COLLODI, Carlo – Pinocchio

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  • #153029

    Chapitre 15

    Alors le pantin, découragé, fut sur le point de se jeter par terre et de s’avouer vaincu, quand, à force de regarder autour de lui, il vit, au milieu des arbres, briller dans le lointain les fenêtres d’une petite maison blanche comme la neige.

    – Si j’avais assez de forces pour arriver jusqu’à cette maison, je serais sauvé, se dit-il.

    Et, sans perdre une minute, il se remit à courir dans le bois, et les assassins couraient derrière lui.

    Après une course désespérée de presque deux heures, il arriva enfin, hors d’haleine et épuisé, à la porte de cette petite maison. Il frappa. Pas de réponse.

    Il recommença à taper avec violence, parce qu’il entendait s’approcher le bruit des pas et le souffle menaçant de ses persécuteurs. Même silence.

    Renonçant à frapper, il se mit à donner des coups de pied dans la porte. Alors une fenêtre s’ouvrit, et une belle jeune fille, aux cheveux bleus et au visage blanc comme la neige, les yeux fermés et les mains croisées sur sa poitrine, disait, sans remuer les lèvres, d’une petite voix qui semblait venir d’un autre monde.

    – Il n’y a personne dans cette maison. Ils sont tous morts.

    – Au moins, toi, ouvre-moi, cria Pinocchio en pleurant et en suppliant.

    – Moi aussi, je suis morte.

    – Morte ? Alors, que fais-tu à la fenêtre ?

    – J’attends le cercueil qui va m’emmener.

    Dès qu’elle eut fini de parler, la jeune fille disparut et la fenêtre se referma sans bruit.

    – Oh ! Belle jeune fille aux cheveux bleus, cria Pinocchio, ouvre-moi, par charité. Aie pitié d’un pauvre enfant poursuivi par des assass…

    Mais il ne put finir de parler, parce qu’il se sentit attrapé par le collet et les deux grosses voix grondèrent en le menaçant !

    – Maintenant, tu ne nous échapperas plus !

    Le pantin, se sentant sur le point de mourir, fut pris d’un tremblement si fort que ses genoux s’entrechoquaient et qu’on entendit tinter les quatre pièces d’or qu’il tenait cachées sous sa langue.

    – Maintenant, dirent les assassins, tu veux ouvrir la bouche, oui ou non ? Ah ! Tu ne réponds pas ? Cette fois, je vais te la faire ouvrir, moi !

    Et, en sortant deux longs couteaux aiguisés comme des rasoirs, vlan, ils lui assénèrent deux coups au milieu des reins.

    Mais le pantin, par bonheur, était fait d’un bois très dur. C’est pourquoi les lames se cassèrent en mille morceaux, et les assassins restèrent avec le manche du couteau dans les mains. Ils se regardèrent.

    – J’ai compris, dit l’un des assassins, il faut le pendre. Pendons-le !

    – Pendons-le, répondit l’autre.

    Sitôt dit, sitôt fait. Ils lui lièrent les mains dans le dos et, en lui passant un nœud coulant autour du cou, ils l’attachèrent à une grosse branche du Grand Chêne. Puis ils s’assirent dans l’herbe, en attendant que le pantin rende le dernier soupir. Mais le pantin, au bout de trois heures, avait toujours les yeux ouverts, la bouche fermée et il gigotait plus que jamais.

    A la fin, fatigués d’attendre, ils se tournèrent vers Pinocchio et lui dirent en ricanant :

    -Adieu et à demain ! Quand nous reviendrons demain, j’espère que tu auras la politesse d’être bel et bien mort, avec la bouche ouverte.

    Et ils s’en allèrent.

    Pendant ce temps, un grand vent impétueux de tramontane s’était levé, il soufflait et mugissait avec rage, en envoyant valser ça et là le pauvre pendu, en le faisant se balancer comme le battant d’une cloche qui sonnerait pour une fête. Et ce balancement lui donnait le vertige, et le nœud coulant lui serrait de plus en plus la gorge, en l’empêchant de respirer.

    Petit à petit, ses yeux s’embuèrent. Il sentait venir la mort, mais il espérait toujours qu’à un moment ou à un autre, quelqu’un passerait et aurait pitié de lui. Il attendit, il attendit, il attendit. Mais quand il comprit que personne ne viendrait, alors son pauvre papa lui revint à l’esprit, et il balbutia, à moitié mort

    – Oh ! Mon papa ! Si tu étais ici !

    Il n’eut pas assez de souffle pour dire autre chose. Il ferma les yeux, ouvrit la bouche, étira les jambes, donna une grande secousse et resta là, inanimé.

    #153030

    Chapitre 16

    Pendant que le pauvre Pinocchio, pendu par les assassins à la branche du Grand Chêne, paraissait plus mort que vif, la belle Jeune Fille aux cheveux bleus apparut encore à la fenêtre et se sentit pleine de pitié en voyant le pauvre malheureux, pendu par le cou, dansant dans le vent et se cognant au tronc, elle frappa dans ses mains trois fois.

    A ce signal, on entendit un grand bruit d’ailes et un grand faucon vint se poser sur l’appui de la fenêtre.

    – A vos ordres, ma chère Fée, dit le Faucon, en baissant le bec pour faire la révérence. Parce qu’il faut savoir que la Jeune Fille aux Cheveux bleus était une très gentille et très bonne Fée, qui habitait depuis plus de mille ans dans cette forêt.

    – Tu vois ce pantin pendu à une branche du Grand Chêne ?

    – Oui, je le vois.

    – Très bien. Envole-toi et va tout de suite là-bas. Avec ton gros bec, tu couperas la corde qui le tient suspendu et tu le poseras délicatement sur l’herbe, au pied du Chêne.

    Le Faucon s’envole, puis, au bout de deux minutes, il revint.

    – Ce que vous m’avez commandé, c’est fait !

    – Et comment tu l’as trouvé ? Vivant ou mort ?

    – A le voir, il avait l’air mort, mais il ne devait pas être mort tout à fait parce que, dès que j’ai eu fini de couper la corde qui lui serrait le cou, il poussa un gros soupir en disant : « Ouf ! Ça va mieux ! »

    Alors la Fée tapa deux fois dans ses mains, deux petits coups, et arriva un magnifique Caniche en livrée d’apparat. Il avait sur la tête un tricorne bordé d’or, une perruque blanche dont les boucles descendaient jusqu’aux épaules, un habit couleur chocolat avec des boutons en diamant et deux grandes poches pour mettre les os que lui donnait sa patronne, une paire de culottes de velours cramoisi, des chaussettes de soie, des souliers à boucle d’argent et, derrière, une espèce d’ombrelle de satin bleu, pour abriter sa queue quand il pleuvait.

    – Viens, Médor, dit la Fée au Caniche. Fais atteler le plus beau carrosse de mon écurie et prends le chemin du bois. Arrivé sous le Grand Chêne, tu trouveras, allongé sur l’herbe, un pauvre pantin à moitié mort. Soulève-le délicatement, pose-le sur les coussins du carrosse et ramène-le ici. Tu as compris ?

    Le Caniche, pour montrer qu’il avait compris, remua trois ou quatre fois la queue et partit comme une flèche.

    Au bout d’un moment, on vit sortir de l’écurie un beau carrosse couleur du ciel, tout rembourré de plumes et doublé de crème fouettée. Le carrosse était tiré par une centaine de petites souris blanches et le Caniche, assis sur le siège, faisait claquer son fouet à droite et à gauche, comme un cocher qui aurait peur d’arriver en retard.

    Ils n’étaient pas partis depuis un quart d’heure que le carrosse était déjà de retour. La Fée, qui attendait devant la porte de sa maison, attrapa le pauvre pantin et le porta dans une chambre aux murs de nacre, et envoya chercher les médecins les plus fameux du voisinage.

    Les médecins arrivèrent tout de suite, l’un après l’autre : un Corbeau, une Chouette et un Grillon.

    – Ce que je voudrais savoir, dit la Fée en se tournant vers les médecins, c’est si ce malheureux pantin est vivant ou mort.

    Le Corbeau s’avança le premier. Il prit le pouls de Pinocchio, puis il lui tâta le nez, puis le petit doigt de pied. Après l’avoir bien touché, il dit solennellement :

    – Moi, je crois que le pantin est bel et bien mort. Mais si, par malheur, il n’était pas mort, je dirais qu’il est toujours vivant.

    – Je regrette, dit la Chouette, de devoir contredire le Corbeau, mon illustre ami et collègue. Pour moi, au contraire, je pense que le pantin est toujours vivant. Mais si, par malheur, il n’était pas vivant, alors, il serait mort.

    – Et vous, vous ne dites rien ? demanda la Fée au Grillon.

    – Moi, je dis qu’un médecin prudent, quand il ne sait pas quoi dire, la meilleure chose à faire, c’est de se taire. Du reste, le visage de ce pantin ne m’est pas inconnu. Je le connais un peu.

    Pinocchio qui, jusque là, était resté immobile comme un bout de bois, eut un espèce de frémissement qui fit bouger tout le lit

    – Ce pantin, continua le Grillon, est un mauvais sujet.

    Pinocchio ouvrit les yeux et les referma aussitôt.

    – C’est un vaurien, un bon à rien, un vagabond.

    Pinocchio se cacha la figure sous les draps.

    – Ce pantin est un fils désobéissant, qui fait mourir son papa de chagrin.

    A ce moment, on entendit dans la chambre un bruit sourd de pleurs et de sanglots. Figurez-vous comme ils furent abasourdis quand, en soulevant un peu le drap, ils s’aperçurent que c’était Pinocchio qui pleurait et sanglotait.

    – Quand le mort pleure, c’est le signe qu’il est sur le point de guérir, dit le Corbeau solennellement.

    – Je regrette de devoir contredire mon illustre ami et collègue, mais, quand le mort pleure, c’est le signe qu’il n’a pas envie de mourir.

    #153031

    Chapitre 17

    A peine les trois médecins furent ils sortis que la Fée s’assit à côté de Pinocchio et, après lui avoir tâté le front, elle s’aperçut qu’il avait une forte fièvre.

    Alors elle mit une certaine poudre blanche dans un demi verre d’eau et, le tendant au pantin, elle dit gentiment :

    – Bois ça et, en quelques jours, tu seras guéri.

    Pinocchio regarda le verre, fit la grimace et dit d’une voix plaintive :

    – C’est sucré ou c’est amer ?

    – C’est amer, mais ça te fera du bien !

    – Si c’est amer, je n’en veux pas

    – Ecoute-moi ! Bois le !

    – Mais je n’aime pas ce qui est amer.

    – Bois-le. Quand tu l’auras bu, je te donnerai un bonbon, pour te rafraîchir la bouche.

    – Où il est, le bonbon ?

    – Le voici ! dit la Fée, en tirant de sa poche une bonbonnière en or.

    – D’abord, je veux le bonbon, et après, je boirai ce dégoûtant remède.

    – Tu me le promets ?

    – Oui !

    La Fée lui donna le bonbon et Pinocchio, après l’avoir croqué et avalé en une seconde, dit en se léchant les lèvres ;

    – Ce serait bien si les bonbons étaient aussi un médicament. Je me soignerais tous les jours.

    – Maintenant, tiens ta promesse et bois ces quelques gouttes d’eau et elles te rendront la santé.

    Pinocchio, plein de mauvaise volonté, prit le verre et plongea dedans la pointe de son nez. Puis il l’approcha de sa bouche. Puis il replongea dedans la pointe de son nez. Finalement, il dit

    – C’est trop amer ! C’est trop amer ! Je ne peux pas boire ça !

    – Et comment tu le sais ? Tu ne l’as même pas goûté.

    – Je l’imagine. Je l’ai senti à l’odeur. Je veux d’abord un autre bonbon, puis je le boirai.

    Alors la Fée, avec toute la patience d’une bonne maman, lui donna un autre bonbon. Puis elle lui tendit encore le verre.

    – Je ne peux pas boire ça, dit le pantin en faisant mille grimaces.

    – Pourquoi ça ?

    – Parce que le coussin que j’ai sur les pieds me gêne.

    La Fée enleva le coussin.

    – Ce n’est pas la peine ! Même comme ça, je ne peux pas boire !

    – Qu’est-ce qui te gêne encore ?

    – La porte de la chambre, qui est restée ouverte.

    La Fée alla fermer la porte de la chambre.

    – Bref, cria Pinocchio en donnant un coup de pied, cette sale eau amère, je ne veux pas la boire, non, non, non !

    – Mon enfant, tu t’en repentiras !

    – Ça m’est égal !

    – Ta maladie est grave

    – Ça m’est égal !

    – La fièvre t’emportera dans quelques heures dans l’autre monde

    – Ça m’est égal !

    – Tu n’as pas peur de la mort ?

    – Je m’en moque ! Plutôt mourir que de boire cette médecine amère.

    A ce moment-là, la porte de la chambre s’ouvrit en grand et on vit entrer quatre Lapins noirs comme l’encre, qui portaient un petit cercueil sur leurs épaules.

    – Qu’est-ce que vous me voulez ? cria Pinocchio, effrayé, en s’asseyant dans son lit.

    – Nous sommes venus te prendre, dit le Lapin le plus gros.

    – Me prendre ! Mais je ne suis pas encore mort !

    – Pas encore. Mais il ne te reste que quelques minutes à vivre, parce que tu refuses de boire le remède qui t’aurait guéri.

    – Oh ! Ma Fée ! Oh ma petite Fée ! commença alors à crier le pantin, donne-moi tout de suite le verre, parce que je ne veux pas mourir, non, je ne veux pas mourir.

    Il prit le verre des deux mains et l’avala d’un trait.

    – Patience, dirent les Lapins. Aujourd’hui, nous avons fait le voyage pour rien !

    Et, remettant le petit cercueil sur leurs épaules ils sortirent de la chambre en grommelant et en murmurant entre leurs dents.

    Le fait est qu’en quelques minutes, Pinocchio sauta du lit, bel et bien guéri. Parce qu’il faut savoir que les pantins de bois ont le privilège de tomber rarement malades et de guérir très vite.

    La Fée, le voyant courir dans toute la chambre, vif et joyeux comme un petit poulet, lui dit :

    – Donc mon remède t’a fait du bien ?

    – Plus que du bien. Il m’a ressuscité !

    – Alors, pourquoi t’es-tu fait tant prier pour le boire ?

    – C’est parce que tous les enfants sont comme ça. Nous avons plus peur des remèdes que du mal.

    – Quelle honte ! Les enfants devraient savoir qu’un bon médicament pris à temps peut les sauver d’une grave maladie et même de la mort.

    – Oh ! Une autre fois, je ne me ferai pas tant prier ! Je me souviendrai de ces Lapins noirs, avec le cercueil sur les épaules, et alors je prendrai le verre et je le boirai tout de suite…

    – Maintenant, viens ici et raconte-moi comment ça se fait que tu te sois trouvé aux mains des assassins ?

    – Le marionnettiste Mangefeu m’avait donné des pièces d’or et il m’avait dit : « Porte-les à ton papa ! » Et moi, au contraire, j’ai rencontré en chemin un Renard et un Chat, des personnes très bien, qui me dirent : « Tu veux que ces quelques pièces deviennent mille et deux mille ? Viens avec nous, et nous t’emmènerons au Champ des Miracles. » Et moi, je dis : « Allons-y » Et ils me dirent : « Arrêtons-nous ici, à l’auberge de l’Ecrevisse Rouge et nous repartirons à minuit ! » Et moi, quand je m’éveillai, ils n’étaient plus là, parce qu’ils étaient déjà partis. Alors, j’ai commencé à marcher dans la nuit tellement sombre qu’on ne peut pas le dire, et je trouvais sur ma route deux assassins habillés avec deux sacs de charbon, qui me dirent : « Sors ton argent ! » Et moi, je dis « Je n’en ai pas ! », parce que les quatre pièces d’or, je les avais mises dans ma bouche, et les assassins essayèrent de l’ouvrir, et moi, en mordant, j’ai coupé la main de l’un d’eux, mais, au lieu d’une main, c’était une patte de chat. Et les assassins se mirent à me courir après, et moi je courais de plus en plus vite, mais eux couraient plus vite que moi et, à la fin, ils me rejoignirent. Ils me pendirent par le cou à une branche d’un arbre de cette forêt en disant : « Demain, nous reviendrons ici, et alors, il sera mort avec la bouche ouverte et comme ça, nous prendrons les pièces d’or qu’il a cachées sous sa langue. »

    – Et maintenant, les quatre pièces d’or, où tu les as mises ? lui demanda la Fée.

    – Je les ai perdues, répondit Pinocchio. Mais il mentait car, en réalité, il les avait dans sa poche.

    Dès qu’il eut dit ce mensonge, son nez, qui était déjà long, se mit à s’allonger de plus en plus.

    – Et où les as-tu perdues ?

    – Dans le bois voisin.

    A ce second mensonge, le nez de Pinocchio recommença à s’allonger.

    – Si tu les as perdues dans le bois, dit la Fée, nous les chercherons et nous les retrouverons. Parce que tout ce qui se perd dans le bois, on le retrouve toujours.

    – Ah ! Je m’en souviens maintenant, répondit le pantin en trichant encore, les quatre pièces d’or, je ne les ai pas perdues, je les ai avalées pendant que je buvais votre remède.

    A ce troisième mensonge, le nez de Pinocchio s’allongea tellement qu’il ne pouvait plus tourner la tête. S’il remuait un peu, il tapait du nez contre le lit ou contre les vitres de la fenêtre, ou contre la porte de la chambre, et, s’il levait un peu la tête, il risquait de cogner un œil de la Fée.

    Et la Fée le regardait et riait.

    – Pourquoi riez-vous ? lui demanda le pantin, tout confus et inquiet, parce qu’il croyait que son nez lui avait crevé un œil.

    – Je ris à cause de tous les mensonges que tu as dit.

    – Comment savez-vous que j’ai dit des mensonges ?

    – Les mensonges, mon enfant, on les reconnaît tout de suite, parce qu’ils sont de deux sortes. Il y a les mensonges qui ont les jambes courtes et ceux qui ont le nez long. Les tiens, justement, sont ceux qui ont le nez long.

    Pinocchio, plein de honte, ne savait plus où se cacher, et il essaya de s’enfuir de la chambre. Mais il ne réussit pas. Son nez était devenu tellement long qu’il ne pouvait plus passer par la porte.

    #153032

    Chapitre 18

    Comme vous pouvez l’imaginer, la Fée laissa le pantin pleurer et hurler pendant une bonne demi-heure, parce que son nez ne passait pas par la porte de la chambre. C’était pour lui donner une bonne leçon et pour qu’il se corrige de ce vilain défaut de dire des mensonges, le défaut le plus laid qu’on peut trouver chez un enfant. Mais, quand elle le vit défiguré, avec les yeux hors de la tête, elle fut prise de pitié et elle battit des mains. A ce signal, entrèrent dans la chambre un millier de ces gros oiseaux appelés Piverts qui, en se posant sur le nez de Pinocchio, commencèrent à le becqueter, tant et si bien qu’en quelques minutes ce nez énorme se trouva réduit à sa taille normale.

    – Que vous êtes bonne, ma chère Fée ! dit le pantin en s’essuyant les yeux, et comme je vous aime !

    – Je t’aime aussi, répondit la Fée et, si tu veux rester avec moi, tu seras mon petit frère et moi je serai ta grande sœur.

    – Je resterais volontiers. Mais, mon pauvre papa ?

    – J’ai pensé à tout. Ton papa est déjà averti et il sera ici avant la nuit.

    – Vraiment ? cria Pinocchio en sautant de joie. Alors, ma petite Fée, si vous le voulez bien, je vais aller à sa rencontre. Je ne vois pas le moment de l’embrasser, ce pauvre vieux, qui a tant souffert à cause de moi !

    – D’accord ! Mais fais attention à ne pas te perdre. Prends le chemin du bois, et je suis sûre que tu le rencontreras.

    Pinocchio partit. A peine entré dans le bois, il se mit à courir comme une chèvre. Mais au bout d’un moment, arrivé devant le Grand Chêne, il s’arrêta, parce qu’il avait cru entendre du bruit au milieu des branches. Et devinez qui il vit arriver sur le chemin ? Le Renard et le Chat, ses deux compagnons de voyage, avec lesquels il avait mangé à l’auberge de l’Ecrevisse rouge.

    – Mais c’est notre cher Pinocchio ! cria le Renard en le prenant dans ses bras et en l’embrassant. Comment ça se fait que tu sois ici ?

    – Comment es-tu ici ? répéta le Chat.

    – C’est une longue histoire, dit le pantin, et je vais vous la raconter. Sachez que l’autre nuit, quand vous m’avez laissé tout seul à l’auberge, j’ai rencontré des assassins.

    – Des assassins. Oh ! Mon pauvre ami ! Et qu’est-ce qu’ils voulaient ?

    – Ils voulaient me voler mes pièces d’or

    – Infâmes ! dit le Renard.

    – Plus qu’infâmes ! répéta le Chat

    – Mais moi, je me suis échappé, continua le pantin, et eux me couraient après. A la fin, ils m’ont rejoint et ils m’ont pendu à une branche de ce Chêne.

    Et Pinocchio montra le Grand Chêne, qui était à deux pas.

    – C’est une honte ! dit le Renard. Dans quel monde nous vivons ! Où trouverons-nous un endroit sûr pour nous autres gentilshommes ?

    Pendant qu’ils disaient ça, Pinocchio s’aperçut que le Chat était manchot, parce qu’il lui manquait toute la patte avec les ongles. Alors il lui demanda :

    -Qu’est-ce que tu as fait de ta patte ?

    Le Chat voulut répondre quelque chose, mais il s’embrouilla. Alors le Renard dit :

    – Mon ami est trop modeste, c’est pour ça qu’il ne répond pas. Je répondrai à sa place. Sache donc qu’il y a une heure, nous avons rencontré en route un vieux loup à moitié mort de faim et qui demandait l’aumône. Nous n’avions rien à lui donner, même pas une arête de poisson. Alors, qu’est-ce que mon ami a fait ? Il s’est coupé une patte de devant avec ses dents et il l’a jetée à cette pauvre bête, pour qu’elle puisse déjeuner.

    Et le Renard, en disant cela, essuya une larme.

    Pinocchio, plein de pitié lui aussi, s’approcha du Chat et lui dit à l’oreille :

    – Si tous les chats étaient comme toi, les souris seraient bien heureuses !

    – Et maintenant, que fais-tu ici ? demanda le Renard au pantin.

    – J’attends mon papa, qui va arriver d’une minute à l’autre.

    – Et tes pièces d’or ?

    – Je les ai toujours dans ma poche, moins une que j’ai dépensée à l’auberge de l’Ecrevisse rouge.

    – Quand on pense que ces quatre pièces pourraient devenir demain mille et deux mille ! Pourquoi tu n’as pas suivi mon conseil ? Pourquoi tu ne vas pas les semer dans le champ des Miracles ?

    – Aujourd’hui, c’est impossible. J’irai un autre jour.

    – Un autre jour, ce sera trop tard ! dit le Renard

    – Pourquoi ?

    – Parce que le champ a été acheté par un grand seigneur et, à partir de demain, personne n’aura la permission de semer de l’argent.

    – Est-ce que ce champ des Miracles est très loin ?

    – Deux kilomètres à peine. Veux-tu venir avec nous. Dans une demi-heure, nous y sommes. Tu sèmes tout de suite tes quatre pièces d’or. Au bout de quelques minutes, tu en récolteras deux mille et tu t’en iras les poches pleines. Tu veux venir avec nous ?

    Pinocchio hésita un peu avant de répondre, parce qu’il se rappelait la bonne Fée, le vieux Geppetto et les avertissement du Grillon. Mais il finit par faire comme tous les enfants sans cervelle et sans cœur, et, en haussant les épaules, il dit au Renard et au Chat :

    – Allons-y ! Je viens avec vous !

    Et ils partirent.

    Après avoir marché une demi-journée, ils arrivèrent à une ville qui s’appelait « Attrape-nigauds ». A peine entré dans la ville, Pinocchio vit toute la rue peuplée de chiens galeux, qui baillaient de faim, des moutons tondus qui tremblaient de froid, des poules sans crête et sans barbillons, qui demandaient l’aumône d’un grain de maïs, des grands papillons qui ne pouvaient plus voler, parce qu’ils avaient vendu leurs belles ailes colorées, des paons tout déplumés, qui faisaient peine à voir et des faisans qui s’en allaient clopin-clopant en pleurant leurs belles plumes d’or et d’argent, maintenant perdues à jamais.

    Au milieu de tous ces mendiants et de ces misérables, passaient de temps en temps de beaux carrosses avec, dedans, un Renard, ou une Pie voleuse ou un oiseau de proie.

    – Et le champ des Miracles, où est-il ? demanda Pinocchio.

    – Là, à deux pas !

    Sitôt dit, sitôt fait, ils traversèrent la ville et, une fois hors des murs, ils s’arrêtèrent dans un champ solitaire, qui ressemblait à tous les autres champs.

    – Nous y voilà ! dit le Renard au pantin. Maintenant, penche-toi, fais un petit trou avec tes mains dans le champ et mets dedans tes pièces d’or.

    Pinocchio obéit. Il creusa un petit trou et mit dedans les quatre pièces d’or qui lui restaient. Puis il recouvrit le trou avec un peu de terre.

    – Maintenant, dit le Renard, va à la fontaine là-bas, prends un seau d’eau et arrose ce que tu as semé.

    Pinocchio alla à la fontaine, et, comme il n’avait pas de seau, il enleva une de ses chaussures et la remplit d’eau. Puis il arrosa la terre qui couvrait le trou. Puis il demanda :

    – Qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ?

    – Plus rien, répondit le Renard. Maintenant, nous pouvons partir. Toi, tu reviens dans une vingtaine de minutes et tu trouves l’arbre déjà sorti du sol, avec ses branches couvertes de pièces d’or.

    Le pauvre pantin, fou de joie, remercia mille fois le Renard et le Chat et leur promit un beau cadeau.

    – Nous ne voulons pas de cadeau, répondirent les deux malandrins. Il nous suffit de t’avoir appris la façon de s’enrichir sans se fatiguer, et nous sommes contents comme ça.

    Ceci dit, ils dirent au revoir à Pinocchio en lui souhaitant une bonne récolte, et ils s’en allèrent.

    #153033

    Chapitre19

    De retour en ville, le pantin commença à compter les minutes une à une. Et quand il lui sembla que c’était l’heure, il reprit le chemin du champ des Miracles.

    Pendant qu’il marchait d’un pas alerte, son cœur battait très fort, en faisant tic, tac, tic, tac, comme une grosse horloge. Puis il se mit à courir, en pensant :

    -Et si au lieu de mille pièces, j’en trouvais sur l’arbre deux mille ? Et si, au lieu de deux mille, j’en trouvais cinq mille ? Et si, au lieu de cinq mille, j’en trouvais cent mille ? Oh ! Quel beau seigneur je deviendrais ! Je voudrais avoir un beau palais, mille chevaux de bois et mille écuries, pour me promener, une chambre pleine de beaux vêtements et de chaussures et une grande salle avec des bonbons, des tartes, des brioches, des amandes et des gaufrettes à la crème.

    Tout en rêvant ainsi, il arriva à côté du champ et il regarda de tous les côtés pour apercevoir un grand arbre avec les branches chargées de grappes de pièces d‘or. Mais il ne vit rien. Il avança d’une centaine de pas et il ne vit rien. Il entra dans le champ et alla jusqu’au petit trou qu’il avait creusé et où il avait enterré ses quatre pièces d’or, et toujours rien. Alors, oubliant les règles du savoir-vivre et de la politesse, il sortit les mains de ses poches et se gratta longuement la tête.

    A ce moment, il entendit un grand rire. Et, en se retournant, il vit sur un arbre un gros Perroquet qui se grattait les quelques plumes qu’il avait sur le dos.

    – Pourquoi ris-tu ? demanda Pinocchio, avec humeur.

    – Je ris parce que, en me grattant, je me suis chatouillé sous les ailes.

    Le pantin ne répondit pas. Il alla à la fontaine et remplit d’eau sa chaussure et arrosa encore la terre qui recouvrait ses pièces d’or.

    Un autre rire, encore plus impertinent que le premier, se fit entendre dans la solitude silencieuse du champ.

    – On peut savoir, Perroquet mal élevé, pourquoi tu ris ?

    – Je ris des jobards qui croient toutes les sottises et se laissent piéger par ceux qui sont plus rusés qu’eux.

    – Tu parles de moi ?

    – Oui, je parle de toi, pauvre Pinocchio, que tu es bien naïf de croire que les pièces peuvent se semer et se récolter dans un champ, comme on sème des haricots ou des citrouilles. Moi, je l’ai cru une fois et aujourd’hui, j’en porte la punition. Aujourd’hui, mais c’est trop tard, je sais que, pour gagner honnêtement quelques sous, il faut savoir les gagner en travaillant de ses mains ou avec son intelligence.

    – Je ne comprends pas, dit le pantin, qui commençait à trembler de peur.

    – Patience ! Je m’expliquerai mieux, ajouta le Perroquet. Il faut que tu saches que, pendant que tu étais à la ville, le Renard et le Chat sont revenus dans le champ. Ils ont pris les pièces que tu avais enterrées et puis, ils sont partis comme le vent. Et celui qui les rejoindra maintenant, il sera fort !

    Pinocchio resta la bouche ouverte, et, ne voulant pas croire les paroles du Perroquet, il commença à creuser avec ses mains dans la terre qu’il avait arrosée. Il creusait, il creusait, il creusait, et il fit un trou si profond qu’une meule de foin aurait pu y entrer. Mais les pièces n’y étaient plus.

    Désespéré, il revint dans la ville et alla au tribunal, pour dénoncer aux juges les deux malandrins qui l’avaient volé.

    Le juge était un gros singe, de la race des Gorilles : un vieux singe respectable par son grand âge, par sa barbe blanche et surtout par ses lunettes d’or, sans verres, qu’il portait continuellement à cause d’un mal aux yeux qui le faisait souffrir depuis des années.

    Pinocchio, devant le juge, raconta en détail le mauvais tour qu’on lui avait joué. Il dit le nom et donna le signalement de ses voleurs et finit par demander justice.

    Le juge l’écouta avec bienveillance. Il prenait beaucoup d’intérêt à l’histoire. Il s’attendrit, il compatit. Et quand le pantin n’eut plus rien à dire, il allongea la main et fit sonner sa clochette.

    Au tintement apparurent deux gros chiens bouledogues habillés en gendarmes.

    Alors le juge, montrant Pinocchio aux gendarmes, leur dit :

    – Ce pauvre diable a été volé de quatre pièces d’or. Attrapez-le et mettez-le en prison !

    Le pantin, après avoir entendu cette sentence, se sentit attrapé par la tête et les jambes, resta d’abord interloqué, puis voulut protester. Mais les gendarmes, sans perdre de temps, lui fermèrent la bouche et l’emmenèrent en prison.

    Et il y resta quatre mois, quatre longs mois, et il y serait resté encore plus s’il ne s’était produit un évènement heureux. Parce qu’il faut savoir que le jeune Empereur qui régnait dans le royaume des Attrape-Nigauds, ayant remporté une grande victoire sur ses ennemis, ordonna une grande fête publique, avec des illuminations, des feux d’artifice, des courses en sac et des courses de vélos, et en signe de joie, il voulut qu’on ouvre toutes les cellules et qu’on libérât tous les prisonniers.

    – Si vous sortez de prison, vous autres, dit Pinocchio au gardien , je veux sortir moi aussi.

    – Toi non, répondit le gardien, tu ne fais pas partie du beau monde.

    – Excusez-moi, répliqua Pinocchio, mais moi aussi je suis un voleur.

    – Dans ce cas, vous avez mille fois raison, dit le gardien en levant son képi respectueusement et, en le saluant, il ouvrit la porte de la prison et le laissa s’échapper.

    #153034

    Chapitre 20

    Vous pouvez vous imaginer la joie de Pinocchio quand il se sentit libre ! Ne cherchant pas à savoir pourquoi ci et pourquoi ça, il sortit très vite de la ville et reprit le chemin qui devait le conduire à la maison de la Fée.

    A cause du temps pluvieux, la rue était devenue un bourbier et on enfonçait jusqu’à mi-mollets. Mais le pantin n’y faisait pas attention. Tourmenté par le désir de revoir son papa et sa grande soeur, il galopait comme un lévrier et, pendant qu’il courait, des éclaboussures le salissaient jusque sous son béret. Tout en courant, il se disait :

    – Que de malheurs me sont tombés dessus. Mais je les mérite, parce que je suis un pantin têtu et désobéissant, et je veux tout faire comme je veux, sans vouloir écouter ceux qui m’aiment et ont mille fois plus de cervelle que moi ! Mais, à partir de maintenant, je vais changer de vie et devenir un bon garçon, gentil et obéissant. Jusqu’à aujourd’hui, tous les garçons que j’ai vus, qui étaient désobéissants, recevaient une punition et se repentaient. Et mon pauvre papa qui m’aura attendu ? Est-ce que je vais le trouver à la maison de la Fée ? Il y a si longtemps que je ne l’ai pas vu, ce pauvre homme, qu’il me tarde de le couvrir de caresses et de baisers. Mais est-ce que la Fée me pardonnera mes mauvaises actions ? Et penser que j’ai reçu d’elle tant d’attentions et tant de soins ! Et dire que, si aujourd’hui je suis vivant, c’est à elle que je le dois. Mais est-ce qu’on pourrait trouver un enfant plus ingrat et plus sans cœur que moi ?

    Au moment où il se disait ça, il s’arrêta d’un coup et fit quatre pas en arrière. Qu’est-ce qu’il avait vu ?

    Il avait vu un gros Serpent, qui traversait la route. Il avait la peau verte, des yeux de feu et une queue pointue, qui fumait comme une cheminée.

    Impossible d’imaginer la peur du pantin. Il s’éloigna à une bonne distance, s’assit sur un tas de pierres et attendit que le Serpent s’en aille à ses affaires et laisse le passage sur la route.

    Il attendit une heure, deux heures, trois heures, mais le Serpent était toujours là et, même de loin, on voyait rougeoyer ses yeux de feu et la colonne de fumée qui sortait de la pointe de sa queue.

    Alors Pinocchio, prenant son courage à deux mains, s’avança de quelques pas et, d’une petite voix toute douce, subtile et insinuante, dit au Serpent :

    – Excusez-moi, monsieur le Serpent, mais voudriez-vous me faire le plaisir de vous pousser un peu, pour me laisser passer ?

    C’est comme s’il s’adressait à un mur. Rien ne bougea.

    Alors, il reprit, de la même petite voix :

    – Sachez, monsieur le Serpent, que je rentre à ma maison, pour retrouver mon papa, qui m’attend depuis très longtemps. Est-ce que vous voulez bien que je continue ma route ?

    Il attendait une réponse à cette demande. Mais la réponse ne venait pas. En effet, le Serpent qui, jusqu’ici, semblait alerte et plein de vie, devint immobile et raide comme un morceau de bois. Ses yeux se fermèrent et sa queue s’arrêta de fumer.

    – Il est peut-être mort ? se dit Pinocchio, en se frottant les mains. Et, sans attendre, il fit le geste de l’enjamber, pour passer de l’autre côté de la route. Mais il n’avait pas fini de lever la jambe que le Serpent se leva à l’improviste. Et le pantin, épouvanté, fit un saut en arrière, trébucha et tomba par terre. Et, précisément, il tomba si mal qu’il resta la tête dans la boue de la rue et les jambes en l’air.

    En voyant le pantin qui gesticulait, la tête dans la boue et les pieds qui pédalaient en l’air, à une vitesse incroyable, le Serpent fut pris d’une crise de fou rire. Il riait, riait, riait tellement qu’une veine de sa poitrine se rompit. Et cette fois, il mourut vraiment.

    Alors Pinocchio recommença à courir pour arriver à la maison de la Fée avant qu’il fasse nuit. Mais, en chemin, il ressentit les morsures terribles de la faim. Il sauta dans une vigne pour cueillir quelques grappes de raisin. Il n’avait jamais fait ça.

    A peine arrivé au premier cep, crac… il se senti happé aux jambes par deux morceaux de fer coupants, qui lui firent voir trente six chandelles.

    Le pauvre pantin était pris dans un piège qui avait été posé là par des paysans qui voulaient attraper quelques grosses fouines, qui étaient la terreur de tous les poulaillers du voisinage.

    #153035

    Chapitre 21

    Pinocchio, comme vous pouvez l’imaginer, se mit à pleurer, à crier, à hurler, mais c’étaient des cris et des plaintes inutiles car, tout autour, il n’y avait aucune maison et il n’y avait âme qui vive.

    La nuit tomba.

    Un peu à cause de la douleur causée par le piège, qui lui mordait les jambes et un peu à cause de la frayeur de se retrouver seul dans le noir au milieu de ce champ, le pantin sentait qu’il allait s’évanouir. Quand, tout à coup, il vit passer un Ver luisant, avec une petite lampe sur la tête. Il l’appela et lui dit :

    – Oh ! Cher petit Ver Luisant, aurais-tu la gentillesse de me libérer de ce piège ?

    – Pauvre enfant, répondit le Ver Luisant, s’arrêtant, plein de pitié, pour le regarder. Comment as-tu fait pour te faire attraper les jambes par ce piège ?

    – Je suis entré dans la vigne pour cueillir une grappe de ce raisin

    – Mais le raisin était à toi ?

    – Non…

    – Alors, qui t’a appris à voler ce qui n’est pas à toi ?

    – J’avais faim…

    – La faim, mon enfant, n’est pas une bonne raison pour voler ce qui ne t’appartient pas.

    – C’est vrai ! C’est vrai ! cria Pinocchio en pleurant. Une autre fois, je ne le ferai pas

    A ce moment, on entendit un petit bruit de pas qui s’approchaient. C’était le propriétaire de la vigne, qui venait voir si quelque fouine, qui lui mangeait ses poules chaque nuit, était prise au piège.

    Et son étonnement fut grand quand, sortant une lanterne de sous sa cape, il vit que c’était un pantin qui avait été pris.

    – Ah ! Voleur ! dit le paysan en colère. C’est toi qui viens voler mes poules ?

    – Ce n’est pas moi : Ce n’est pas moi ! cria Pinocchio en sanglotant. Je suis entré dans la vigne seulement pour cueillir une grappe de raisin.

    – Celui qui vole du raisin est tout à fait capable de voler aussi des poules. Laisse-moi te donner une bonne leçon pour t’empêcher de recommencer.

    Et, ouvrant le piège, il attrapa le pantin par le collet et l’emmena chez lui, comme s’il avait porté un agneau de lait.

    Arrivé à la basse-cour devant la maison, il le jeta par terre et, en lui posant un pied sur le cou, il lui dit :

    – Maintenant, c’est tard et je veux aller me coucher. Nous ferons nos comptes demain. Mais mon chien qui faisait la garde la nuit, est mort, alors, aujourd’hui tu feras son travail. Tu me serviras de chien de garde.

    Sitôt dit, sitôt fait, il lui passa autour du cou un gros collier tout couvert de pointes de fer et il le serra très fort pour que Pinocchio ne passe pas la tête au travers. Au collier était attachée une longue chaîne de fer, qui était fixée au mur.

    – S’il pleut cette nuit, dit le paysan, tu peux aller te coucher dans cette niche, où il y a toujours de la paille, et qui a servi de lit pendant quatre ans à mon pauvre chien. Et si, par malheur, il vient des voleurs, souviens-toi que tu dois écouter tous les bruits et aboyer.

    Après ce dernier avertissement, le paysan entra dans sa maison en fermant la porte au verrou. Le pauvre Pinocchio restait enchaîné dans le poulailler, plus mort que vif, à cause du froid, de la faim et de la peur. Enfonçant rageusement ses mains dans le collier, qui lui serait trop le cou, il disait en pleurant :

    – Me voilà bien ! J’ai voulu faire le bon à rien, le vagabond… J’ai suivi les mauvais conseils de méchants compagnons et le malheur me suit sans répit. Si j’étais resté un bon petit garçon, comme il y en a tant, si j’avais eu la volonté d’étudier et de travailler, je serais resté à la maison avec mon pauvre papa, et à cette heure, je ne me trouverais pas ici, au milieu des champs, à faire le chien de garde dans le poulailler d’un paysan. Ah ! Si je pouvais recommencer ! Mais maintenant, c’est trop tard ! Patience !

    Après avoir fait cette réflexion, qui lui venait du cœur, il entra dans la niche et s’endormit.

    #153036

    Chapitre 22

    Il y avait déjà plus de deux heures qu’il dormait paisiblement quand, vers minuit, il fut réveillé par un murmure d’étranges petites voix, qu’il lui semblait entendre dans la basse-cour. Il sortit le bout du nez de la niche et il vit, réunies comme pour un Conseil, quatre petites bêtes au pelage sombre, qui lui semblèrent être des chats. Mais ce n’étaient pas des chats, c’étaient des fouines, animaux carnivores, gourmandes surtout d’œufs et de jeunes poulets. Une de ces fouines, se détachant de ses compagnes, alla jusqu’à la niche et dit à mi-voix

    – Bonsoir, Mélampe.

    – Je ne m’appelle pas Mélampe, répondit le pantin.

    – Alors, qui es-tu ?

    – Je suis Pinocchio.

    – Et qu’est-ce que tu fais là ?

    – Je fais le chien de garde.

    – Et Mélampo, où est-il ? Où est-il, ce pauvre vieux chien qui habitait dans cette niche ?

    – Il est mort ce matin.

    – Mort ? Pauvre bête ! Il était si bon ! Mais il me semble que, toi aussi, tu es un chien de garde.

    – Pardon, je ne suis pas un chien.

    – Alors, qui es-tu ?

    – Je suis un pantin.

    – Et pourquoi tu fais le chien de garde ?

    – Malheureusement, c’est une punition.

    – Eh bien, moi, je te propose les mêmes arrangements que j’avais avec le défunt Mélampe. Et tu seras content.

    – Et qu’est-ce que ça serait, ces arrangements ?

    – Nous viendrons une fois par semaine, comme d’habitude, pour visiter le poulailler, et nous emporterons huit poules. Nous en mangerons sept et la huitième, nous te la donnerons, à condition, bien sûr, que tu fasses semblant de dormir et que tu n’aies pas l’idée d’aboyer et de réveiller le paysan.

    – Mélampe faisait ça ? demanda Pinocchio.

    – Oui, il faisait ça, et nous avons toujours été bons amis. Donc, dors tranquillement et sois sûr qu’avant de partir, nous laisserons devant ta niche une belle poule toute plumée pour ton repas de demain. C’est d’accord ?

    – Très bien, répondit Pinocchio, et il secoua la tête, comme s’il avait voulu dire : Nous en reparlerons dans peu de temps !

    Quand les quatre fouines se crurent en sécurité, elles filèrent droit sur le poulailler, qui était à côté de la niche du chien. Et, après avoir ouvert, à coups de dents et de griffes, la porte de bois qui fermait l’entrée, elles se faufilèrent l’une après l’autre. Mais, à peine étaient-elles entrées qu’elles entendirent la porte se refermer avec une grande violence.

    C’était Pinocchio, qui, non content d’avoir fermé, posa devant la porte, pour plus de sécurité, une grosse pierre.

    Puis il se mit à aboyer, et aboyant comme un chien de garde, il criait : « Ouah ! Ouah ! Ouah ! »

    En entendant aboyer, le paysan sauta du lit, prit son fusil et, se mettant à la fenêtre, il demanda

    – Qu’est-ce qu’il y a ?

    – Les voleurs ! dit Pinocchio.

    – Où sont-ils ?

    – Dans le poulailler.

    – Je descends tout de suite.

    Et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le paysan descendit. Il entra dans le poulailler et, après avoir attrapé et enfermé dans un sac les quatre fouines, il leur dit, tout content :

    – A la fin, vous êtes tombées entre mes mains ! Je pourrais vous punir, mais je ne suis pas si mauvais. Demain, je vous porterai à l’hôtelier du village, qui vous écorchera et vous fera cuire comme un lièvre. C’est un honneur que vous ne méritez pas, mais les hommes généreux comme moi, ne s’embarrassent pas de ces petites choses.

    Puis, s’approchant de Pinocchio, il se mit à lui faire mille caresses et, entre autres choses, il lui demanda :

    – Comment as-tu fait pour découvrir le complot de ces quatre voleuses ? Et dire que Mélampe, mon fidèle Mélampe, ne s’est jamais aperçu de rien !

    Le pantin, alors, aurait pu raconter ce qu’il savait. Il aurait pu raconter le pacte honteux qu’avaient passé le chien et les fouines. Mais il se souvint que le chien était mort et il se dit : « A quoi ça sert d’accuser les morts ? Les morts sont morts et la meilleure chose que nous puissions faire est de les laisser en paix. »

    – Quand les fouines sont arrivées, tu dormais ou tu étais éveillé ? lui demanda le paysan.

    – Je dormais, répondit Pinocchio, mais les fouines m’ont réveillé avec leur bavardage, et une est venue jusqu’à ma niche pour me dire : « Si tu me promets de ne pas aboyer et de ne pas réveiller le patron, nous te donnerons une belle poularde toute plumée ! » Vous comprenez ? Avoir le culot de me faire une telle proposition ! Parce qu’il faut savoir que je suis un pantin et que j’ai tous les défauts du monde. Mais je ne serai jamais le complice de gens malhonnêtes.

    -Brave enfant ! cria le paysan, en lui donnant une tape sur l’épaule. Ces sentiments te font honneur. Pour te prouver ma satisfaction, je te laisse libre de rentrer chez toi.

    Et il lui enleva le collier de chien.

    #153037

    Chapitre 23

    Dès que Pinocchio ne sentit plus le poids de ce collier dur et humiliant, il s’échappa à travers champs et ne s’arrêta pas un seul instant, jusqu’à ce qu’il eut rejoint la grand’route qui devait le mener à la maison de la Fée.

    Arrivé sur la grand’route, il regarda partout, tout autour de lui. Il vit le bois, où il avait malheureusement rencontré le Renard et le Chat. Il vit, au milieu des arbres, pointer la cime du Grand Chêne, où il avait été pendu. Mais il eut beau regarder de tous les côtés, il ne vit nulle part la petite maison de la belle Jeune Fille aux Cheveux bleus.

    Alors, il eut comme une sorte de triste pressentiment et, courant de toutes les forces qui lui restaient, il arriva en quelques minutes dans le pré où il avait déjà vu la petite maison blanche. Mais la petite Maison blanche n’y était plus. A la place, il y avait une plaque de marbre sur laquelle on pouvait lire, en lettres capitales, ces mots :

    CI GIT

    LA FEE AUX CHEVEUX BLEUS

    MORTE DE CHAGRIN

    D’AVOIR ETE ABANDONNEE PAR SON PETIT FRERE PINOCCHIO

    Je vous laisse imaginer comment resta le pantin, quand il eut compris le sens de ces mots. Il tomba à terre et couvrit de mille baisers cette plaque de marbre. Il se mit à pleurer. Il pleura toute la nuit et quand le matin se leva, il pleurait toujours, tant et si bien que ses yeux n’avaient plus de larmes. Et ses cris et ses gémissements étaient si forts que toutes les collines du voisinage en répétaient l’écho.

    Et, tout en pleurant, il disait :

    – Oh ! ma belle petite Fée, pourquoi es-tu morte ? Pourquoi moi, au contraire, je ne suis pas mort, moi qui suis si méchant, si mauvais, alors que toi, tu étais si douce, si bonne ! Et mon papa, où est-il maintenant ? Oh ! Ma chère petite Fée, dis-moi où je pourrais le trouver, je veux rester avec lui, toujours, toujours, je ne le quitterai plus jamais ! Oh ! Ma petite Fée chérie, dis-moi que ce n’est pas vrai que tu sois morte ! Si tu m’aimes, si tu aimes ton petit frère, ressuscite. Reviens vivre comme avant. Tu n’es pas malheureuse de me voir seul et abandonné de tout le monde ? Si les assassins arrivent, ils me pendront encore à l’arbre, et alors, je mourrai pour toujours. Qu’est-ce que tu veux que je fasse, tout seul, dans ce monde. Maintenant que j’ai perdu mon papa, qui me donnera à manger ? Où irai-je dormir la nuit ? Qui me fera des vêtements ? Oh ! Il vaudrait mieux, cent fois mieux, que je meure moi aussi. Oui, je veux mourir…. Ih ! ih ! ih !

    Pendant qu’il se désespérait de cette façon, il fit le geste de s’arracher les cheveux. Mais comme ses cheveux étaient en bois, il ne pouvait même pas fourrer ses mains dedans.

    A ce moment-là passa une grande Colombe aux ailes étendues qui, s’arrêtant, lui cria, d’une grande distance :

    – Dis-moi, mon petit, que fais-tu là ?

    – Tu ne le vois pas ? Je pleure, dit Pinocchio, levant la tête vers cette voix, en s’essuyant les yeux avec la manche de sa veste.

    – Dis-moi, ajouta la Colombe, tu ne connaîtrais pas, par hasard, un pantin, qui s’appelle Pinocchio ?

    – Pinocchio ? Tu as dit Pinocchio ? répondit le pantin en sautant sur ses pieds. Pinocchio, c’est moi !

    La Colombe, en entendant cela, s’approcha d’un grand coup d’ailes et se posa par terre. Elle était plus grosse qu’un dindon.

    – Tu ne connaîtrais pas aussi Geppetto ? demanda-t-elle au pantin.

    – Si je le connais ! C’est mon pauvre papa ! Est-ce qu’il t’a parlé de moi ? Est-ce que tu peux me conduire jusqu’à lui ? Réponds-moi, par pitié. Est-ce qu’il est toujours vivant ?

    – Je l’ai laissé il y a trois jours sur la plage.

    – Et qu’est-ce qu’il faisait ?

    -Il se fabriquait une petite barque pour traverser l’océan. Ce pauvre homme, depuis plus de quatre mois, courait par le monde à ta recherche. Et comme il ne te trouvait pas, il s’était décidé à te chercher dans les pays les plus lointains du nouveau monde.

    – Il y a combien d’ici à la plage ? demanda Pinocchio, haletant d’anxiété.

    – Plus de mille kilomètres.

    – Mille kilomètres ? Oh ! Ma belle Colombe ! Que je serais heureux d’avoir des ailes comme toi !

    – Si tu veux venir, je te porterai.

    – Comment ?

    – A cheval sur mon dos. Tu es lourd ?

    – Lourd ? Pas du tout ! Je suis léger comme une plume.

    Et, sans perdre plus de temps, Pinocchio sauta sur le dos de la Colombe, en mettant une jambe de chaque côté, comme les cavaliers, et il criait tout content : « Galope ! Galope ! mon petit cheval, Je veux arriver très vite ! »

    La Colombe s’envola et, en quelques minutes, elle volait si haut qu’elle touchait presque les nuages. Arrivé à une certaine hauteur, le pantin eut la curiosité de regarder en bas. Mais il fut pris de tant de vertige et d’une telle peur qu’il entoura de toutes ses forces le cou de sa monture.

    Ils volèrent toute la journée. Quand le soir tomba, la Colombe dit :

    – J’ai très soif !

    – Et moi, j’ai très faim, ajouta Pinocchio.

    – Arrêtons-nous dans ce colombier quelques minutes. Puis nous reprendrons notre voyage, pour être sur la plage demain à l’aube.

    Ils entrèrent dans un colombier vide, où il y avait seulement une cuvette d’eau et une corbeille remplie de pois.

    Le pantin, toute sa vie, avait détesté les pois. Il disait qu’ils lui faisaient mal à l’estomac et lui donnaient envie de vomir. Mais ce soir-là, il mangea même les cosses, et quand il eut fini, il se tourna vers la Colombe et lui dit :

    – Je n’aurais jamais cru que les pois soient si bons !

    – Il faut que tu saches, mon enfant, dit la Colombe, que quand on a faim et qu’il n’y a rien d’autre à manger, même les pois deviennent excellents. La faim ne connaît pas les caprices ni les dégoûts.

    Après avoir fait un petit somme, ils se remirent en voyage et hop la ! Le lendemain matin, ils arrivèrent sur la plage.

    La Colombe posa Pinocchio par terre, et ne voulant même pas être remerciée de sa bonne action, elle reprit tout de suite son envol et disparut.

    La plage était pleine de gens qui hurlaient et gesticulaient en regardant la mer.

    – Qu’est-ce qui se passe ? demanda Pinocchio à une voisine.

    – C’est un pauvre père, qui a perdu son fils. Il a voulu monter dans une petite barque pour aller le chercher mais aujourd’hui, la mer est mauvaise et la petite barque est sur le point de chavirer.

    – Où est-elle, cette barque ?

    – Là voilà là-bas, en direction de mon doigt, dit la voisine, en montrant une barque qui, vue à cette distance, n’était pas plus grande qu’une coquille de noix, et dedans, on voyait un homme tout petit, minuscule.

    Pinocchio chercha des yeux la barque, de tous les côtés et, après avoir regardé attentivement, il hurla et cria :

    – C’est mon papa ! C’est mon papa !

    La barque, battue par les vents furieux et les vagues déchaînées, tourbillonnait et dansait, comme si elle allait s’engloutir. Pinocchio, monté sur le plus haut rocher, n’en finissait pas d’appeler son papa et de lui faire des signes avec les mains, avec son nez, et même avec son béret qu’il avait enlevé et qu’il agitait de toutes ses forces.

    Il lui sembla que Geppetto, bien qu’il fût très loin de la plage, reconnut son fils, parce qu’il enleva sa casquette et, à force de gestes, lui fit comprendre qu’il serait bien revenu en arrière, mais que la mer était si mauvaise qu’il ne pouvait même pas ramer pour retourner sur la plage.

    Tout d’un coup arriva une vague terrible et la barque disparut. Ils attendirent que la barque refasse surface, mais on ne la voyait plus.

    – Pauvre homme, dirent alors les pêcheurs qui étaient réunis sur la plage, et, marmonnant entre leurs dents une prière, ils rentrèrent chez eux.

    Tout à coup, ils entendirent un hurlement désespéré et, se retournant, ils virent un petit pantin qui se jetait dans la mer en criant :

    – Je veux sauver mon papa !

    Pinocchio, qui était en bois, flottait facilement et nageait comme un poisson. Tantôt il se voyait sous l’eau, porté par la violence des flots, tantôt une jambe ou un bras réapparaissait, à une grande distance de la plage. A la fin, ils le perdirent de vue et ne le virent plus.

    -Pauvre garçon, dirent alors les pêcheurs qui étaient groupés sur la plage, et, en murmurant encore une prière, ils rentrèrent chez eux.

    #153038

    Chapitre 24

    Pinocchio, dans l’espoir d’arriver à temps pour aider son pauvre papa, nagea toute la nuit.

    Et quelle horrible nuit, celle-ci ! De la grêle, un déluge, un tonnerre épouvantable, des éclairs si aveuglants qu’on se serait cru en plein jour.

    Au lever du jour, il lui sembla voir, à peu de distance, une longue bande de terre. C’était une île au milieu de la mer.

    Alors, il fit tout ce qu’il put pour arriver à cette plage, mais inutilement. Les vagues le poursuivaient, le ballottaient entre elles, comme s’il était une brindille de bois ou un fétu de paille. A la fin, heureusement, il arriva une vague tellement haute et violente, qu’elle le déposa sur le sable de la plage.

    Le coup fut si fort que, en le projetant par terre avec force, il lui fit mal aux côtes, et lui laboura les genoux et les coudes. Mais il se consola en disant :

    – Cette fois, je l’ai échappé belle !

    En peu de temps, le ciel redevint bleu, le soleil apparut dans toute sa splendeur et la mer redevint calme et unie comme de l’huile.

    Alors le pantin étendit ses vêtements au soleil pour les faire sécher et regarda de tous les côtés pour voir si, par hasard, il pouvait apercevoir, dans cette immensité d’eau, une petite barque avec un petit homme dedans. Mais, après avoir regardé partout, il ne vit que le ciel, la mer et quelques voiles de bateaux, mais loin, si loin, qu’on eut dit des mouches.

    – Si au moins je savais comment s’appelle cette île, disait-il. Si au moins je savais si cette île est habitée par des gens bien élevés, je veux dire des gens qui ne poussent pas le vice jusqu’à attacher des enfants aux branches d’un arbre ! Mais à qui je pourrais le demander ? Il n’y a personne ici.

    Cette idée de se retrouver tout seul au milieu d’un grand pays désert, le remplit de tristesse. Il allait se mettre à pleurer quand, tout d’un coup, il vit passer, à quelque distance de la rive, un gros poisson, qui s’en allait tranquillement à ses affaires, avec la tête hors de l’eau.

    Ne sachant comment l’appeler, le pantin lui dit, à voix forte, pour se faire entendre :

    – Holà ! Monsieur le Poisson, me permettez-vous de vous adresser la parole.

    – Même deux, répondit le poisson, qui était un Dauphin très poli, comme il y en a dans toutes les mers du monde.

    – Me feriez-vous le plaisir de me dire si, dans cette île, il y a un endroit où on peut manger, sans risque d’être mangé soi-même ?

    – Je n’en suis pas certain, répondit le Dauphin. Tu trouveras une auberge pas très loin d’ici.

    – Et comment faire pour y aller ?

    – Tu prends ce chemin-ci, à gauche, et tu vas tout droit. Tu ne peux pas te tromper.

    – Dis-moi autre chose. Vous qui vous promenez tout le jour et toute la nuit dans la mer, est-ce que, par hasard, vous n’auriez pas rencontré une petite barque, avec mon papa dedans ?

    – Et qui est ton papa ?

    – C’est le papa le meilleur du monde, comme moi, je suis le plus mauvais fils qu’on puisse trouver.

    – Avec la tempête qu’il a fait cette nuit, répondit le Dauphin, la petite barque se sera noyée.

    – Et mon papa ?

    – A cette heure-ci, il est mangé par la terrible baleine, qui est venue depuis quelques jours apporter la désolation dans nos eaux.

    – Et cette baleine, elle est grosse ? demanda Pinocchio qui commençait à trembler de peur.

    – Si elle est grosse ! répondit le Dauphin. Pour te donner une idée, je te dirai qu’elle est plus grosse qu’un immeuble de cinq étages, et une bouche si large et si profonde qu’il y entrerait facilement tous les trains de la voie ferrée et leurs wagons.

    – Maman ! cria le pantin, épouvanté. Et, se rhabillant en hâte, il se tourna vers le Dauphin et il lui dit :

    – Au revoir, Monsieur le poisson. Excusez-moi pour le dérangement et mille mercis pour votre courtoisie.

    Ceci dit, il prit le chemin et commença à marcher d’un pas agile, si agile qu’il semblait courir. Et, à chaque petit bruit qu’il entendait, il se retournait pour regarder derrière lui, craignant de se voir suivi par une terrible baleine de cinq étages, avec un train et ses wagons dans la bouche.

    Au bout d’une demi-heure, il arriva dans un petit village appelé « Le Village des Abeilles laborieuses ». Les rues fourmillaient de personnes qui couraient ça et là à leurs affaires. Toutes travaillaient, toutes avaient quelque chose à faire. On ne trouvait pas un seul vagabond, pas un seul fainéant, même en le cherchant avec une lanterne.

    – J’ai compris, dit ce paresseux de Pinocchio, ce pays n’est pas fait pour moi ! Je ne suis pas né pour travailler, moi !

    Entre temps, la faim le tenaillait, parce que, depuis vingt quatre heures, il n’avait rien mangé, à part une corbeille de pois.

    Que faire ?

    Il ne lui restait que deux choses à faire pour pouvoir déjeuner : soit demander un peu de travail, soit demander l’aumône d’un sou ou d’un morceau de pain.

    Il avait honte de demander l’aumône. Parce que son papa lui avait dit que seuls les vieux, et les infirmes avaient le droit de mendier. Les vrais pauvres méritent l’aide et la compassion, ainsi que ceux qui, à cause de l’âge ou de la maladie, ne peuvent pas gagner leur pain par leur travail. Tous les autres doivent travailler. Et s’ils ne travaillent pas et s’ils ont faim, tant pis pour eux !

    A ce moment-là passa dans la rue un homme en sueur et à bout de souffle, qui tirait tout seul, avec beaucoup de peine, deux charrettes chargées de charbon.

    Pinocchio pensa, en voyant sa figure, que c’était un brave homme, s’approcha de lui et lui dit doucement, en baissant les yeux de honte :

    – Me ferez-vous la charité de me donner un franc, parce que je meurs de faim ?

    – Je ne vais pas te donner un franc, mais quatre, dit le charbonnier, si tu m’aides à tirer ces deux charrettes de charbon jusque chez moi.

    – Jamais de la vie ! répondit le pantin. Sachez que je n’ai jamais fait la bête de somme et je n’ai jamais tiré de charrette.

    – Tant mieux pour toi ! répondit le charbonnier. Alors, mon petit, si tu te sens mourir de faim, mange deux tranches de ton orgueil et essaie de ne pas avoir une indigestion.

    Au bout de quelques minutes passa un maçon, qui portait sur les épaules un panier de briques.

    -Cher monsieur, ferez-vous l’aumône d’un franc à un pauvre garçon qui meurt de faim ?

    -Volontiers ! Aide-moi à porter ce panier plein de briques, répondit le maçon, et au lieu d’un franc, je t’en donnerai cinq.

    -Mais le panier est lourd, et moi, je ne veux pas me fatiguer, répondit Pinocchio.

    -Si tu ne veux pas te fatiguer, alors, mon garçon, amuse-toi à bailler et grand bien te fasse !

    En moins d’une heure passèrent une vingtaine de personnes. Pinocchio demanda un peu d’aumône, mais toutes répondirent :

    -Tu n’as pas honte ? Au lieu de faire le mendiant dans la rue, cherche plutôt un peu de travail, et tu gagneras ton pain.

    Finalement passa une brave femme qui portait deux seaux d’eau.

    -S’il vous plait, ma bonne dame, me permettez-vous de boire un peu d’eau ? dit Pinocchio, dévoré par la soif.

    -Bois, mon garçon, dit la dame en posant ses deux seaux par terre.

    Quand Pinocchio eut bu comme une éponge, il murmura, en s’essuyant la bouche :

    -Je n’ai plus soif ! Si je pouvais ne plus avoir faim !

    La bonne dame, entendant ces paroles, ajouta tout de suite :

    – Si tu m’aides à porter chez moi un de ces seaux d’eau, je te donnerai un beau morceau de pain.

    Pinocchio regarda les seaux et ne répondit rien.

    – Et, en plus du pain, je te donnerai un bon plat de chou-fleur en salade, ajouta la bonne dame.

    Pinocchio regarda encore les seaux et ne répondit toujours pas.

    – Et après le chou-fleur, je te donnerai un cornet plein de dragées.

    Alors, séduit par cette dernière gourmandise, Pinocchio ne put plus résister et il dit d’un ton résolu :

    – D’accord ! Je porterai les seaux jusque chez vous !

    Le seau était très lourd et Pinocchio, ne pouvait le porter avec les mains, le posa sur sa tête.

    Quand ils furent arrivés chez elle, la bonne dame fit asseoir Pinocchio à une petite table et posa devant lui le pain, le chou-fleur et les dragées.

    Pinocchio ne mangea pas, il dévora. Son estomac ressemblait à un trou vide depuis des mois.

    Une fois calmées les morsures de la faim, il souleva son béret pour remercier sa bienfaitrice. Mais il n’avait pas encore fini qu’il s’arrêta net avec un long ooooh d’émerveillement, et il resta là, comme ensorcelé, les yeux hors de la tête, la fourchette en l’air et la bouche pleine de pain et de chou-fleur.

    – Qu’est-ce qui t’arrive ? dit en riant la bonne dame.

    – C’est… C’est… répondit Pinocchio en balbutiant, c’est… vous ressemblez… vous me rappelez…. Oh oui ! la même voix ! les mêmes yeux, les mêmes cheveux….. oui, oui, vous avez les cheveux bleus, comme elle…Oh ! Ma petite Fée ! Dites-moi que c’est vraiment vous ! Ne me faites plus pleurer ! Si vous saviez ! J’ai tant pleuré ! J’ai tant souffert !

    Et, en disant cela, Pinocchio pleurait encore plus fort et, en se jetant à genoux, il embrassa les genoux de cette dame mystérieuse.

    #153039

    Chapitre 25

    Tout d’abord, la bonne dame commença par dire que non, qu’elle n’était pas la petite Fée aux Cheveux bleus. Puis, se voyant découverte et ne pouvait plus jouer la comédie plus longtemps, elle se fit reconnaître et dit à Pinocchio :

    – Coquin de pantin ! Comment as-tu fait pour savoir que c’était moi ?

    – C’est mon cœur qui me l’a dit, mon cœur qui vous aime tant !

    – Tu te souviens ? Tu as laissé une petite fille et maintenant, tu retrouves une dame. Je pourrais presque être ta maman.

    – J’aime encore mieux parce que, comme ça, au lieu d’une petite sœur, j’aurais une maman. Il y a tellement longtemps que j’ai envie d’avoir une maman, comme tous les autres enfants. Mais comment avez-vous fait pour grandir aussi vite ?

    – C’est un secret !

    – Dites-le moi : je voudrais grandir un peu moi aussi. Vous ne le voyez pas ? Je suis toujours aussi grand qu’un morceau de bois.

    – Mais tu ne peux pas grandir, répondit la Fée

    – Pourquoi ?

    – Parce que les pantins ne grandissent jamais. Ils naissent pantins, ils vivent pantins et ils meurent pantins.

    – Oh ! J’en ai assez d’être toujours un pantin ! cria Pinocchio, en se donnant une tape. J’aimerais aussi devenir un homme.

    – Tu le deviendras, si tu sais le mériter.

    – Vraiment ? Et qu’est-ce que je dois faire pour le mériter ?

    – Une chose très simple. Faire tout pour être un garçon comme il faut.

    – Et pourquoi je ne le suis pas ?

    – Parce que tous les garçons comme il faut sont obéissants, et toi, au contraire…

    – Et moi je n’obéis jamais.

    – Les enfants comme il faut aiment l’étude et le travail et toi…

    – Et moi, au contraire, je fais le vadrouilleur et le vagabond toute l’année.

    – Les garçons comme il faut disent toujours la vérité…

    – Et moi, je dis toujours des mensonges.

    – Les garçons comme il faut vont volontiers à l’école…

    – Et moi, l’école, je ne peux pas la sentir. Mais, à partir d’aujourd’hui, je vais changer.

    – Tu me le promets ?

    – Je vous le promets. Je veux devenir un bon petit garçon et je veux être la consolation de mon papa… Qui sait où il est, mon papa, de ces heures-ci ?

    – Je ne sais pas.

    – Est-ce que j’aurai le bonheur de le revoir et de l’embrasser ?

    – Je crois que oui, mais je n’en suis pas sûre.

    En entendant cela, Pinocchio était tellement content qu’il prit les mains de la Fée et commença à les embrasser avec tant de fougue, qu’il semblait hors de lui. Puis en levant les yeux et en la regardant affectueusement, il demanda :

    – Dis-moi, ma petite maman, ce n’est pas vrai que tu sois morte ?

    – Bien sûr que non, répondit la Fée en souriant.

    – Si tu savais à quel point j’ai été malheureux quand j’ai lu : Ici gît…

    – Je le sais. C’est pourquoi je t’ai pardonné. La sincérité de ta peine m’a montré que tu avais bon cœur. Et les garçons qui ont bon cœur, même s’ils sont un peu coquins et mal élevés, on peut toujours espérer en tirer quelque chose. Il faut toujours espérer que tu rentreras dans le droit chemin. C’est pour ça que je suis venue te chercher jusqu’ici. Je serai ta maman.

    – Quel bonheur, cria Pinocchio en sautant de joie.

    – Tu m’obéiras et tu feras toujours ce que je te dis ?

    – Volontiers ! Volontiers ! Volontiers !

    – Dès demain, ajouta la Fée, tu commenceras par aller à l’école.

    Pinocchio commença par être un peu moins souriant.

    – Puis, tu chercheras ce qui te plait comme métier.

    Pinocchio devint sérieux.

    – Qu’est-ce que tu grommelles entre tes dents ? demanda la Fée, d’un air irrité.

    – Je dis, marmonna le pantin à mi voix, que maintenant, pour aller à l’école, c’est un peu tard !

    – Non monsieur. Souviens-toi que, pour apprendre et pour s’instruire, il n’est jamais trop tard.

    – Mais je ne veux pas apprendre un métier.

    – Pourquoi ?

    – Parce que travailler me fatigue.

    – Mon enfant, dit la Fée, ceux qui disent ça finissent toujours en prison ou à l’hospice. L’homme, qu’il naisse riche ou pauvre, est obligé, dans ce monde, de faire quelque chose, s’occuper, travailler. Gare à toi si tu te laisses gagner par la paresse. La paresse est une très mauvaise maladie et il faut en guérir tout de suite. Et quand nous sommes des enfants. Sinon, quand nous sommes grands, on ne peut plus en guérir.

    – J’étudierai, je travaillerai, je ferai tout ce que tu me diras, parce que, en somme, j’en ai assez de cette vie de pantin et je veux devenir un garçon comme les autres. Tu me l’as promis, n’est-ce pas ?

    – Je te l’ai promis. Et maintenant, cela dépend de toi.

    #153040

    Chapitre 26

    Le lendemain, Pinocchio alla à l’école communale.

    Imaginez la tête des autres enfants quand ils virent entrer dans leur école un pantin ! Ce furent des éclats de rire qui n’en finissaient plus. L’un d’eux lui faisait un croche-pied, un autre se moquait de lui. Un troisième lui enlevait son béret, un quatrième lui tirait sa veste par derrière, un autre lui peignait à l’encre deux grosses moustaches sous son nez, et quelques uns lui mettaient des ficelles aux pieds et aux mains pour le faire danser.

    Pour un peu, Pinocchio serait parti en vitesse mais finalement, comme il commençait à s’énerver, il se tourna vers ceux qui l’embêtaient le plus et s’amusaient de lui, et il leur dit, en colère :

    – Ça suffit, les garçons ! Je ne suis pas venu ici pour être votre bouffon. Je respecte les autres et je veux être respecté !

    -Bien dit ! Tu parles comme un livre ! hurlèrent ces vilains enfants, avec des fous rires. L’un d’eux, plus audacieux que les autres, allongea la main avec l’idée d’attraper le pantin par le bout de son nez.

    Mais il n’eut pas le temps de le faire. Parce que Pinocchio allongea la jambe sous la table et lui donna un coup de pied dans le mollet.

    – Oh ! Il a les pieds durs ! hurla le garçon en boitant et en se frottant le bleu que lui avait fait le pantin.

    – Et ses coudes sont encore plus durs que ses pieds, dit un autre qui, à cause de ses plaisanteries grossières, avait reçu un coup de coude dans l’estomac.

    Finalement, après ce coup de pied et ce coup de coude, Pinocchio reçut l’estime et la sympathie de tous les enfants de l’école. Et tous lui faisaient mille caresses et l’aimaient beaucoup.

    Le maître aussi le félicitait parce qu’il le voyait attentif, studieux, intelligent, toujours le premier à entrer en classe et le dernier à partir, l’école finie.

    Son seul défaut était de fréquenter trop de camarades. Et, parmi eux, il y avait beaucoup de vauriens qui étaient très connus pour leur peu d’envie d’apprendre et de faire honneur à leurs parents.

    Le maître le mettait en garde tous les jours et aussi la bonne Fée ne manquait pas de lui dire et de lui répéter plusieurs fois :

    – Fais attention, Pinocchio ! Tes mauvais camarades, un jour ou l’autre, vont finir par te faire perdre l’amour de l’étude et peut-être il va t’arriver malheur.

    – Pas de danger, répondait Pinocchio en haussant les épaules et en se touchant le front de l’index comme pour dire : « Il y en a, de la jugeote, là-dedans ! »

    Or, un beau jour, pendant qu’il allait à l’école, il rencontra quelques uns de ses camarades qui, allant à sa rencontre, lui dirent :

    – Tu sais la grande nouvelle ?

    – Non !

    – Dans la mer, à côté d’ici, il est arrivé une baleine, grosse comme une maison.

    – Vraiment ? C’est peut-être la même baleine qui a avalé mon pauvre papa ?

    – Nous allons à la plage pour la voir. Tu veux venir avec nous ?

    – Non, moi je veux aller à l’école.

    – Qu’est-ce que tu en as à faire, de l’école ? A l’école, nous irons demain. Une leçon de plus ou de moins, ça n’a pas d’importance. Et d’ailleurs, on dit toujours la même chose.

    – Et le maître, qu’est-ce qu’il dira ?

    – Le maître, on le laisse parler. Il est payé pour grogner toute la journée.

    – Et ma maman ?

    – Les mamans ne savent jamais rien, répondirent ces vauriens.

    – Vous savez ce que je vais faire ? dit Pinocchio. La Baleine, j’ai mes raisons de vouloir la voir. Mais j’irai la voir après l’école !

    – Pauvre nigaud ! répondit un de la bande. Si tu crois qu’un monstre de cette grosseur va attendre ton bon plaisir ? Dès qu’il s’ennuie, il s’en va ailleurs et alors, tant pis pour ceux qui ne l’ont pas vu.

    – Combien de temps faut-il pour aller jusqu’à la plage ? demanda le pantin.

    – A peu près une heure, pour faire l’aller-retour.

    – Alors, allons-y, et celui qui court le plus vite arrivera le premier, cria Pinocchio.

    Il donna le signal du départ, et toute cette bande de vauriens, leurs livres et leurs cahiers sous le bras, se mirent à courir à travers champs. Pinocchio était le premier. Il courait si vite qu’on aurait dit qu’il avait des ailes aux pieds.

    De temps en temps, il se retournait et se moquait de ses compagnons, restés assez loin derrière, et, à les voir suants, essoufflés et couverts de poussière, tirant la langue, il riait de bon cœur encore plus fort. A ce moment-là, le malheureux ne savait pas quelles horribles mésaventures il allait subir et quelle peur il allait avoir.

    #153041

    Chapitre 27

    Arrivé sur la plage, Pinocchio regarda tout autour de lui ; mais il ne vit aucune Baleine. La mer était lisse comme un miroir.

    – Et la Baleine, où est-elle ? demanda-t-il, en se tournant vers ses camarades.

    – Elle sera allée déjeuner, répondit l’un d’eux, en riant.

    – Ou alors, elle se sera couchée pour une petite sieste, ajouta un autre, en riant encore plus fort.

    Entendant ceci et en les voyant rigoler, Pinocchio comprit que ses camarades lui avaient fait une mauvaise farce, en lui racontant n’importe quoi, et furieux, il leur dit :

    – Et alors ? Pour quelle raison vous avez inventé cette histoire de la Baleine ?

    – Pour une bonne raison, répondirent en chœur ces vauriens.

    – Et laquelle ?

    – Celle de te faire manquer l’école et de t’emmener avec nous. Tu n’as pas honte de te montrer aussi appliqué aux leçons ? Tu n’as pas honte d’étudier comme tu le fais ?

    – Et si j’étudie, qu’est-ce que ça peut bien vous faire ?

    – Ça nous fait beaucoup, parce que tu nous fais mal voir du maître.

    – Pourquoi ?

    -Parce que les écoliers qui travaillent bien font faire des comparaisons avec ceux qui, comme nous, n’ont pas envie d’étudier. Et nous ne voulons pas qu’on fasse des comparaisons avec nous. Nous aussi, nous avons notre amour-propre.

    – Et alors, qu’est-ce que je devrais faire pour vous contenter ?

    – Tu dois te mettre à détester, comme nous, l’école, les leçons et le maître, qui sont nos plus grands ennemis.

    – Et si je veux continuer à étudier ?

    – Nous ne te parlerons plus, et, à la première occasion, tu nous le paieras.

    – Vous me faites bien rigoler, dit le pantin, en secouant la tête.

    – Suffit, Pinocchio ! dit le plus grand des enfants, ne viens pas ici faire le fanfaron, ne viens pas ici jouer le petit coq. Parce que, si tu n’as pas peur de nous, nous, nous n’avons pas peur de toi. Rappelle-toi que tu es seul et que nous sommes sept.

    – Sept, comme les péchés capitaux, dit Pinocchio en riant.

    – Vous avez entendu ? Il nous a tous insultés. Il nous a appelés « péchés capitaux ».

    – Pinocchio, demande-nous pardon, ou sinon, gare à toi !

    – Coucou ! dit le pantin en se tapant dur nez du bout de l’index, pour se moquer d’eux.

    – Pinocchio ! Ça va mal finir !

    – Coucou !

    – On va te taper dessus…

    – Coucou !

    – Tu rentreras chez toi le nez cassé.

    – Coucou !

    – J e vais t’en donner, des « coucou », cria le plus grand des vauriens. Prends déjà ça comme acompte et mange-le ce soir à ton dîner.

    Et, en disant cela, il lui donna un coup de poing sur la tête.

    Mais ce fut, comme on dit, la réponse du berger à la bergère. Parce que le pantin, comme il fallait s’y attendre, répondit immédiatement par un autre coup de poing. Et, tout de suite, la bataille devint générale et acharnée.

    Pinocchio, bien qu’il fût tout seul, se défendait comme un beau diable. Avec ses pieds de bois très dur, il tenait ses ennemis à distance. Et tout ce que ses pieds arrivaient à toucher, il en résultait un beau bleu en souvenir.

    Alors les enfants voyant qu’ils ne pouvaient se mesurer au pantin en corps à corps, décidèrent de lui envoyer des projectiles et, sortant les livres de leurs cartables, ils commencèrent à jeter sur lui la Grammaire, l’Arithmétique, le livre de lecture,  et tous les autres livres scolaires. Mais le pantin, qui avait l’œil vif et qui était très dégourdi, sautait toujours à temps, si bien que tous les volumes, lui passant par-dessus la tête, tombèrent tous dans la mer.

    Imaginez-vous les poissons ! Les poissons, croyant que  ces livres étaient bons à manger, se précipitèrent sur eux. Mais, après quelques bouchées, ils la recrachaient tout de suite en faisant une grimace qui voulait dire : « Ce n’est pas de la nourriture pour nous. Nous sommes habitués à manger beaucoup mieux ! »

    Le combat devenait de plus en plus féroce, quand un énorme crabe, qui était sorti de l’eau et avançait lentement, lentement, sur la plage, cria d’une grosse voix éraillée de trombone enrhumé :

    -Arrêtez, vauriens ! Cette guerre entre enfants ne finit jamais bien ! Il arrive toujours quelque malheur !

    Pauvre crabe ! C’était comme s’il avait parlé en l’air. Aussi, ce voyou de Pinocchio, en se retournant et en le regardant de travers, lui dit grossièrement :

    -Tais-toi, crabe de malheur ! Tu ferais mieux de sucer deux pastilles de menthe pour guérir ton rhume et ton mal de gorge. Va plutôt te mettre au lit et attrape une bonne suée.

    Pendant ce temps les enfants, qui avaient fini de lancer tous leurs livres, aperçurent non loin d’eux le cartable du pantin, et ils attrapèrent les livres en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

    Parmi ces livres,  il y avait un gros volume relié en carton, avec les coins en parchemin. C’était un traité d’arithmétique. Je vous laisse à imaginer son poids.

    Un de ces vauriens attrapa le livre et, visant la tête de Pinocchio, le lança de toutes ses forces. Mais, au lieu de toucher le pantin, le livre tomba sur la tête d’un de ses camarades, qui devint pâle comme un linge et ne dit rien d’autre que ces mots :

    -Oh Maman ! Au secours ! Je meurs !

    Et il tomba sur le sable.

    Voyant cela, tous les enfants, épouvantés, se mirent à décamper à toutes jambes et, en quelques minutes, ils disparurent.

    Mais Pinocchio resta là. Bien qu’il soit, lui aussi, plus mort que vif d’épouvante et de douleur, il alla tremper son mouchoir dans l’eau et il se mit à baigner les tempes de son pauvre camarade. Et, en pleurant à chaudes larmes, il l’appelait par son nom et il lui disait :

    -Eugène ! Mon pauvre Eugène ! Ouvre les yeux ! Regarde-moi ! … Pourquoi tu ne dis rien ? Ce n’est pas moi, tu le sais, qui t’ai fait mal ! Crois-moi, ce n’est pas moi ! Ouvre les yeux, Eugène… Si tu restes les yeux fermés, je vais mourir, moi aussi. Oh mon Dieu ! Comment faire pour retourner à la maison ? Comment est-ce que j’aurai le courage de me présenter devant ma maman ? Qu’est-ce que je vais devenir ? Où aller me cacher ? Oh ! Ça aurait été mieux, mille fois mieux, que j’aille à l’école. Pourquoi j’ai écouté ces mauvais camarades ? Et le maître me l’avait bien dit, et ma maman me l’avait répété : « Ne fréquente pas les mauvais camarades ». Mais je suis têtu comme une bourrique, une tête dure comme du bois… Je laisse parler tout le monde et après, je n’en fais qu’à ma tête, et après, il m’arrive toujours des malheurs. Depuis que je suis né, je n’ai jamais eu un quart d’heure où j’ai été un bon garçon. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Que vais-je devenir ? Que vais-je devenir ?

    Et Pinocchio continua à pleurer, à se lamenter, à se donner des coups sur la tête et à appeler le pauvre Eugène, quand il entendit le bruit sourd de pas qui se rapprochaient.

    Il se retourna : c’étaient deux gendarmes.

    – Qu’est-ce que tu fais, assis par terre ? demandèrent-ils à Pinocchio ?

    – J’essaie de soigner mon camarade.

    – Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

    – Je ne sais pas.

    – Voyons ce qu’il a, dit un des gendarmes en se baissant pour observer Eugène de près. Ce garçon a été blessé à la tempe. Qui l’a frappé ?

    – Ce n’est pas moi ! balbutia le pantin, qui n’avait plus un poil de sec.

    – Si ce n’est pas toi, qui est-ce qui l’a blessé ?

    – Ce n’est pas moi ! répéta le pantin.

    – Avec quoi est-ce qu’il a été frappé ?

    – Avec ce livre. Et le pantin ramassa le Traité d’Arithmétique, relié en carton et en parchemin, et il le montra aux gendarmes.

    – Et ce livre, il est à qui?

    – A moi !

    – Ça suffit. Pas besoin d’autre preuve ! Relève-toi immédiatement et viens avec nous !

    – Mais…

    – Viens avec nous !

    – Mais je n’ai rien fait…

    – Viens avec nous !

    Avant de partir, les gendarmes appelèrent quelques pêcheurs, qui passaient justement par là, qui tiraient leurs barques sur la plage, et ils leur dirent :

    – Nous vous confions ce garçon blessé à la tête. Emportez-le chez vous et prenez soin de lui. Demain, nous reviendrons le voir.

    Puis ils  se tournèrent vers Pinocchio et, après l’avoir placé entre eux, ils lui ordonnèrent, d’une grosse voix :

    -En avant ! Et ne traîne pas. Sinon, tant pis pour toi !

    Sans se le faire répéter, le pantin commença à marcher sur le chemin qui menait à la ville. Mais le pauvre diable ne savait plus où il en était. Il lui semblait rêver, et vivre un bien mauvais cauchemar ! Il était hors de lui, ses yeux voyaient double, ses jambes tremblaient, sa langue était restée collée à son palais et il ne pouvait plus dire un mot. Et pourtant, au milieu de toute cette histoire, une épine lui perçait le cœur : l’idée qu’il allait passer sous la fenêtre de sa bonne Fée entre deux gendarmes. Il aurait préféré mourir.

    Ils étaient presque arrivés à l’entrée de la ville quand une grande rafale de vent emporta le béret de Pinocchio et l’envoya voler à une dizaine de mètres.

    – Me permettez-vous, dit Pinocchio aux gendarmes, d’aller chercher mon béret ?

    – Vas-y ! Mais dépêche-toi.

    Le pantin ramassa son béret mais, au lieu de le remettre sur sa tête, il le prit entre ses dents et se mit à courir au galop vers la plage. Il filait comme le vent.

    Les gendarmes, estimant qu’il serait difficile de le rattraper, lui envoyèrent aux trousses un gros bouledogue qui avait gagné le premier prix dans toutes les courses de chiens. Pinocchio courait très vite, mais le chien courait encore plus vite. Tout le monde se mettait aux fenêtres et se groupaient au milieu de la rue, attendant de voir la fin de cette course endiablée. Mais ils ne purent rien voir parce que le bouledogue et Pinocchio soulevaient tant de poussière qu’en quelques minutes, il ne fut plus possible de voir quoi que ce soit.

    #153042

    Chapitre 28

    Pendant cette course effrénée, il y eut un moment terrible, un moment où Pinocchio se crut perdu. Il faut savoir qu’Alidor (c’était le nom du bouledogue), à force de courir, l’avait presque rejoint.

    Il faut dire que le pantin, entendait derrière lui, à quelques mètres, le souffle haletant de la grosse bête, brûlant comme un incendie.

    Heureusement la plage n’était pas loin et on voyait la mer à quelques pas.

    A peine arrivé sur la plage, le pantin piqua un superbe plongeon, comme une grenouille, et alla tomber au milieu de la mer. Au contraire, Alidor aurait voulu s’arrêter mais, emporté par l’élan de la course, il entra dans l’eau lui aussi. Par malheur, il ne savait pas nager. Il commença à remuer les pattes pour se sortir de l’eau mais, plus il gigotait et plus les vagues lui mettaient la tête sous l’eau.

    Chaque fois qu’il sortait la tête, le pauvre bouledogue avait les yeux exorbités de peur, et il aboyait en criant :

    – Au secours ! Au secours !

    – Crève ! lui répondit Pinocchio de loin, parce qu’il se voyait maintenant hors de danger.

    – Au secours ! Aide-moi, Pinocchio ! Sauve-moi de la mort !

    En entendant ces cris, le pantin, qui, au fond, avait bon cœur, s’émut de compassion et, en se retournant vers le chien, il lui dit :

    – Si je te sauve, tu me promets de ne plus m’embêter et de ne plus me courir après ?

    – Promis ! Promis. Mais dépêche-toi, par pitié ! Si tu attends une minute de plus, je suis mort.

    Pinocchio hésitait. Puis, en se rappelant que son papa lui avait dit tant de fois, qu’il ne faut jamais laisser passer l’occasion de faire une bonne action, il nagea jusqu’à Alidor, et, le prenant par la queue des deux mains, alla le poser sain et sauf sur le sable sec de la plage.

    Le pauvre chien ne tenait plus sur ses pattes. Il avait bu, sans le vouloir, tant d’eau salée, qu’il était gonflé comme un ballon. Mais le pantin n’avait quand même pas trop confiance et il estima plus prudent de mettre une certaine distance entre lui et le chien, en se jetant de nouveau dans la mer. Quand il fut un peu loin de la plage, il cria à son ami sauvé :

    – Adieu, Alidor, bon voyage et bonjour chez toi !

    – Adieu, Pinocchio, répondit le Bouledogue. Mille mercis de m’avoir sauvé de la mort. Tu m’as rendu un grand service et, en ce monde, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Si l’occasion se présente, nous en reparlerons.

    Pinocchio continuait à nager, en se tenant près de la terre. Finalement, il lui sembla qu’il était arrivé dans un endroit sûr. En lançant un coup d’œil sur la plage, il vit, dans les rochers qui surplombaient la plage, une sorte de grotte, d’où sortait un long panache de fumée.

    -Dans cette grotte, se dit-il, il doit y avoir du feu. Tant mieux ! Je pourrai me sécher et me réchauffer. Et puis, et puis, je verrai bien ce qui arrivera !

    Ayant pris cette décision, il s’approcha du rocher. Il commençait à grimper quand il sentit quelque chose sous l’eau, qui le soulevait et le portait en l’air. Tout de suite, il essaya de s’échapper, mais c’était trop tard, parce que, à sa grande surprise, il se trouva pris dans un filet, au milieu de poissons de toutes tailles et de toutes formes, qui frétillaient et se débattaient désespérément.

    En même temps, il vit sortir de la grotte un pêcheur très laid, si laid, qu’il semblait un monstre marin. Au lieu de cheveux, il avait sur la tête un buisson épais d’herbes vertes. La peau de son corps était verte elle aussi, ainsi que ses yeux et une longue, longue barbe, qui descendait jusqu’à terre. Il ressemblait à un gros lézard vert  debout sur ses pattes de derrière.

    Quand le pêcheur eut tiré son filet hors de l’eau, il s’exclama, tout joyeux :

    – Quelle chance ! Aujourd’hui, je pourrai me faire une belle poêlée de poissons !

    – Heureusement, moi, je ne suis pas un poisson, se dit Pinocchio, en reprenant un peu courage.

    Le filet plein de poissons fut porté dans la grotte, une grotte obscure et enfumée, au milieu de laquelle bouillait une grande poêle pleine d’huile, qui envoyait une odeur à couper la respiration.

    -Voyons un peu ce que nous avons pris, dit le Pêcheur vert. Et, enfonçant dans le filet une main énorme, qui ressemblait à une pelle de boulanger, il sortit une poignée de rougets.

    -Bons, ces rougets, dit-il en les regardant avec gourmandise. Et, après les avoir flairés, il les jeta dans une bassine pleine d’eau.

    Il répéta plusieurs fois la même opération. Il sortit rapidement les autres poissons, qui lui mettaient l’eau à la bouche.

    – Très bons, ces merlans !

    – Exquis, ces mulets !

    – Délicieuses, ces dorades !

    – Une merveille, cette langouste !

    – Un régal, ces anchois, même avec la tête !

    Comme vous pouvez l’imaginer, les merlans, les mulets, les dorades, la langouste et les anchois allèrent tous dans la bassine, pour tenir compagnie aux rougets.

    Le dernier qui resta dans le filet fut Pinocchio.

    A peine le Pêcheur l’eut-il sorti du filet que ses gros yeux vers s’arrondirent de stupeur et il cria :

    – Qu’est-ce que c’est que ce poisson-là ? Ce genre de poisson, je n’en ai jamais mangé.

    Il l’observa avec attention, et après l’avoir bien regardé de tous côtés, il finit par dire :

    – J’ai compris. Ce doit être un crabe de mer. Alors Pinocchio, vexé de s’entendre traiter de crabe, dit avec un accent de mauvaise humeur :

    – Un crabe, moi ? Qu’est-ce que c’est que ces façons ?  Je suis un pantin.

    – Un pantin, répliqua le Pêcheur. C’est vrai, le poisson-pantin est un poisson nouveau. Tant mieux ! Je le mangerai avec plus de plaisir.

    – Me manger ? Mais vous ne voulez pas comprendre que je ne suis pas un poisson ? Vous n’entendez pas comment je parle, comment je discute comme vous ?

    – C’est vrai, admit le Pêcheur. Je vois bien que tu es un poisson, et puisque tu as la chance de parler et de raisonner comme moi, je vais te traiter avec respect.

    – Et qu’est-ce que ça serait, ce respect ?

    – En signe d’amitié et d’estime particulière, je te laisserai choisir la manière dont tu veux être cuit. Tu préfères être frit à la poêle ou tu préfères être grillé à la sauce tomate ?

    – A dire la vérité, répondit Pinocchio, si j’ai le choix, je préfèrerais rester libre, pour pouvoir m’en retourner chez moi.

    – Tu rigoles ! Tu crois que je veux rater l’occasion de manger un poisson aussi rare ! Ce n’est pas tous les jours que je pêche un poisson-pantin dans cette mer. Laisse-moi faire. Je vais te faire frire dans la poêle, au milieu de tous les autres poissons et tu seras content. Etre cuit en compagnie est toujours une consolation.

    Le malheureux Pinocchio, entendant cela, commença à pleurer, à crier, à gémir, en disant :

    – J’aurais mieux fait d’aller à l’école ! J’ai voulu écouter mes mauvais camarades et maintenant, je le paye. Ih ! ih ! ih !

    Il se tortilla comme une anguille et il faisait des efforts incroyables pour s’échapper des griffes de ce Pêcheur vert qui, ayant pris une poignée de joncs, le ficela des pieds à la tête, comme un saucisson, et il le jeta au fond de la bassine avec les autres.

    Puis il sortit une écuelle de bois pleine de farine, et il se mit à saupoudrer tous les poissons. Au fur et à mesure qu’il les avait enfarinés, il les jetait dans la poêle.

    Les premiers à être jetés dans l’huile bouillante furent les pauvres rougets, puis les merlans, les mulets, les dorades, le crabe et les anchois. Puis arriva le tour de Pinocchio, qui, se voyant près de la mort, et quelle mort horrible, fut pris de tant de tremblements d’épouvante qu’il n’avait plus la force de supplier.

    Le pauvre enfant levait des yeux suppliants, mais le Pêcheur vert, sans état d’âme, le tourna cinq ou six fois dans la farine, de la tête aux pieds, si bien qu’il semblait être devenu un pantin de plâtre.

    Puis il le prit par la tête et…

    #153043

    Chapitre 29

    Alors que le Pêcheur était sur le point de jeter Pinocchio dans la poêle, entra dans la grotte un gros chien, alléché par l’odeur de la friture.

    – Va-t’en ! cria le Pêcheur, en le menaçant et en tenant encore dans ses mains le pauvre pantin tout enfariné.

    Mais le pauvre chien avait une faim comme quatre. Il se mit à gémir en remuant la queue, comme pour dire :

    – Donne moi un peu de ta friture et je m’en vais.

    – Va t’en, te dis-je, répéta le Pêcheur, et il allongea la jambe pour lui donner un coup de pied.

    Alors le Bouledogue, qui avait de plus en plus faim, n’était pas d’humeur à se laisser brutaliser. Il se retourna vers le Pêcheur, en montrant des crocs menaçants.

    En même temps, il entendit une petite voix qui criait :

    – Au secours, Alidor ! Si tu ne me sauves pas, je suis frit !

    Le Bouledogue reconnut immédiatement la voix de Pinocchio. Il se rendit compte que la voix était sortie du fagot enfariné que le Pêcheur tenait à la main.

    Alors, qu’est-ce qu’il fit ? Il sauta d’un bond sur le fagot enfariné et, en le tenant avec précaution dans sa gueule, il sortir en courant de la grotte et partit comme un éclair.

    Le Pêcheur, irrité de voir s’échapper un poisson qu’il aurait mangé volontiers, se mit à courir après le chien. Mais, après quatre pas,  il se mit à tousser tellement violemment qu’il fut obligé de retourner en arrière.

    Dès qu’Alidor eut retrouvé le chemin qui menait à la ville, il s’arrêta et posa délicatement son ami Pinocchio par terre.

    – Que de mercis je te dois ! dit le pantin.

    – Pas besoin, répondit le chien. Tu m’as sauvé la vie et je n’ai fait que te rendre ta bonne action. Tu sais, dans ce monde, il faut toujours s’entr’aider les uns les autres.

    – Mais comment as-tu fait pour arriver dans cette grotte ?

    – J’étais allongé sur la plage, plus mort que vif, quand tout à coup, le vent m’a apporté une bonne odeur de friture, qui m’a ouvert l’appétit, et j’y suis allé directement. Si j’étais arrivé une minute plus tard…

    – Ne dis rien ! hurla Pinocchio qui tremblait encore de peur. Ne me dis rien ! Si tu étais arrivé une minute plus tard, j’aurais été bel et bien frit, mangé et digéré. Brrr ! J’en ai froid dans le dos rien que d’y penser !

    Alidor, en riant, tendit la patte à Pinocchio, qui la lui serra très fort, en guise de bonne amitié. Et puis, ils se séparèrent.

    Le chien reprit le chemin de sa maison. Pinocchio, resté seul, alla jusqu’à une chaumière qui était tout près de là et il demanda à un petit vieux, qui se réchauffait au soleil sur le pas de sa porte :

    – Bonjour, monsieur. Avez-vous des nouvelles d’un pauvre garçon qui a reçu un coup sur la tête et qui s’appelle Eugène ?

    – Le garçon a été porté par quelques pêcheurs ici, chez moi, et maintenant…

    – Maintenant, il est mort, l’interrompit Pinocchio.

    – Non, maintenant il est guéri et il est rentré chez lui.

    – C’est vrai ? C’est vrai ? cria le pantin en sautant de joie. Donc la blessure n’était pas grave ?

    – Non, mais elle aurait pu être très grave, et même mortelle, parce qu’il a reçu sur la tête un gros livre relié en carton.

    – Et qui le lui a lancé ?

    – Un de ses camarades de classe, un certain Pinocchio.

    – Et qui est ce Pinocchio ? demanda le pantin en faisant semblant de ne rien savoir.-Ils disent que c’est un mauvais garçon, un vagabond, un vrai bon à rien …

    – Ce n’est pas vrai ! Tout ça, ce sont des calomnies.

    – Tu le connais, toi, ce Pinocchio ?

    – De vue, répondit le pantin.

    – Et que sais-tu de lui ? lui demanda le petit vieux.

    – Moi, je crois qu’il est un bon fils, qui aime étudier, obéissant, affectueux avec son père et pour toute sa famille.

    En disant tous ces mensonges, Pinocchio se toucha le nez et il s’aperçut qu’il s’était allongé de plus de dix centimètres. Alors, tout effrayé, il commença à crier :

    – Ne croyez pas, monsieur, tout ce que je viens de vous dire, parce que je connais bien Pinocchio et je peux vous assurer que c’est un garnement, un désobéissant et un vaurien qui, au lieu d’aller à l’école, va vagabonder avec ses camarades.

    A peine eut-il prononcé ces mots que son nez retrouva sa taille.

    – Et pourquoi es-tu blanc comme ça ? lui demanda le petit vieux.

    – Je vais vous le dire. Sans m’en apercevoir, je me suis frotté contre un mur, qui était blanchi de frais, répondit le pantin, qui avait honte de dire qu’on l’avait fariné comme un poisson, pour le faire frire dans une poêle.

    – Et qu’est-ce que tu as fait de ta veste, de ton pantalon et de ton béret ?

    – J’ai rencontré des voleurs, qui me les ont pris. Dites-moi, mon bon monsieur, vous n’auriez pas, par hasard, quelque chose pour m’habiller, pour que je puisse rentrer chez moi ?

    – Mon garçon, je n’ai pas de vêtements, mais j’ai un petit sac où je mets de l’herbe sèche. Si tu le veux, prends-le. Il est là.

    Pinocchio ne se le fit pas dire deux fois. Il prit le sac qui était vide, il découpa avec les ciseaux un petit trou dans le fond et deux trous sur les côtés, puis il l’enfila comme une chemise. Et, ainsi habillé, il se dirigea vers la ville.

    Mais, le long de la route, il ne se sentait pas tranquille. Il s’arrêtait, il faisait un pas en avant, un pas en arrière, et il se disait :

    -Comment je vais faire pour me présenter devant ma bonne petite Fée ? Qu’est-ce qu’elle va dire quand elle me verra ? Est-ce qu’elle voudra encore me pardonner cette deuxième désobéissance ? Jamais elle ne me pardonnera. Oh non, elle ne me pardonnera certainement jamais. Maintenant, je sais ce que je dois faire. Parce que je suis un vaurien qui promet sans arrêt de me corriger, mais je ne tiens jamais mes promesses.

    Quand il arriva à la ville, il faisait déjà nuit et il commençait à pleuvoir à seaux. Alors, il alla tout droit à la maison de la Fée, bien décidé à frapper à la porte et à se faire ouvrir.

    Mais quand il fut arrivé, il manqua de courage et, au lieu de frapper, il s’éloigna d’une vingtaine de pas. Puis il retourna à la porte, mais il n’osa pas frapper et repartit. Une troisième fois, la même chose. Enfin, la quatrième fois, en tremblant, il prit le heurtoir et donna un petit coup.

    Il attendit, attendit. Finalement, au bout d’une demi-heure, une fenêtre s’ouvrit au dernier étage (la maison avait quatre étages) et Pinocchio vit apparaître une grosse Limace qui avait une lumière sur la tête et qui disait :

    – Qu’est-ce que c’est, à cette heure-ci ?

    – La Fée est-elle chez elle ? demanda Pinocchio.

    – La Fée dort et ne veut pas être dérangée. Qui es-tu ?

    – C’est moi.

    – Qui, toi ?

    – Pinocchio.

    – Quel  Pinocchio ?

    – Le pantin, celui qui habite dans la maison de la Fée.

    – Ah ! J’ai compris ! dit la Limace. Attends-moi, je descends et je t’ouvre tout de suite.

    – Dépêche-toi, par pitié, parce que je meurs de froid.

    – Mon enfant, je suis une Limace, et les Limaces ne se pressent jamais.

    Une heure passa, puis deux, et la porte ne s’ouvrait pas. Alors Pinocchio, qui tremblait de froid, à cause de la peur et de l’averse qu’il recevait sur le dos, se décida et frappa une seconde fois, et il frappa plus fort.

    Au second coup, une fenêtre s’ouvrit à l’étage au dessous et la même Limace se mit à la fenêtre.

    – Ma belle petite Limace, cria Pinocchio de la rue, ça fait deux heures que j’attends, et quand on attend, deux heures sont plus longues que deux années. Dépêche-toi, par pitié !

    – Mon enfant, dit la Limace du haut de sa fenêtre, mon enfant, je suis une Limace et les Limaces ne se pressent jamais.

    Et la fenêtre se referma.

    Bientôt ce fut minuit. Puis une heure, deux heures, et la porte était toujours fermée.

    Alors Pinocchio, ayant perdu patience, pris de fureur, s’approcha du heurtoir  pour  donner un coup à réveiller toute la maison. Mais le marteau, qui était en fer, glissa comme une anguille, échappa des mains du pantin et alla rouler dans le caniveau.

    – Ah, c’est comme ça, cria le pantin, de plus en plus en colère. Puisque le marteau est parti, je vais taper à coups de pied.

    Et, en s’éloignant un peu, le pantin donna un énorme coup de pied dans la porte. Le coup fut si fort que le pied s’enfonça dans le bois jusqu’à mi-mollet. Et quand le pantin voulut l’arracher, il n’y arriva pas, parce que le pied était resté coincé dedans, comme un clou bien enfoncé.

    Imaginez-vous le pauvre Pinocchio, qui dut passer tout le reste de la nuit un pied par terre et l’autre en l’air.

    Le lendemain matin, au lever du jour, la porte s’ouvrit enfin. Cette brave bête de Limace, pour descendre du quatrième étage jusqu’au rez-de-chaussée, avait mis seulement neuf heures. Il faut dire qu’elle avait pris une belle suée.

    – Qu’est-ce qui est arrivé à ton pied, pour être coincé dans la porte ? demanda-t-elle en riant au pantin.

    – C’est un accident. Ma belle petite Limace, est-ce que vous pourriez me délivrer ?

    – Mon enfant, pour ça, il faudrait un menuisier, et je ne suis pas menuisier.

    – Demande à la Fée de ma part.

    – La Fée dort et ne veut pas être dérangée

    – Mais que veux-tu que je fasse toute la journée, cloué à cette porte ?

    – Amuse-toi à compter les fourmis qui passent dans la rue.

    – Au moins apporte-moi quelque chose à manger, parce que je meurs de faim.

    – Tout de suite, dit la Limace.

    En fait, au bout de trois heures, Pinocchio la vit revenir avec un plat d’argent sur la tête. Dedans, il y avait un morceau de pain, du poulet rôt et quatre abricots.

    – Voici le déjeuner que la Fée t’envoie, dit la Limace.

    A la vue de ce repas, Pinocchio se sentit tout consolé. Mais, quand il commença à manger, quelle fut sa déception en s’apercevant que le pain était de plâtre, le poulet en carton et les quatre abricots, de la terre peinte.

    Il voulait pleurer, il voulait céder au désespoir, il voulait jeter le plat et tout ce qu’il y avait dedans. Mais, à cause de la douleur et de la faim, il tomba évanoui.

    Quand il revint à lui, il se trouvait sur un canapé, et la Fée était à côté de lui.

    – Encore cette fois, je te pardonne, dit la Fée, mais gare à toi si tu recommences à faire des bêtises.

    Pinocchio promit et jura qu’il étudierait et qu’il se conduirait toujours bien.  Et il tint parole tout le reste de l’année. En fait, juste avant les vacances, il eut l’honneur d’être reconnu comme le meilleur élève de l’école. Et tout son comportement en général, fut jugé tellement  satisfaisant et digne d’éloges  que la Fée, toute contente, lui dit

    – Demain, finalement, ton vœu sera exaucé.

    – C’est-à-dire

    – Demain, tu ne seras plus un pantin de bois et tu deviendras un vrai petit garçon.

    Qui n’a pas vu la joie de Pinocchio, en entendant cette nouvelle, ne peut pas se l’imaginer. Tous ses amis et ses camarades d’école devaient être invités, le lendemain, pour une grande fête dans la maison de la Fée, pour célébrer ce grand évènement. La Fée avait préparé deux cents tasses de café au lait et quatre cents petits pains beurrés par-dessus et par-dessous. Cette journée promettait d’être magnifique et très joyeuse, mais…

    Décidément, dans la vie des pantins, il y a toujours un « mais » qui gâche tout.

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