BAUDELAIRE, Charles – Le Voyage (Extraits)

Accueil Forums Textes BAUDELAIRE, Charles – Le Voyage (Extraits)

2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
  • Auteur
    Messages
  • #142696
    BruissementBruissement
    Participant
      #149832
      BruissementBruissement
      Participant

        BAUDELAIRE, Charles – Le Voyage  (Extraits)





        I
        Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
        L’univers est égal à son vaste appétit.
        Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
        Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

        Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
        Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
        Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
        Berçant notre infini sur le fini des mers :

        Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
        D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
        Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
        La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

        Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
        D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
        La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
        Effacent lentement la marque des baisers.

        Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
        Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
        De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
        Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

        Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
        Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
        De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
        Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !
        …………………………………………………………………                    

        III

        Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
        Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
        Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
        Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

        Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
        Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
        Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
        Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.

        Dites, qu’avez-vous vu ?

        IV

                           « Nous avons vu des astres
        Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
        Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
        Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
        ………………………………………………………………..

        Les plus riches cités, les plus grands paysages,
        Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
        De ceux que le hasard fait avec les nuages,
        Et toujours le désir nous rendait soucieux !

        …………………………………………………………………..

        VII

        Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
        Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
        Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
        Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

        Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
        Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
        Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
        Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

        Comme le Juif errant et comme les apôtres,
        À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
        Pour fuir ce rétiaire infâme ; il en est d’autres
        Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

        Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
        Nous pourrons espérer et crier : En avant !
        De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
        Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

        Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
        Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.
        Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
        Qui chantent : « Par ici ! vous qui voulez manger

        Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange
        Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;
        Venez vous enivrer de la douceur étrange
        De cette après-midi qui n’a jamais de fin ? »

        À l’accent familier nous devinons le spectre ;
        Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
        « Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! »
        Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

        VIII

        Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !
        Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
        Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
        Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

        Verse-nous ton poison pour qu’il nous reconforte !
        Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
        Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
        Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

      2 sujets de 1 à 2 (sur un total de 2)
      • Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.
      Veuillez vous identifier en cliquant ici pour participer à la discution.
      ×