BARBEY D’AUREVILLY, Jules – Poésies

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6 sujets de 1 à 6 (sur un total de 6)
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  • #145907
    VictoriaVictoria
    Participant

      BARBEY D’AUREVILLY, Jules – Poésies

      Débouclez-les, vos longs cheveux



      Débouclez-les, vos longs cheveux de soie,
      Passez vos mains sur leurs touffes d’anneaux,
      Qui, réunis, empêchent qu’on ne voie
      Vos longs cils bruns qui font vos yeux si beaux !
      Lissez-les bien, puisque toutes pareilles
      Négligemment deux boucles retombant
      Roulent autour de vos blanches oreilles,
      Comme autrefois, quand vous étiez enfant,
      Quand vos seize ans ne vous avaient quittée
      Pour s’en aller où tous nos ans s’en vont,
      En nous laissant, dans la vie attristée,
      Un coeur usé plus vite que le front !
      Ah ! c’est alors que je vous imagine
      Vous jetant toute aux bras de l’avenir,
      Sans larme aux yeux et rien dans la poitrine…
      Rien qui vous fît pleurer ou souvenir !

      Ah ! de ce temps montrez-moi quelque chose
      En vous coiffant comme alors vous étiez ;
      Que je vous voie ainsi, que je repose
      Sur vos seize ans mes yeux de pleurs mouillés…

      #145908
      VictoriaVictoria
      Participant

        Je vivais sans coeur…


        Je vivais sans coeur, tu vivais sans flamme,
        Incomplets, mais faits pour un sort plus beau ;
        Tu pris de mes sens, – je pris de ton âme,
        Et tous deux ainsi nous nous partageâme :
        Mais c’est toi qui fis le meilleur cadeau !

        Oui ! c’est toi, merci… C’est toi, sainte femme,
        Qui m’as fait sentir le profond amour…
        Je mis de ma nuit dans ta blancheur d’âme,
        Mais toi, dans la mienne, as mis le grand jour !

        Je tombais, tombais… Cet ange fidèle
        Qui suit les coeurs purs ne me suivait pas…
        Pour me soutenir me manquait son aile…
        Mais Dieu m’entr’ouvrit ton coeur et tes bras !

        Et j’aime tes bras… tes bras mieux qu’une aile ;
        Car une aile, hélas ! sert à nous quitter :
        L’ange ailé s’en va, lorsque Dieu l’appelle…
        Tandis que des bras servent à rester !

        #145909
        VictoriaVictoria
        Participant

          Oh! pourquoi voyager ?


          Oh ! pourquoi voyager ? as-tu dit. C’est que l’âme
          Se prend de longs ennuis et partout et toujours ;
          C’est qu’il est un désir, ardent comme une flamme,
          Qui, nos amours éteints, survit à nos amours !
          C’est qu’on est mal ici ! – Comme les hirondelles,
          Un vague instinct d’aller nous dévore à mourir ;
          C’est qu’à nos coeurs, mon Dieu ! vous avez mis des ailes.
          Voilà pourquoi je veux partir !

          C’est que le coeur hennit en pensant aux voyages,
          Plus fort que le coursier qui sellé nous attend ;
          C’est qu’il est dans le nom des plus lointains rivages
          Des charmes sans pareils pour celui qui l’entend ;
          Irrésistible appel, ranz des vaches pour l’âme
          Qui cherche son pays perdu – dans l’avenir ;
          C’est fier comme un clairon, doux comme un chant de femme.
          Voilà pourquoi je veux partir !

          C’est que toi, pauvre enfant, et si jeune et si belle,
          Qui vivais près de nous et couchais sur nos coeurs,
          Tu n’as pas su dompter cette force rebelle
          Qui nous jeta vers toi pour nous pousser ailleurs !
          Tu n’as plus de mystère au fond de ton sourire,
          Nous le connaissons trop pour jamais revenir ;
          La chaîne des baisers se rompt, – l’amour expire…
          Voilà pourquoi je veux partir !

          En vain, tout en pleurant, la femme qui nous aime
          Viendrait à notre épaule agrafer nos manteaux,
          Nous resterions glacés à cet instant suprême ;
          A trop couler pour nous des pleurs ne sont plus beaux.
          Nous n’entendrions plus cette voix qui répète :
          ” Oh ! pourquoi voyager ? ” dans un tendre soupir,
          Et nous dirions adieu sans retourner la tête.
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Oh ! ne m’accuse pas ; accuse la nature,
          Accuse Dieu plutôt, – mais ne m’accuse pas !
          Est-ce ma faute, à moi, si dans la vie obscure
          Mes yeux ont soif de jour, mes pieds ont soif de pas ?
          Si je n’ai pu rester à languir sur ta couche,
          Si tes bras m’étouffaient sans me faire mourir,
          S’il me fallait plus d’air qu’il n’en peut dans ta bouche…
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Pourquoi ne pouvais-tu suffire à ma pensée
          Et tes yeux n’être plus que mes seuls horizons ?
          Pourquoi ne pas cacher ma tête reposée
          Sous les abris d’or pur de tes longs cheveux blonds ?
          Comme la jeune épouse endormie à l’aurore,
          La fleur d’amour, comme elle, au soir va se rouvrir…
          Mais si l’amour n’est plus, pourquoi de l’âme encore ?
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Tu ne la connais pas, cette vie ennuyée,
          Lasse de pendre au mât, avide d’ouragan.
          Toi, tu restes toujours, sur ton coude appuyée,
          A voir stagner la tienne ainsi qu’un bel étang.
          Restes-y ! Mon amour fut l’ombre d’un nuage
          Sur l’étang ; – le soleil y reviendra frémir !
          Tu ne garderas pas trace de mon passage…
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Ô coupe de vermeil où j’ai puisé la vie,
          Je ne t’emporte pas dans mon sein tout glacé !
          Reste derrière moi, reste à demi remplie,
          Offrande à l’avenir et débris du passé.
          Je peux boire à présent, sans que trop il m’en coûte,
          Un breuvage moins doux et moins prompt à tarir,
          Dans le creux de mes mains, aux fossés de la route…
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Mais, si c’est t’offenser que partir, oh ! pardonne ;
          Quoique de ces douleurs dont tu n’eus point ta part,
          Rien, hélas ! (et pourtant autrefois tu fus bonne !)
          Ne saurait racheter le crime du départ.
          Pourquoi t’associerais-je à mon triste voyage ?
          Lorsque tu le pourrais, oserais-tu venir ?
          Plus sombre que Lara, je n’aurai point de page…
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Et qu’importe un pardon ! – Innocent ou coupable,
          On n’est jamais fidèle ou parjure à moitié ;
          Le coeur, sans être dur, demeure inébranlable,
          Et l’oubli lui vaut mieux qu’une vaine pitié.
          Ah ! l’oubli ! quel repos quand notre âme est lassée !
          Endors-toi dans ses bras, sans rêver ni souffrir…
          Je ne veux rien de toi… pas même une pensée !
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Car il est, tu le sais, ô femme abandonnée,
          Un voyageur plus vieux, plus sans pitié que moi,
          Et ce n’est pas un jour, quelques mois, une année,
          Mais c’est tout qu’il doit prendre, aux autres comme à toi !
          Tel que des épis d’or sciés d’un bras avide,
          Il prend beauté, bonheur, et jusqu’au souvenir,
          Fait sa gerbe et s’en va du champ qu’il laisse aride…
          Voilà pourquoi je veux partir !

          Oui ! partir avant lui, partir avant qu’il vienne !
          Te laisser belle encor sous tes pleurs répandus,
          Ne pas chercher ta main qui froidit dans la mienne,
          Et, sous un front terni, tes yeux, astres perdus !
          N’eût-on que le respect de celle qui fut belle
          Il faudrait s’épargner de la voir se flétrir,
          Puisque Dieu ne veut pas qu’elle soit immortelle !
          Voilà pourquoi je veux partir !

          #145910
          VictoriaVictoria
          Participant

            T’en souviens-tu ?


            Te souviens-tu du soir, où près de la fenêtre
            Ouverte d’un salon plein de joyeux ébats,
            Tu n’avais pas seize ans… les avais-tu ?… Peut-être ?
            Sous le rideau tombé, nous nous parlions tout bas ?…
            Ce n’était pas l’amour que t’exprimait ma bouche,
            Mon coeur était trop vieux, trop glacé, trop hautain,
            Pour parler à ton coeur ; mais, prophète farouche,
            Je te prédisais ton destin.

            Et toi, tu m’écoutais, sur la barre accoudée ;
            Tu me montrais ta nuque, en me cachant ton front ;
            Et tu restais muette à la cruelle idée
            De ce premier amour qui, t’ayant possédée,
            Deviendra mon dernier affront !
            Nuit, ciel, jardin, massifs, dehors tout était sombre,
            Et tu regardais dans ce noir.
            Mais ton coeur de seize ans avait encor plus d’ombre,
            Et là, comme dehors, tu ne pouvais rien voir !

            Mais moi, moi, j’y voyais ! mes yeux perçaient le voile
            Qui te cachait ton avenir,
            Et je voyais au loin monter l’affreuse étoile
            De ce premier amour qui pour toi doit venir !
            Je te disais alors : ” Il va bientôt paraître
            Celui-là qui prendra d’autorité vos jours !
            Mais moi qui ne veux pas vous voir subir un maître,
            J’aurai disparu pour toujours ! “

            C’est fait… Je suis sorti maintenant de ta vie
            Sans t’avoir dit l’adieu qu’on se dit quand on part ;
            Silencieusement j’emporte ma folie…
            Pour être aimé de toi, j’étais venu trop tard.
            Tu ne m’as pas trahi. Je n’ai rien à te dire…
            Ce qui fut entre nous, c’est la Fatalité.
            D’aucune illusion tu n’eus sur moi l’empire,
            Sinon celle de ta fierté !

            Te l’avais-je assez exaltée,
            Pour résister à ton futur vainqueur ?
            Ai-je cru te l’avoir plantée
            Assez avant dans ton trop faible coeur ?
            J’avais donc mis trop haut ton âme.
            En toi de la fierté ? non ! pas même d’orgueil !
            Est-ce que tu pouvais être plus qu’une femme ?
            Les bras fermés sur toi sont pour moi ton cercueil.
            Et si, devant mes yeux, un de ces soirs peut-être,
            Tu passes, entraînant tous les coeurs sous tes pas,
            Ne baisse pas les tiens ; – car tu m’as fait connaître
            Ce genre de mépris qui même ne voit pas !…

            #142104
            VictoriaVictoria
            Participant
              #145911
              Augustin BrunaultAugustin Brunault
              Maître des clés

                Les Nénuphars
                À la baronne H. de B.


                Nénuphars blancs, ô lys des eaux limpides,
                Neige montant du fond de leur azur,
                Qui, sommeillant sur vos tiges humides,
                Avez besoin, pour dormir, d’un lit pur ;
                Fleurs de pudeur, oui ! vous êtes trop fières
                Pour vous laisser cueillir… et vivre après.
                Nénuphars blanc, dormez sur vos rivières,
                Je ne vous cueillerai jamais !

                Nénuphars blancs, ô fleurs des eaux rêveuses,
                Si vous rêvez, à quoi donc rêvez-vous ?…
                Car pour rêver il faut être amoureuses,
                Il faut avoir le cœur pris… ou jaloux ;
                Mais vous, ô fleurs que l’eau baigne et protège,
                Pour vous, rêver… c’est aspirer le frais !
                Nénuphars blancs, dormez dans votre neige !
                Je ne vous cueillerai jamais !

                Nénuphars blancs, fleurs des eaux engourdies
                Dont la blancheur fait froid aux cœurs ardents,
                Qui vous plongez dans vos eaux détiédies
                Quand le soleil y luit, Nénuphars blancs !
                Restez cachés aux anses des rivières,
                Dans les brouillards, sous les saules épais…
                Des fleurs de Dieu vous êtes les dernières !
                Je ne vous cueillerai jamais !

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