux ne va pas tout seul.

        S’ils avancent comme ça, ils vont forcément nous trouver! Commente Paul.

        D'un regard circulaire il cherche une issue par où nous nous échapper. Nous sommes dans une étroite bande de terrain boisé, coincés entre une route facile à surveiller et la rivière qui nous barre le passage.

        Je ne vois qu'une solution, ajoute-t-il. Il faut traverser la rivière. Tout le monde sait nager?

        Pas de réponse. Pourtant la perspective de se plonger dans cette eau remuante, noire et froide ne nous enchante pas du tout. De plus si la largeur, dix à quinze mètres environ, ne parait pas excessive, nous n'avons aucune idée de la profondeur.

        Paul se fait pressant :

        On n'a pas le choix. Il faut y aller, et vite. Ne traînons pas. Pas le temps de nous déshabiller, ils seront là dans quelques minutes.

        Sans attendre notre accord, Paul donnant l’exemple, se faufile entre deux buissons et se laisse glisser dans l'eau, les pieds en avant. Il en a jusqu'à la ceinture. Immédiatement, il se lance dans la traversée. Je jette un coup d'œil inquiet aux filles qui s'approchent à leur tour. Elles ne sont sans doute pas ravies, pourtant elles n'hésitent pas.

        Juste après elles, je m’assoie sur le berge et me laisse glisser sur l'herbe du talus comme sur un toboggan. Mes pieds et mes jambes s'immergent d'un coup.

        L'eau froide me remplie les rangers et me saisit jusqu'en haut des cuisses. Je me force à marcher le plus vite possible et je progresse derrière les filles, Je concentre mon regard sur une masse claire qui doit être la rive d'en face. L'eau continue de monter jusqu'à mon ventre puis jusqu'à ma poitrine et me fait frissonner. J'ai besoin de toute mon énergie pour continuer à avancer. Le courant qui n’a pourtant rien de violent en cet endroit me pousse fortement de côté et le sol de galets ronds n'étant pas stable, je manque de tomber à chaque pas. Les deux filles se tiennent par la main pour être plus stables. Elles continuent leur progression sans rien dire. Quand j’arrive au milieu de la rivière, je suis tenté de me mettre à nager, mais avec les rangers aux pieds j'ai peur que ce soit difficile et bruyant. Car évidement, pour corser la difficulté, nous devons faire le minimum de bruit.

        Heureusement, à cet endroit la Dévone ne fait qu'une quinzaine de mètres de largeur et nous avons pied partout. Très vite nous commençons à remonter vers l'autre berge, Les deux filles avancent toujours, juste à côté de moi, se tenant toujours l'une à l'autre, presque sans bruit. Je me retourne. Derrière nous, dans le bois que nous venons

        de quitter, les faisceaux des lampes torches s’agitent en tous sens. On devine une agitation fiévreuse. La ligne de nos poursuivants atteint presque le point où nous nous sommes mis à l’eau. Cela nous pousse à franchir encore plus vite les quelques mètres qui nous restent.

        Enfin nous atteignons l'autre bord, nous n'avons plus de l'eau qu’à mi- cuisse. Nous pataugeons dans les branches basses et les plantes aquatiques qui gênent notre progression et nous entravent les pieds. Devant moi, Paul se retourne à son tour, pour connaître l'avance de nos poursuivants. Nous nous regroupons et nous retrouvons sur une seule ligne pour sortir de l'eau.

        Je veux m'élancer pour gravir d'un bond le talus haut comme un mur, qui forme la berge, mais Paul me retient.

        Reste là!

        Je m'accroupis dans l'eau à côté de lui. A ce moment le faisceau d'une puissante lampe torche balaye notre rive. Les deux filles se sont aussi accroupies derrière un arbuste et ne bougent plus. Avec la végétation qui nous entoure nous sommes quasiment invisibles, à condition de rester immobile. Pourtant le faisceau lumineux repasse. Peut-être dans notre précipitation, avons-nous laissé des traces sur l'autre rive en nous glissant dans l'eau?

        Nos poursuivants vont-ils tenter de traverser à leur tour? Dans ce cas il va falloir escalader ce haut talus et détaler au plus vite pour avoir une chance de les semer.

        Mais non. La torche et son porteur reprennent leur cheminement sur la berge opposée tout en conservant l'alignement approximatif avec les autres lampes plus loin dans le bois. Le « râteau » continue sa progression. Nous avons échappé à ses dents.

        Nous restons encore une bonne minute immobiles dans l'eau, puis tout danger paraissant écarté, nous nous relevons. Personne n'ose encore parler. Seul Paul prend la parole et lance en chuchotant:

        Allez, finissons de nous sortir de là!

        En deux pas nous sortons de l'eau et nous n'avons plus qu'à escalader les trois ou quatre mètres du haut talus qui forme la berge. Cette masse claire que nous avons aperçu depuis l’autre rive est très raide et formée d’un mélange de terre sablonneuse et de pierres instables, avec très peu de végétation.

        Paul le premier, se lance à l'assaut de ce mur. Je l'imite quelques mètres plus loin. Mais sur cette pente constituée d’éboulis, après avoir grimpé deux mètres à peine, je n'arrive plus à progresser. Mes genoux glissent

        dans la poussière et les arbustes que je tente d’empoigner me restent dans les mains. Aucune autre prise n'est disponible. Paul ne fait guère mieux. Nous nous regardons d'un air piteux. “Impossible de monter par là.”

        Un bruit d'éboulement attire alors notre regard vers notre droite. La plus grande des deux filles a réussi à prendre position sur une racine à mi- hauteur et elle aide l'autre à grimper. En quelques tractions escaladant sa compagne, celle-ci se retrouve en haut.

        Par ici, nous appelle la première qui est toujours cramponnée à sa racine.

        Elle nous tend la main. Nous abandonnons notre position et nous nous laissons glisser, jusqu’à l'eau. Le premier je retente l'ascension juste sous notre amie qui me tend la main. Dès que je peux la lui saisir, elle me tire à elle avec force incroyable. Aussitôt je peux me redresser à son côté. Puis de ses deux mains, elle me fait la courte échelle. J’hésite une seconde à utiliser une fille comme un escabeau et à mettre ma rangers boueuse et mes 82 kilos dans ses mains délicates. Mais il faut bien sortir de là. D’un bond je m’élance, et prends appuis de l’autre pied sur son épaule. D'en haut son amie me tend une main un peu moins solide, mais qui m'aide à me rétablir au sommet.

        Presque aussitôt, Paul arrive par le même chemin. A nous deux, couchés au sol et en nous penchant, nous parvenons à saisir les deux mains de notre sauveteuse et la tirons jusqu'en haut. Enfin, nous nous reculons de quelques mètres et nous pouvons faire la première pause de notre périple.

        C'est la dernière arrivée, la plus costaud, qui parle en premier:

        Nous ne devons pas être belles à voir!

        En effet, complètement trempés avec une bonne couche de poussière collée par-dessus, on doit ressembler à des poissons panés.

        Qu'est-ce qu'on fait? Je suis gelée, si on reste comme ça, on est bon pour une bonne crève.

        Paul n'a encore rien dit, il s'est assis sur une pierre et reprend son souffle, puis constate:

        Il nous en manque une!

        Elle ne doit pas être bien loin répond sa compagne. Tiens, la voilà!

        En effet, la plus menue des deux filles, arrivée la première, est partie explorer les environs. Elle revient en trottinant légèrement.

        2- Une cabane accueillante

        Il y a une cabane de jardinier un peu plus loin. Elle est fermée à clef, mais vous saurez peut être l'ouvrir.

        Paul lui répond.

        On a des bornes à faire, et pas beaucoup de temps pour les faire… Mais c'est vrai qu'on ne peut pas continuer dans cet état, allons voir.

        Rapidement nous trouvons cette mini maison à l'angle d'un grand potager, adossée à une haie. Solidement construite en pierres, elle forme un carré de quatre ou cinq mètres de côté Elle est couverte d'un toit de tuiles à double pente avec un petit bout de cheminée. Elle parait bien entretenue. La fenêtre est protégée par un gros volet et la porte est solide. Une chaîne et un cadenas empêchent de l'ouvrir. Paul tire sur la chaîne et entrebâille la porte pour jeter un coup d'oeil à l'intérieur, mais dans l'obscurité, il ne peut rien voir.

        On ne va pas lui fracturer sa porte!

        Bien sûr que non, on n'est pas des vandales.

        Pourtant on est trempés et gelés, si on pouvait trouver de quoi faire du feu…

        Oui, un bon feu, une douche chaude et un peignoir tout chaud.

        Et après un bon petit souper, un petit feuilleton à la télé et un bon lit douillet.

        On verra si on trouve tout ça là dedans, mais pour l'instant on est dehors.

        Je regarde la porte de plus près. Il y a sûrement un moyen. Il y a presque toujours un moyen. Il faut trouver le point faible. Surtout qu'une cabane comme celle-ci est loin d’être un coffre-fort… J'observe attentivement les deux ouvertures à la faible lueur de la lune. Et tout à coup, je trouve la solution. La porte ne peut s'ouvrir normalement, car un cadenas tient la chaîne qui est passée dans un anneau scellé. Mais il doit être possible de la soulever pour la dégonder. Elle est montée sur de simples gonds de volets. Elle n’est pas encastrée dans l’ouverture, mais posée en applique contre le mur. Rien ne doit empêcher de la soulever. Nous devrions pouvoir entrer sans l’abîmer. Avec l'aide de Paul, en nous mettant chacun d’un côté et en synchronisant nos efforts, c'est assez vite fait. Une fois dégondée, la porte s'ouvre en pivotant autour de la chaîne.

        A l'intérieur c'est l'obscurité presque totale. Je m'avance à tâtons. Tout de suite je me heurte à une table qui, flanquée de ses bancs, doit

        meubler le centre de la pièce. Je la contourne par la gauche. Dans l'angle je tombe sur tout un fouillis d'outils de jardin. Il y a sûrement plus d'une vingtaine de manches en tout genres qui se reposent là, contre le mur. L'angle suivant est occupé par un soubassement de maçonnerie. Sur le dessus, au toucher, il me semble reconnaître de la cendre et des morceaux de bois à moitié calcinés. Je lève la main et sens à hauteur de mes yeux une sorte de hotte en tôle. C'est donc bien une cheminée. Il reste à trouver de quoi faire du feu. Je tâtonne autour du foyer, peut-être traîne-il là une boîte d'allumettes? Mais non, rien. Je continue mon tour à tâtons. J'ai maintenant devant moi un meuble aux parois bien lisses, sans doute un vieux buffet de cuisine venu prendre sa retraite dans ce coin perdu. J'ouvre les portes unes à unes et, toujours en palpant, je fouille l'intérieur. Il y a là toutes sortes de choses intéressantes pour des fugitifs aux abois comme nous. Je repère des bouteilles, des boîtes de conserve qui paraissent pleines, de la ficelle, des boîtes en fer (café et sucre?), des verres et des assiettes… Et tout à coup, je sens au bout de mes doigts ce que je cherche depuis le début: une boîte d'allumettes!

        J'en craque une. La lumière jaillit. Je me retourne pour avoir une vue d'ensemble de l'intérieur de la cabane. Mes compagnons sont entrés en file derrière moi et occupent le tour de la table. Avant que la flamme ne me brûle les doigts je reprends l'exploration du buffet. Je ne l'avais pas sentie, mais juste en face de moi, se trouve une petite boîte en fer avec des bougies de toutes sortes. J'en allume une que je pose au centre de la table. Je sens un soulagement et une grande satisfaction dans le cœur de tous mes compagnons. Ce n'est pas encore la douche chaude et le lit douillet, mais cette petite flamme, c'est déjà une promesse. C'est déjà un réconfort moral en attendant le confort chaleureux dont nous rêvons tous.

        Il y a tout ce qui faut pour faire du feu!

        En effet dans le dernier recoin de la cabane, celui que je n'ai pas encore eu le temps d'explorer, est disposé une grande caisse pleine de bûches, sarments de vigne, de pommes de pin et même du papier journal.

        Quelques instants plus tard, une bonne flambée s'élève dans la cheminée. Nous restons tous les quatre autour, fascinés, sans rien dire. J’en profite pour voir la tête de nos deux filles. Nous avons une grande brune aux cheveux courts, solidement bâtie, et une petite blonde toute mignonne qui a l’air d’une adolescente.

        C'est encore Paul qui réagit le premier.

        Refermons la porte, pas la peine que le feu se voit à trois kilomètres. J'ajoute:

        Et maintenant opération séchage.

        Le premier, j'enlève ma veste de treillis, mes rangers, mes chaussettes et mon pantalon trempés. Je reste en caleçon. Le rayonnement du feu sur ma peau me donne une sensation délicieuse de chaleur et de bien- être. Paul et les deux filles m'imitent et nous nous retrouvons tous en sous-vêtements. Je repère des crochets qui dépassent à l'intérieur de la hotte, nous y accrochons au mieux toutes nos affaires trempées et pleines de boue.

        Puis repoussant la table, nous installons un banc face au feu sur lequel nous nous asseyons, les deux filles au fond, les deux gars vers la porte.

        Bon, et maintenant faisons le point, déclare Paul. Et s'adressant aux filles:

        Ca va, vous vous réchauffez? Attendez voir…

        Il se relève brusquement, fait deux pas vers la porte et décroche deux grosses vestes de drap suspendues à une patère, il reviens et s'adresse encore à nos deux compagnes:

        Ca vous tente d'enfiler ça? Je ne sais pas si elles sont bien propres, mais au moins elles sont sèches et elles vous tiendront chaud.

        Oui, pourquoi pas, mais vous?

        Disons que l'aventure ne nous empêche pas d'être galants.

        Alors, merci les gars, c'est sympa.

        Les deux filles enfilent les vestes. Mais la plus grande, la brune la quitte aussitôt, se tourne vers le mur, dégrafe son soutien-gorge humide qu’elle accroche dans la cheminée et renfile la veste.

        Je serais bien mieux comme ça.

        Je demande à nos deux compagnes:

        Faut-il vous appeler “lieutenant”, “mademoiselle”, ou peut-on utiliser vos petits noms?

        Elles éclatent de rire.

        Nous pourrions peut-être prendre cinq minutes pour nous présenter, propose la grande brune aux cheveux courts. Je m'appelle Sylvie.

        Sylvie a la stature d'une joueuse de basket, elle est grande et bien bâtie, ce qui ne l'empêche pas d'avoir les formes généreuses que les hommes apprécient chez les filles. Ses yeux noirs, son visage fin presque toujours éclairé d'un sourire un brin espiègle attirent la sympathie et affichent son caractère volontaire

        Moi c'est Anne, ajoute sa jeune compagne, qui vient se rasseoir sur le banc à côté de nous.

        Anne par contraste, est plus petite, plus fine aussi. Les yeux bleus, les cheveux presque blonds attachés en arrière, elle a un visage doux et sympathique. On reconnaît en elle la bonne camarade. Un peu comme une chatte elle parait toujours aux aguets, prête à bondir. Il ne doit pas être facile de la surprendre.

        Je me présente ensuite:

        Moi, je m'appelle Christophe, 20 ans, 1m 85, 82 kg. J'aime le sport, l'aventure (pour ça, je suis servi), la bonne bouffe (là on est nettement moins bien servi) et les filles (pour les filles, jusque-là ce n'étais pas terrible, mais depuis une ou deux heures, je n'ai plus à me plaindre)

        Enfin Paul se présente à son tour, beaucoup plus succinctement.

        Moi, c'est Paul… Maintenant faisons le point. Je tiens à vous dire que je me félicite de faire équipe avec vous. D'abord personne n'a hésité à se mettre à l'eau et tout le monde a traversé au plus vite sans faire de bruit. Ce qui nous a permis d’échapper une première fois au plastron.

        Ensuite merci à Sylvie pour son aide pertinente et musclée, sans elle nous serions peut-être encore au pied du talus, les pieds dans l'eau, à chercher comment nous sortir de là.

        Merci à Anne de nous avoir trouvé cette cabane accueillante et à Christophe d'avoir su l'ouvrir.

        Et surtout, Paul ne te remercie pas, tu n'as rien fait pour nous. Ajoute Sylvie. Sans ton intuition nous nous serions fait piquer dans la première demi-heure, et nous aurions déjà reculé de cinq kilomètres.

        OK, répond-t-il. Nous allons arrêter là la petite séance d'autocongratulation. Voyons plutôt comment nous allons nous y prendre pour franchir la Loire dans moins de 48 heures se faire prendre par le plastron. Avez-vous des idées?

        Un grand silence lui répond. J’avoue que personnellement, je n’ai pas eu le temps d’imaginer une quelconque stratégie concernant la suite de notre voyage.

        Bon, attendez une minute, reprend Paul.

        Il se lève, se penche au dessus de la cheminée et récupère dans la poche de son treillis une sorte de gros carton imbibé d'eau. Il pose le carton sur la table et comme à le déplier avec précaution, en deux, en quatre… A notre grande surprise, c'est une carte de la région.

        Comment as-tu passé cette carte à la fouille?

        Je ne l’ai pas passée à la fouille. En sortant, ils nous ont laissés quelques minutes tranquilles avant de monter dans les camions. Et cette carte traînait sur le siège de la Jeep du commandant. J'ai pensé que j'allais en avoir plus besoin que lui.

        A la lumière des deux bougies nous observons la portion de la carte qui nous intéresse, mais nous manquons de points de repère pour nous situer précisément. Paul explique son plan:

        A moins que vous n’ayez une meilleure idée, voici la mienne. Juste avant que le camion nous lâche, j'ai vu un panneau publicitaire au bord de la route. Il annonçait un loueur de canoës à 2 km. Il est peut-être possible de se faire prêter deux canoës et de descendre ainsi la rivière sur 10 ou 20 kilomètres. Si ces gens sont coopératifs, peut-être accepteront-ils de nous prêter aussi des maillots de bain. Nous pourrons alors faire une partie du trajet en économisant nos jambes et sans risque de nous faire repérer par le plastron qui nous prendra pour de simples touristes civils sportifs.

        Mais cela nous fait marcher deux kilomètres dans le mauvais sens, avec le risque de devoir les refaire ensuite dans le bon, si ton plan ne marche pas, fais-je remarquer.

        C'est un risque à prendre, répond Paul, un risque à calculer.

        Et puis, intervient Anne à son tour, nous ne sommes plus du bon côté de la rivière, si ton panneau était sur la rive gauche, le loueur doit aussi être installé sur la rive gauche.

        Mais peut-être y a-t-il un pont à cet endroit…

        Il n'y a pas de pont indiqué sur la carte dans les parages.

        Non mais il doit y avoir des rapides sur une rivière comme celle-là, des passages avec très peu d'eau où on peut traverser en enlevant simplement ses chaussures.

        J'annonce alors que je suis partant:

        On va miser 2 kilomètres pour tenter d'en gagner 15 ou 20. Et surtout on va supprimer pratiquement tout risque de se faire prendre, car en canoë nous seront déguisés et pour les deux kilomètres à pied à contresens, ils ne nous croient pas assez fous pour faire ça. Je suis partant. Il n'y a que ceux qui jouent qui gagnent.

        Moi aussi je suis d'accord, annonce Sylvie. Je suis certaine que le risque finit par payer, je marche avec Paul.

        Ne vous inquiétez pas, conclue Anne, je suis avec vous. Je n'aurais pas eu le culot de faire ça toute seule, mais jouer dans la finesse et taquiner le plastron, ça me plait bien.

        J'espère bien avoir d'autres occasions de taquiner le plastron, nous annonce Paul. Tachons de dormir. Demain nous filerons dès le lever du jour. Il faudra être au loueur de canoës dès l’ouverture.

        Dormir oui, nous n'attendons que ça, mais où? Il n'y a pas de lit, ni même de couvertures dans cette cabane, c'est même la seule chose qui manque vraiment.

        Chacun réfléchit à la question, mais je finis par trouver la seule solution possible. Il faut nous installer en hauteur pour bénéficier de la chaleur du feu et nous allonger le plus possible si nous voulons dormir un peu.

        Nous poussons donc la table le plus près possible de la cheminée, un bout contre le mur. Sylvie et Paul s'assoient dessus, côte à côte, le dos au mur, les jambes allongées. A l'autre bout nous dressons les deux bancs calés verticalement par des outils de jardin pour nous servir de dossiers. Avec Anne, nous nous asseyons sur la table en nous adossant aux bancs. Anne en face de Sylvie et moi en face de Paul au plus près du feu. Cela ne nous fait que peu de place à chacun, et nous ne sommes pas vraiment allongés, mais à la guerre comme à la guerre…

        Nous tâchons ainsi de somnoler pendant quelques heures. Les deux filles sont mieux couvertes avec leurs vestes, mais avec Paul nous n'avons que notre caleçon encore humide et le froid nous saisit dès que le feu faiblit. Régulièrement, il nous faudra remettre du bois pour maintenir un feu vif. Heureusement, nous en avons un stock sous la main.

        Calée contre moi, Anne s'endort, mais plusieurs fois elle se réveille en sursaut au bout d’une ou deux minutes. Elle a visiblement peur de s'endormir et de tomber de la table. Elle se cramponne comme elle le peut et je vois ses mains crispées sur les bords de la table. Au bout d’un quart d’heure, je ne dors toujours pas et je me demande comment l'aider. Finalement j'ose mettre mon bras sur ses épaules et la serrer contre moi. Curieusement elle se laisse faire. Alors, se sentant enfin en sécurité, elle s'endort profondément. Je respire à travers ses cheveux blonds et sens la chaleur de son corps sur ma poitrine. Alors moi aussi je me sens bien et ne tarde pas à m'endormir.

        C'est Paul qui sonne le réveil alors que le jour apparaît timidement autour de la porte et du volet de la fenêtre.

        Eh, les amoureux, c'est l'heure!

        Je m'éveille avec peine. Anne est toujours contre moi, dans la même position. En face Paul et Sylvie s'amusent de voir notre pénible réveil. De fait nous n'avons pas dormi plus de trois heures, c'est peu. Tout à coup

        je repense au feu qui flambe gaiement à côté de moi, je me rappelle que j'étais sensé l'alimenter de temps en temps.

        Désolé Paul, mais le feu…

        Tant mieux si tu as bien dormi. Le feu ne s'est pas éteint, c'est le principal…

        Nos vêtements sont à peu près secs mais ils sentent fortement la fumée. La cabane est vite rangée, le feu éteint. Anne écrit un petit mot de remerciement à notre hôte anonyme sur un bloc de papier trouvé dans le buffet. Il ne reste plus qu'à remettre la porte sur ses gonds et nous partons d'un bon pas inaugurer cette journée qui s'annonce belle et fertile en évènements.

        3- Descente de rivière

        Il est presque 7 heures du matin lorsque notre groupe arrive dans la cour du loueur de canoës. Nous avons pu traverser la Dévone sans encombres en profitant d'un rapide à quelques centaines de mètres de là.

        Le soleil vient d’apparaître derrière une colline. Il illumine la cour totalement déserte à cette heure. On imagine bien que les week-end ou en plein été, elle doit être pleine de voitures qui attendent toute la journée leurs propriétaires, adeptes de sports nautiques. Le bâtiment principal, au bord de la route est en pierre, les autres ne sont que des hangars en planches. Le tout a été peint de couleur vive, impossible de passer sans les voir.

        Nous nous asseyons sur un banc de pierre contre la façade. Le soleil qui monte de plus en plus nous réchauffe agréablement. Seuls nos estomacs donnent une note discordante en criant famine. Allons-nous pouvoir nous entendre avec ces gens? C'est-à-dire avoir tout pour rien, puisque nous n'avons pas d'argent sur nous. Aucune indication d'horaire n'est mentionnée sur la porte. Peut-être n'y aura-t-il personne avant huit ou neuf heures?

        Mais une fourgonnette C15 se range dans la cour. Un couple d'une trentaine d'années, l'allure décontractée en descend. C'est la femme qui vient vers nous pendant que l'homme ouvre plusieurs portes à l'aide d'un trousseau de clefs digne d'un chef geôlier.

        Bonjour les militaires. Nous lance-t-elle en arrivant devant nous.

        Bonjour madame… Voilà… Nous sommes venus vous demander si vous pourriez nous aider… Mais autant vous le dire tout de suite, nous allons être de très mauvais clients puisque nous n'avons rien pour payer.

        Le sourire de la jeune femme se fige un peu. Je reprends :

        Mais ne vous inquiétez pas, si vous ne pouvez pas nous aider, nous nous débrouillerons autrement. Nous n'avons pas l'intention de vous forcer à quoi que ce soit.

        La jeune femme se détend. Elle observe nos tenues tout justes sèches mais encore bien terreuses. Elle demande ?

        Avez-vous déjeuné?

        Et bien non. Pour l'instant ce n'est pas prévu au programme de la matinée.

        Je ne savais pas que l'armée laissait ses soldats mourir de faim.

        Ce n'est pas tout à fait ça. Nous faisons une sorte de raid, comme une épreuve pour voir si nous sommes capables de nous débrouiller.

        Venez, entrez avec moi. Avec Rémi, mon mari, nous commençons toujours nos journées par un bon petit déjeuner. Quand il y en a pour deux, on en trouvera bien pour six. Vous en profiterez pour nous raconter votre histoire et si on peut vous aider… on verra ce qu'on peut faire.

        Tout en avalant des files de tartines de pain frais copieusement recouvertes de beurre et de miel et en les faisant glisser avec de plusieurs bols de café au lait, nous racontons notre aventure, enfin le début de notre aventure. Nous exposons notre idée de descendre la Dévone en canoë.

        Notre hôtesse jette un coup d'œil à son mari qui semble acquiescer puis elle lui dit:

        On peut ajouter deux canoës au groupe des Anglais?

        Je vais les préparer, lui répond-t-il en se levant. La jeune femme nous explique alors:

        Nous avons un groupe de sportifs anglais, une équipe de foot je crois, qui nous a retenu douze canoës pour faire le grand parcours, 27 kilomètres. Ils ne devraient pas tarder à arriver puisqu'ils comptent partir avant huit heures. Vous allez vous joindre à eux, vous passerez encore plus inaperçus. Vous avez des maillots de bain?

        Eh… Non.

        Parce que si vous faîtes du canoë en tenue kaki, même avec le gilet de sauvetage, vous allez vous faire remarquer. Mais ne vous inquiétez pas, je vais vous trouver quelque chose, venez voir…

        Abandonnant la table du petit déjeuner nous la suivons dans une pièce basse, une sorte de remise mal éclairée. Elle nous indique une énorme caisse en bois qui occupe un recoin.

        Voilà, fouillez là dedans, prenez tout ce que vous voulez, ça nous débarrassera. Nous mettons dans cette caisse tous les vêtements que les clients oublient soit ici en partant, soit aux points d'arrivée. En saison nous en récupérons plusieurs par jour. Nous stockons tout ça ici, mais jamais personne ne vient réclamer quoi que ce soit. Alors trouvez-vous des maillots à votre taille, des serviettes et même des shorts ou des tee- shirts. Prenez tout ce que vous voulez, mais ne traînez pas, les anglais vont arriver et ils voudront partir au plus vite.

        Commençons par nous trouver un maillot de bain chacun, conclut Paul.

        Nous nous penchons et commençons à farfouiller dans cette caisse à peine éclairée.

        Je me trouve un short rouge à ma taille qui peut passer pour un maillot de bain. Paul récupère un slip de bain noir et blanc à fleurs qu'il enfile aussitôt. Nous choisissons aussi un short et un tee-shirt chacun ainsi qu’une paire de baskets en fin de vie qui peut faire pour l'un ou l'autre. Une gourde et un petit sac à dos sont aussi les bienvenus. Ramassant nos trouvailles nous filons aider Rémi à préparer les bateaux. Nous laissons sur place nos deux minettes qui prennent un plaisir évident à brasser dans la caisse de chiffons à la recherche de ce qui pourrait leur aller.

        Un petit car vient alors s'arrêter dans la cour et déverse une vingtaine de sportifs anglais colorés et bruyants. Ils vont directement au bord de l'eau pour se changer et se répartir dans les bateaux. Assez vite, les premiers canoës s'élancent sur l'eau.

        A ce moment réapparaissent nos deux filles, en maillot de bain. Sylvie est très sexy dans un maillot deux pièces rouge, style minimaliste avec de simples cordons sur les côtés. Il est visiblement trop petit pour elle. Elle a les seins et les fesses qui débordent.

        Le seul qui était à ma taille était un horrible “une pièce” noir avec des fleurs mauves complètement difforme, s'excuse-t-elle

        Je la rassure:

        Mais ça te va très bien, c'est …

        Hyper sexy, termine Paul.

        Anne a trouvé un maillot “une pièce” tout jaune qui pour le coup est un peu grand pour elle. Il n'a rien de sexy, sauf dans le cas assez probable où elle le perdrait.

        Elles ont toutes les deux des tongs aux pieds, et nous en apportent une troisième paire (qui n'est pas vraiment une paire car la couleur est différente à droite et à gauche)

        Ca devrait aller pour vos grands pieds, et ce sera toujours mieux que d'aller pieds nus ou en rangers.

        Elles ont aussi récupéré plusieurs sacs et tout un lot de vêtements féminins qui leur plaisent et qu'elles sont prêtes à nous montrer.

        Mais Paul les rappelle à la dure réalité:

        Allez, filons, nous n'avons pas de temps à gaspiller.

        Nous enfilons les gilets de sauvetage et les casques obligatoires et nous fourrons nos affaires militaires et nos nouvelles fringues civiles dans les

        tonneaux fixés sur les canoës. Notre hôtesse réapparaît avec à la main un sac plastique contenant quatre énormes sandwichs.

        Merci madame, c'est vraiment très sympa. Donnez-nous votre nom, votre adresse, que nous puissions vous raconter la suite de notre raid.

        Vous trouverez ça dans le sac avec les sandwichs, je vous ai mis un prospectus publicitaire, c'est un réflexe commercial.

        Encore merci… On vous enverra des nouvelles et si possible, des clients…

        Ca y est, nous sommes partis, le courant nous emporte. Je suis avec Anne qui pagaye devant moi. A dix mètres devant nous, sur l'autre canoë, Paul s'est mis à l'avant et Sylvie qui parait plus grande que lui, s'est installée à l'arrière.

        Derrière nous, les deux derniers bateaux d'anglais s'élancent. De fait, ils nous doublent rapidement et disparaissent devant nous. Nous ne les reverrons plus. Nous ne sommes pas de taille à rivaliser avec des sportifs entraînés qui font la descente au chronomètre. Pourtant nous avons l'impression d'avancer vite et la Dévone n'est pas une rivière bien difficile en cette saison où il y a encore pas mal d'eau.

        Au bout de quelques minutes nous arrivons sur les lieux de notre traversée précipitée de la veille. Nous avons un regard ému pour le talus que nous avons eu tant de mal à escalader.

        Trois heures plus tard nous franchissons le premier pont. Nous savons que nous devons en passer deux. De loin, nous repérons une jeep avec deux militaires postés en embuscade au bout du pont. En fait i

        On se fait une petite trempette?

        Aussitôt dit, aussitôt fait. L'eau nous parait un peu fraîche, mais si agréable. Quel contraste avec notre bain de la nuit, pourtant la température de l'eau n'a pas dû changer beaucoup.

        Nous ne traînons pas dans l'eau et laissons le soleil nous sécher sur la petite plage de sable, tout en attaquant nos sandwichs avec voracité.

        Paul prend des airs de conspirateur et nous demande de l'écouter attentivement:

        Vous avez vu l'accueil qu'on nous préparait au premier pont? On peut imaginer que tous les ponts sont surveillés de la même façon. Or vous vous rappelez où se trouve la ligne d'arrivée des canoës?

        Après le deuxième pont.

        « Rive droite, juste derrière le deuxième pont », a dit Rémi.

        Et dès que nous aurons déposé les canoës, qu'est ce que nous allons chercher?

        Notre route!

        Oui, mais aussi un nouveau moyen de transport. Or, qu'est ce que l'ennemi a placé à notre disposition, juste à l'endroit où nous allons en avoir besoin?

        Une voiture, une jeep! Dis-je enthousiasmé.

        Exactement! Nous n'aurons qu'à poser notre canoë et à monter dans la jeep.

        Sauf que les deux gars qui gardent la jeep risquent de ne pas nous laisser faire. Ils seront tout heureux de nous capturer et de nous rallonger la route de quelques kilomètres.

        Et bien il suffit de nous débarrasser de ces deux gars.

        Ah oui, et comment? Demande Anne

        Avec une arme très efficace qui s’appelle la séduction. Dans notre situation difficile nous devons utiliser à fond les qualités de chacun. Et puisque l'état major nous a fourni deux minettes absolument superbes, nous allons utiliser leurs charmes pour nous tirer d'affaire.

        Dîtes, les mecs, répond Sylvie, on ne nous a pas mises avec vous uniquement pour vous servir d'armes, même super efficaces.

        Mais non! Là c'est moi qui interviens. Vous êtes les plus charmantes compagnes dont on aurait pu rêver pour ce genre de d'aventure.

        Merci Christophe, dit comme ça, c'est tellement plus agréable.

        Bien, reprend Paul imperturbable, qui suit son idée : Il faudra sans doute s'adapter à la configuration des lieux au dernier moment, mais nous devons quand même préparer un plan aussi précis que possible.

        Nous passons une heure à mettre au point cette délicate opération. Elle présente bien sûr des risques, mais elle devrait nous permettre de faire un grand bon en avant, sans fatigue, et sans risques sur notre parcours. Paul tient à ce que tous les détails soient bien au point et à chaque étape il nous faut envisager plusieurs cas de figure.

        Enfin, quand nous remontons dans les canoës, nous avons l'impression que tout est parfaitement au point et que notre plan “jeep” ne peut pas rater. L'avenir se chargera de nous apprendre à être un peu moins sûrs de nous et à ajouter à l’audace une dose de prudence, dans nos futurs projets.

        Cela fait plus de deux heures que nous sommes repartis quand les filles qui naviguent maintenant ensemble sur le premier bateau redressent leurs pagaies verticalement. C'est le signal qu'elles sont en vue du pont. Avec Paul, nous bifurquons vers la rive pour nous arrêter et donner du champ au canoë des filles. Le Plastron doit voir passer deux filles navigant seules, sans savoir que nous sommes avec elles.

        Je débarque et me faufile à travers la végétation sur la rive pour tenter d'avoir un aperçu de la situation. Le Pont est là, à 200 mètres, un pont de pierre à une seule arche. Je vois nos deux filles qui pagaient allègrement et qui ont dû repérer le point d'atterrissage, car elles se rapprochent progressivement de la rive droite.

        Je voudrais bien voir les soldats avec leur jeep, s'ils sont bien en place comme nous l'avons imaginé. S’ils sont planqués côté aval, je n’ai aucune chance de les voir et cela va compliquer notre plan.

        Ca y est, je les aperçois, mais pas où je les cherchais. La jeep n'est pas cachée en contrebas comme au pont précédent, elle est simplement garée au bord de la route. Mais elle est stationnée rive gauche alors que les canoës doivent s'arrêter rive droite. De plus elle est dans le mauvais sens pour nous, il faudra lui faire faire demi tour pour retraverser le pont et nous prendre au passage, ce qui va compliquer un peu les choses.

        Voilà, je vois le canoé des filles qui va passer sous du pont. Elles font de grands signes aux gars du plastron, elle glissent sous l’arche et vont s'échouer un peu plus loin sur la petite plage que je devine plus que je ne la voie, car elle est cachée par la pile du pont.

        On fonce dès qu'on les verra réapparaître sur le pont, m'indique Paul.

        Effectivement, au bout d'un moment, elles apparaissent tout en haut sur le pont, côté droit. Sylvie marche devant, toujours en bikini rouge, Anne

        la suit et en trottinant et la rattrape. Anne, comme prévu, a quitté son affreux maillot jaune “une pièce” qui faisait des plis partout et elle l'a remplacé par un short beige et une sorte de débardeur blanc en lycra hyper moulant qui fait ressortir ses seins et lui donne une allure à laquelle aucun garçon ne devrait résister. Elles parlent entre elles. Et visiblement, d'après leurs gestes, elles ne sont pas d'accord sur un sujet qui doit concerner les deux militaires au bout du pont. Elle suivent exactement le plan mis au point entre nous.

        Avec Paul, nous sommes remonté dans notre canoë et nous fonçons vers le point d'arrivée sans avoir l'air de nous intéresser le moins du monde à ce qui se passe là-haut, sur le pont.

        Quand Sylvie et Anne arrivent près de la jeep, un des soldats est debout, immobile, à quelques mètres de la voiture, dos à la rivière. Il regarde venir avec plaisir cette visite imprévue. Il est brun, grand et costaud, visiblement du genre qui prend la vie du bon côté. Son sourire qui s'élargit au fur et à mesure que les filles s'approchent de lui annonce le garçon qui aime draguer les minettes à son goût.

        Son collègue est un peu en contrebas, à l'ombre. Il est accroupi et fait bouillir de l'eau sur un petit réchaud à gaz, sans doute dans l'idée de faire du café. Plus fin, de teint plus blanc, il porte des lunettes et fait plus intellectuel qu'homme d'action. Il se relève à l'arrivée des deux filles, mais reste à côté de son réchaud.

        Salut! Lance Sylvie

        Salut les filles, sympa la descente?

        Génial, mais on en a plein les bras. On est parties super tôt ce matin parce qu'on nous avait dit qu'il fallait arriver ici avant 19 heures. C'est l'heure ou le minibus passe pour nous ramener à la voiture. Et voilà, on a plusieurs heures d'avance. Des heures à attendre bêtement. C'est malin! Bon, et vous? Ce n'est pas pour dire, mais vous avez l'air de vous emmerder…

        Tu sais, ma belle, c'est la vie de troufion. Le matin on attend les ordres, puis on nous envoie dans un coin à attendre on ne sait quoi, et tout à coup il faut aller d'urgence ailleurs, pour attendre encore. Alors tu vois, on est là, on attend, on fait notre boulot. Si tu veux tout savoir, on est sensés coincer des groupes d'élèves officiers qui se baladent dans le coin quatre par quatre. A mon avis, ils ne sont pas f

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