KOWKA et DEN HAL – Mauvais Trip

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      CocotteCocotte
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         Mauvais trip

        Kowka et Den Hal

        J’ai la tête posée sur tes jambes allongées, tu me caresses les cheveux. Ton doigt suit la ligne des sourcils, descend derrière l’oreille, en caresse le lobe, coule le long de la joue et vient se poser sur mes lèvres. Nous sommes assis au bord de cette rivière enchanteresse où chaque jour nous nous retrouvons. Seul le chant des pinsons amoureux habille le silence religieux de l’endroit. Nous sommes au printemps, l’air est tiède, soyeux et rayonne de cette transparence lumineuse très typique de cette saison. Le bourdonnement d’une cétoine passant au ras de mon visage, troublée par mon eau de toilette, me réveilla en sursaut. J’étais bien au bord de la rivière, au pied de l’orme centenaire, confortablement assise entre ces deux énormes racines, mais sans toi ! Bien que je me prénomme Alice, je ne dormais plus et j’étais du mauvais côté du miroir.

         

        Après avoir jeté un regard autour de moi, j’étais bien à l’endroit pénible, celui où la nature était morne, grise, hostile. Et cette sieste me laissait un goût d’inachevé dans la bouche. Je rentrais à l’appartement vide. J’avais trente ans. Je me sentais laide. Mon corps me pesait, et ma démarche était lourde. Qui pouvait me regarder ? Même l’escalier était douloureux. Machinalement je prenais un paquet de biscuits et la bouilloire pour préparer un nescafé. Je tournais avec indifférence la cuillère dans la tasse, les yeux dans le vague, vers la fenêtre entrebâillée. Des nuages roses s’effilochaient comme de la barbe à papa, signe de vent. Suivre le vent, oui, m’envoler légère, vêtue d’une robe vaporeuse de couleur pastel. Dormir encore, je ne pensais qu’à dormir. À la demande, alors qu’auparavant j’avais un mal fou à le faire, je sombrais dans l’assoupissement. Il me semblait que quelque chose d’indéfinissable, d’hypnotique m’attirait. Je ne pouvais qu’obéir. Je glissais très vite dans une torpeur douce et accueillante.

         

        Je m’évadais de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps de cette morne réalité, pour me réfugier au pays imaginaire où je retrouvais avec un plaisir grandissant Olivier, le beau troubadour qui me faisait la cour, qui me faisait rêver. Ce matin je descendis donc au bord de l’eau, et je m’assis lourdement à mon endroit préféré. Pendant un long moment je regardais l’aigrette blanche parcourir de son vol silencieux les berges de la rivière. Ce vol narcotique me berçait. Ma tête se mit à dodeliner et, comme je ne faisais vraiment aucun effort pour lutter contre la torpeur qui m’envahissait, je coulai dans le sommeil.

         

        L’air devient vaporeux et Olivier, mon doux ami, s’assied à mes côtés. Il me regarde attentivement et me sourit gravement. Dieu que tu es jolie ce matin, tu es rayonnante… Il se cale confortablement contre la racine, me prend dans ses bras, son épaule se transforme en un coussin moelleux où ma tête vient d’elle-même trouver instantanément sa place. Tu sais, Alice, me murmura-t-il, il nous faut profiter de ce moment présent, car bientôt la porte de mon monde dont tu as trouvé l’ouverture va bientôt se fermer définitivement, encore un jour ou deux et ce sera fini. Il ne sera à nouveau accessible que dans un lustre, un siècle, qui sait ? Je crois que d’ici là votre civilisation aura disparu.

         

        Je refusais toute invitation de mes amies. Plus rien ne m’intéressait. Petit à petit, les apparitions floues qui me revenaient après mon réveil, s’étaient précisées. Et je compris enfin mon attirance pour le sommeil. Tantôt j’étais une gente dame, avec coiffe et voile bleu. Les sourcils et le haut du front épilés me donnait une grâce et un port de reine. Tu soulevais ma robe de soie violine pour me baiser les pieds. Tantôt j’étais une amazone, galopant devant toi, dans une steppe poussiéreuse, mais toujours aimée, désirée et comblée, belle. Je fus même une infirmière derrière la ligne de front des Ardennes. Mais ce dernier rêve, au bord de la rivière, me laissait interrogative, inquiète. Je me souvenais maintenant parfaitement de tous les détails, de ta voix, de tes paroles, qui avaient sonné comme un glas. Je me défendais, en évoquant mon cartésianisme. Je perdais toute raison, en donnant de l’importance à des chimères. Certes bien agréables, mais que des songes après tout.

        Néanmoins une force magnétique, que je refusais de voir maléfique m’attirait inexorablement. À la fois troublée, effrayée et avide de comprendre, mon seul but devenait de glisser dans cet espace temps mystérieux pour comprendre et te retrouver, car ma vie me semblait si fade, si vide, que je me moquais de la perdre, et à choisir, je voulais bien renoncer à cinquante années de platitude, pour être bercée par tes bras quelques heures. Tu m’avais parlé de dernière fois, de séparation, de disparition du monde actuel.

        Il était quinze heures, qu’importe, je m’allongeais et fermais les yeux, et…

        Le merle chante à tue-tête, d’un ton chaud, si chaud… pourtant il pleut, une petite ondée printanière, si douce, tellement bienfaisante.

        La fenêtre de la chambre est grande ouverte et le jardin est envahi de tous ses verts que seule la pluie peut révéler. Olivier dort à mon côté comme un bienheureux, son visage baigné d’une tranquillité sereine. Il est vrai qu’hier nous étions invités au mariage de notre première petite-fille. À ce repas de noces où nos trois enfants étaient présents, contrairement à mon habitude, j’ai bu, le champagne rosé me semblait un élixir de jouvence. Pendant un instant je suis restée en équilibre entre les deux mondes, celui du rêve et celui du réel, pour finir par décider que ce n’était qu’un horrible cauchemar. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’une partie de ce foutu voyage avait un goût de plénitude magique.

        Je dépose un léger baiser sur les lèvres de mon mari, je me lève d’un bond et je descends dans la véranda exécuter ma séance de yoga quotidienne, laquelle me permet, lorsque je me regarde dans le miroir, de voir une Alice qui a su garder tout au cours de sa vie une taille fine et une souplesse que bien des jeunes filles envieraient. Je sens que ce jour va être une très grande journée. Je suis heureuse.

         

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