VOLTAIRE – Poésies

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  • #145410
    Prof. TournesolProf. Tournesol
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      VOLTAIRE – Poésies


      “Le Mondain”

      Regrettera qui veut le bon vieux temps,
      Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
      Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
      Et le jardin de nos premiers parents ;
      Moi, je rends grâce à la nature sage
      Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
      Tant décrié par nos tristes frondeurs :
      Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.
      J’aime le luxe, et même la mollesse,
      Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
      La propreté, le goût, les ornements :
      Tout honnête homme a de tels sentiments.
      Il est bien doux pour mon cœur très immonde
      De voir ici l’abondance à la ronde,
      Mère des arts et des heureux travaux,
      Nous apporter, de sa source féconde,
      Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
      L’or de la terre et les trésors de l’onde,
      Leurs habitants et les peuples de l’air,
      Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
      O le bon temps que ce siècle de fer !
      Le superflu, chose très nécessaire,
      A réuni l’un et l’autre hémisphère.
      Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
      Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
      S’en vont chercher, par un heureux échange,
      De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
      Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
      Nos vins de France enivrent les sultans ?
      Quand la nature était dans son enfance,
      Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
      Ne connaissant ni le tien ni le mien.
      Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,
      Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
      Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
      Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :
      Martialo n’est point du siècle d’or.
      D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
      Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;
      La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
      Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
      Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
      Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.
      Quel idiot, s’il avait eu pour lors
      Quelque bon lit, aurait couché dehors ?
      Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,
      Que faisais-tu dans les jardins d’Éden ?
      Travaillais-tu pour ce sot genre humain ?
      Caressais-tu madame Ève, ma mère ?
      Avouez-moi que vous aviez tous deux
      Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,
      La chevelure un peu mal ordonnée,
      Le teint bruni, la peau bise et tannée.
      Sans propreté l’amour le plus heureux
      N’est plus amour, c’est un besoin honteux.
      Bientôt lassés de leur belle aventure,
      Dessous un chêne ils soupent galamment
      Avec de l’eau, du millet, et du gland ;
      Le repas fait, ils dorment sur la dure :
      Voilà l’état de la pure nature.
      Or maintenant voulez-vous, mes amis,
      Savoir un peu, dans nos jours tant maudits,
      Soit à Paris, soit dans Londre, ou dans Rome,
      Quel est le train des jours d’un honnête homme ?
      Entrez chez lui : la foule des beaux-arts,
      Enfants du goût, se montre à vos regards.
      De mille mains l’éclatante industrie
      De ces dehors orna la symétrie.
      L’heureux pinceau, le superbe dessin
      Du doux Corrége et du savant Poussin
      Sont encadrés dans l’or d’une bordure ;
      C’est Bouchardon qui fit cette figure,
      Et cet argent fut poli par Germain.
      Des Gobelins l’aiguille et la teinture
      Dans ces tapis surpassent la peinture.
      Tous ces objets sont vingt fois répétés
      Dans des trumeaux tout brillants de clartés.
      De ce salon je vois par la fenêtre,
      Dans des jardins, des myrtes en berceaux ;
      Je vois jaillir les bondissantes eaux.
      Mais du logis j’entends sortir le maître :
      Un char commode, avec grâces orné,
      Par deux chevaux rapidement traîné,
      Paraît aux yeux une maison roulante,
      Moitié dorée, et moitié transparente :
      Nonchalamment je l’y vois promené ;
      De deux ressorts la liante souplesse
      Sur le pavé le porte avec mollesse.
      Il court au bain : les parfums les plus doux
      Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.
      Le plaisir presse ; il vole au rendez-vous
      Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie ;
      Il est comblé d’amour et de faveurs.
      Il faut se rendre à ce palais magique
      Où les beaux vers, la danse, la musique,
      L’art de tromper les yeux par les couleurs,
      L’art plus heureux de séduire les cœurs,
      De cent plaisirs font un plaisir unique.
      Il va siffler quelque opéra nouveau,
      Ou, malgré lui, court admirer Rameau.
      Allons souper. Que ces brillants services,
      Que ces ragoûts ont pour moi de délices !
      Qu’un cuisinier est un mortel divin !
      Chloris, Églé, me versent de leur main
      D’un vin d’Aï dont la mousse pressée,
      De la bouteille avec force élancée,
      Comme un éclair fait voler le bouchon ;
      Il part, on rit ; il frappe le plafond.
      De ce vin frais l’écume pétillante
      De nos Français est l’image brillante.
      Le lendemain donne d’autres désirs,
      D’autres soupers, et de nouveaux plaisirs.
      Or maintenant, monsieur du Télémaque,
      Vantez-nous bien votre petite Ithaque,
      Votre Salente, et vos murs malheureux,
      Où vos Crétois, tristement vertueux,
      Pauvres d’effet, et riches d’abstinence,
      Manquent de tout pour avoir l’abondance :
      J’admire fort votre style flatteur,
      Et votre prose, encor qu’un peu traînante ;
      Mais, mon ami, je consens de grand cœur
      D’être fessé dans vos murs de Salente,
      Si je vais là pour chercher mon bonheur.
      Et vous, jardin de ce premier bonhomme,
      Jardin fameux par le diable et la pomme,
      C’est bien en vain que, par l’orgueil séduits,
      Huet, Calmet, dans leur savante audace,
      Du paradis ont recherché la place :
      Le paradis terrestre est où je suis.

      #145411
      LLAInvite
      Participant

        “Les Vous et les Tu”

        Philis, qu’est devenu ce temps
        Où, dans un fiacre promenée,
        Sans laquais, sans ajustements,
        De tes grâces seules ornée,
        Contente d’un mauvais soupé
        Que tu changeais en ambroisie,
        Tu te livrais, dans ta folie,
        A l’amant heureux et trompé
        Qui t’avait consacré sa vie ?
        Le ciel ne te donnait alors,
        Pour tout rang et pour tous trésors,
        Que les agréments de ton âge,
        Un coeur tendre, un esprit volage,
        Un sein d’albâtre, et de beaux yeux.
        Avec tant d’attraits précieux,
        Hélas ! qui n’eût été friponne ?
        Tu le fus, objet gracieux !
        Et (que l’Amour me le pardonne !)
        Tu sais que je t’en aimais mieux.

        Ah ! madame ! que votre vie
        D’honneurs aujourd’hui si remplie,
        Diffère de ces doux instants !
        Ce large suisse à cheveux blancs,
        Qui ment sans cesse à votre porte,
        Philis, est l’image du Temps ;
        On dirait qu’il chasse l’escorte
        Des tendres Amours et des Ris ;
        Sous vos magnifiques lambris
        Ces enfants tremblent de paraître.
        Hélas ! je les ai vus jadis
        Entrer chez toi par la fenêtre,
        Et se jouer dans ton taudis.

        Non, madame, tous ces tapis
        Qu’a tissus la Savonnerie,
        Ceux que les Persans ont ourdis,
        Et toute votre orfèvrerie,
        Et ces plats si chers que Germain
        A gravés de sa main divine,
        Et ces cabinets où Martin
        A surpassé l’art de la Chine ;
        Vos vases japonais et blancs,
        Toutes ces fragiles merveilles ;
        Ces deux lustres de diamants
        Qui pendent à vos deux oreilles ;
        Ces riches carcans, ces colliers,
        Et cette pompe enchanteresse,
        Ne valent pas un des baisers
        Que tu donnais dans ta jeunesse.

        #141996
        Julien GJulien G
        Maître des clés
        3 sujets de 1 à 3 (sur un total de 3)
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