FLORIAN, Jean-Pierre Claris (de) – Fables

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  • #146235
    VictoriaVictoria
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    FLORIAN, Jean-Pierre Claris (de) – Fables

    L’Aveugle et le paralytique



    Aidons-nous mutuellement,
    La charge des malheurs en sera plus légère ;
    Le bien que l’on fait à son frère
    Pour le mal que l’on souffre est un soulagement.
    Confucius l’a dit ; suivons tous sa doctrine.
    Pour la persuader aux peuples de la Chine,
    Il leur contait le trait suivant.

    Dans une ville de l’Asie
    Il existait deux malheureux,
    L’un perclus, l’autre aveugle, et pauvres tous les deux.
    Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie ;
    Mais leurs cris étaient superflus,
    Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
    Couché sur un grabat dans la place publique,
    Souffrait sans être plaint : il en souffrait bien plus.
    L’aveugle, à qui tout pouvait nuire,
    Etait sans guide, sans soutien,
    Sans avoir même un pauvre chien
    Pour l’aimer et pour le conduire.
    Un certain jour, il arriva
    Que l’aveugle à tâtons, au détour d’une rue,
    Près du malade se trouva ;
    Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
    Il n’est tel que les malheureux
    Pour se plaindre les uns les autres.
    ” J’ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres :
    Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
    – Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
    Que je ne puis faire un seul pas ;
    Vous-même vous n’y voyez pas :
    A quoi nous servirait d’unir notre misère ?
    – A quoi ? répond l’aveugle ; écoutez. A nous deux
    Nous possédons le bien à chacun nécessaire :
    J’ai des jambes, et vous des yeux.
    Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide :
    Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
    Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
    Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
    Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
    Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. “

    #146236
    VictoriaVictoria
    Participant

    L’Habit d’Arlequin


    Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraille,
    Où l’on vend des oiseaux, des hommes et des fleurs.
    A mes fables souvent c’est là que je travaille ;
    J’y vois des animaux, et j’observe leurs moeurs.
    Un jour de mardi gras j’étais à la fenêtre
    D’un oiseleur de mes amis,
    Quand sur le quai je vis paraître
    Un petit arlequin leste, bien fait, bien mis,
    Qui, la batte à la main, d’une grâce légère,
    Courait après un masque en habit de bergère.
    Le peuple applaudissait par des ris, par des cris.
    Tout près de moi, dans une cage,
    Trois oiseaux étrangers, de différent plumage,
    Perruche, cardinal, serin,
    Regardaient aussi l’arlequin.
    La perruche disait : ” J’aime peu son visage,
    Mais son charmant habit n’eut jamais son égal.
    Il est d’un si beau vert ! – Vert ! dit le cardinal ;
    Vous n’y voyez donc pas, ma chère ?
    L’habit est rouge assurément :
    Voilà ce qui le rend charmant.
    – Oh ! pour celui-là, mon compère,
    Répondit le serin, vous n’avez pas raison,
    Car l’habit est jaune-citron ;
    Et c’est ce jaune-là qui fait tout son mérite.
    – Il est vert. – Il est jaune. – Il est rouge morbleu ! “
    Interrompt chacun avec feu ;
    Et déjà le trio s’irrite.
    ” Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert ;
    L’habit est jaune, rouge et vert.
    Cela vous surprend fort ; voici tout le mystère :
    Ainsi que bien des gens d’esprit et de savoir,
    Mais qui d’un seul côté regardent une affaire,
    Chacun de vous ne veut y voir
    Que la couleur qui sait lui plaire. “

    #146237
    VictoriaVictoria
    Participant

    La Brebis et le chien


    La brebis et le chien, de tous les temps amis,
    Se racontaient un jour leur vie infortunée.
    Ah ! Disait la brebis, je pleure et je frémis
    Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
    Toi, l’esclave de l’homme, adorant des ingrats,
    Toujours soumis, tendre et fidèle,
    Tu reçois, pour prix de ton zèle,
    Des coups et souvent le trépas.
    Moi, qui tous les ans les habille,
    Qui leur donne du lait, et qui fume leurs champs,
    Je vois chaque matin quelqu’un de ma famille
    Assassiné par ces méchants.
    Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
    Victimes de ces inhumains,
    Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
    Voilà notre destin funeste !
    Il est vrai, dit le chien : mais crois-tu plus heureux
    Les auteurs de notre misère ?
    Va, ma soeur, il vaut encor mieux
    Souffrir le mal que de le faire.

    #146238
    VictoriaVictoria
    Participant

    La Coquette et l’abeille


    Chloé, jeune, jolie, et surtout fort coquette,
    Tous les matins, en se levant,
    Se mettait au travail, j’entends à sa toilette ;
    Et là, souriant, minaudant,
    Elle disait à son cher confident
    Les peines, les plaisirs, les projets de son âme.
    Une abeille étourdie arrive en bourdonnant.
    Au secours ! Au secours ! Crie aussitôt la dame :
    Venez, Lise, Marton, accourez promptement ;
    Chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment
    Aux lèvres de Chloé se pose.
    Chloé s’évanouit, et Marton en fureur
    Saisit l’abeille et se dispose
    A l’écraser. Hélas ! Lui dit avec douceur
    L’insecte malheureux, pardonnez mon erreur ;
    La bouche de Chloé me semblait une rose,
    Et j’ai cru… ce seul mot à Chloé rend ses sens.
    Faisons grâce, dit-elle, à son aveu sincère :
    D’ailleurs sa piqûre est légère ;
    Depuis qu’elle te parle, à peine je la sens.
    Que ne fait-on passer avec un peu d’encens !

    #146239
    VictoriaVictoria
    Participant

    La Guenon, le singe et la noix


    Une jeune guenon cueillit
    Une noix dans sa coque verte ;
    Elle y porte la dent, fait la grimace… ah ! Certe,
    Dit-elle, ma mère mentit
    Quand elle m’assura que les noix étaient bonnes.
    Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
    Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
    Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
    Vite entre deux cailloux la casse,
    L’épluche, la mange, et lui dit :
    Votre mère eut raison, ma mie :
    Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
    Souvenez-vous que, dans la vie,
    Sans un peu de travail on n’a point de plaisir.

    #146240
    VictoriaVictoria
    Participant

    La Jeune poule et le vieux renard


    Une poulette jeune et sans expérience,
    En trottant, cloquetant, grattant,
    Se trouva, je ne sais comment,
    Fort loin du poulailler, berceau de son enfance.
    Elle s’en aperçut qu’il était déjà tard.
    Comme elle y retournait, voici qu’un vieux renard
    A ses yeux troublés se présente.
    La pauvre poulette tremblante
    Recommanda son âme à Dieu.
    Mais le renard, s’approchant d’elle,
    Lui dit : hélas ! Mademoiselle,
    Votre frayeur m’étonne peu ;
    C’est la faute de mes confrères,
    Gens de sac et de corde, infâmes ravisseurs,
    Dont les appétits sanguinaires
    Ont rempli la terre d’horreurs.
    Je ne puis les changer, mais du moins je travaille
    A préserver par mes conseils
    L’innocente et faible volaille
    Des attentats de mes pareils.
    Je ne me trouve heureux qu’en me rendant utile ;
    Et j’allais de ce pas jusques dans votre asile
    Pour avertir vos soeurs qu’il court un mauvais bruit,
    C’est qu’un certain renard méchant autant qu’habile
    Doit vous attaquer cette nuit.
    Je viens veiller pour vous. La crédule innocente
    Vers le poulailler le conduit :
    A peine est-il dans ce réduit,
    Qu’il tue, étrangle, égorge, et sa griffe sanglante
    Entasse les mourants sur la terre étendus,
    Comme fit Diomède au quartier de Rhésus.
    Il croqua tout, grandes, petites,
    Coqs, poulets et chapons ; tout périt sous ses dents.
    La pire espèce de méchants
    Est celle des vieux hypocrites.

    #146241
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Chat et le miroir


    Philosophes hardis, qui passez votre vie
    A vouloir expliquer ce qu’on n’explique pas,
    Daignez écouter, je vous prie,
    Ce trait du plus sage des chats.
    Sur une table de toilette
    Ce chat apperçut un miroir ;
    Il y saute, regarde, et d’abord pense voir
    Un de ses frères qui le guette.
    Notre chat veut le joindre, il se trouve arrêté.
    Surpris, il juge alors la glace transparente,
    Et passe de l’autre côté,
    Ne trouve rien, revient, et le chat se présente.
    Il réfléchit un peu : de peur que l’animal,
    Tandis qu’il fait le tour, ne sorte,
    Sur le haut du miroir il se met à cheval,
    Deux pattes par ici, deux par là ; de la sorte
    Partout il pourra le saisir.
    Alors, croyant bien le tenir,
    Doucement vers la glace il incline la tête,
    Apperçoit une oreille, et puis deux… à l’instant,
    A droite, à gauche il va jetant
    Sa griffe qu’il tient toute prête :
    Mais il perd l’équilibre, il tombe et n’a rien pris.
    Alors, sans davantage attendre,
    Sans chercher plus longtemps ce qu’il ne peut comprendre,
    Il laisse le miroir et retourne aux souris :
    Que m’importe, dit-il, de percer ce mystère ?
    Une chose que notre esprit,
    Après un long travail, n’entend ni ne saisit,
    Ne nous est jamais nécessaire.

    #146242
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Chat et la lunette


    Un chat sauvage et grand chasseur
    S’établit, pour faire bombance,
    Dans le parc d’un jeune seigneur
    Où lapins et perdrix étaient en abondance.
    Là, ce nouveau Nembrod, la nuit comme le jour,
    A la course, à l’affût également habile,
    Poursuivait, attendait, immolait tour-à-tour
    Et quadrupède et volatile.
    Les gardes épiaient l’insolent braconnier ;
    Mais, dans le fort du bois caché près d’un terrier,
    Le drôle trompait leur adresse.
    Cependant il craignait d’être pris à la fin,
    Et se plaignait que la vieillesse
    Lui rendît l’oeil moins sûr, moins fin.
    Ce penser lui causait souvent de la tristesse ;
    Lorsqu’un jour il rencontre un petit tuyau noir
    Garni par ses deux bouts de deux glaces bien nettes :
    C’était une de ces lunettes
    Faites pour l’opéra, que par hasard, un soir,
    Le maître avait perdue en ce lieu solitaire.
    Le chat d’abord la considère,
    La touche de sa griffe, et de l’extrémité
    La fait à petits coups rouler sur le côté,
    Court après, s’en saisit, l’agite, la remue,
    Etonné que rien n’en sortît.
    Il s’avise à la fin d’appliquer à sa vue
    Le verre d’un des bouts, c’était le plus petit.
    Alors il apperçoit sous la verte coudrette
    Un lapin que ses yeux tout seuls ne voyaient pas.
    Ah ! Quel trésor ! Dit-il en serrant sa lunette,
    Et courant au lapin qu’il croit à quatre pas.
    Mais il entend du bruit ; il reprend sa machine,
    S’en sert par l’autre bout, et voit dans le lointain
    Le garde qui vers lui chemine.
    Pressé par la peur, par la faim,
    Il reste un moment incertain,
    Hésite, réfléchit, puis de nouveau regarde :
    Mais toujours le gros bout lui montre loin le garde,
    Et le petit tout près lui fait voir le lapin.
    Croyant avoir le temps, il va manger la bête ;
    Le garde est à vingt pas qui vous l’ajuste au front,
    Lui met deux balles dans la tête,
    Et de sa peau fait un manchon.

    Chacun de nous a sa lunette,
    Qu’il retourne suivant l’objet ;
    On voit là-bas ce qui déplaît,
    On voit ici ce qu’on souhaite.

    #146243
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Chien et le chat


    Un chien vendu par son maître
    Brisa sa chaîne, et revint
    Au logis qui le vit naître.
    Jugez de ce qu’il devint
    Lorsque, pour prix de son zèle,
    Il fut de cette maison
    Reconduit par le bâton
    Vers sa demeure nouvelle.
    Un vieux chat, son compagnon,
    Voyant sa surprise extrême,
    En passant lui dit ce mot :
    Tu croyais donc, pauvre sot,
    Que c’est pour nous qu’on nous aime !

    #146244
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Grillon


    Un pauvre petit grillon
    Caché dans l’herbe fleurie
    Regardait un papillon
    Voltigeant dans la prairie.
    L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
    L’azur, la pourpre et l’or éclataient sur ses ailes ;
    Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,
    Prenant et quittant les plus belles.
    Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
    Sont différents ! Dame nature
    Pour lui fit tout, et pour moi rien.
    je n’ai point de talent, encor moins de figure.
    Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas :
    Autant vaudrait n’exister pas.
    Comme il parlait, dans la prairie
    Arrive une troupe d’enfants :
    Aussitôt les voilà courants
    Après ce papillon dont ils ont tous envie.
    Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper ;
    L’insecte vainement cherche à leur échapper,
    Il devient bientôt leur conquête.
    L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps ;
    Un troisième survient, et le prend par la tête :
    Il ne fallait pas tant d’efforts
    Pour déchirer la pauvre bête.
    Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
    Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
    Combien je vais aimer ma retraite profonde !
    Pour vivre heureux, vivons caché.

    #146245
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Jeune homme et le vieillard


    « De grâce, apprenez-moi comment l’on fait fortune,
    Demandait à son père un jeune ambitieux.
    – Il est, dit le vieillard, un chemin glorieux :
    C’est de se rendre utile à la cause commune,
    De prodiguer ses jours, ses veilles, ses talents,
    Au service de la patrie.
    – Oh ! trop pénible est cette vie ;
    Je veux des moyens moins brillants.
    – Il en est de plus sûrs, l’intrigue… – Elle est trop vile ;
    Sans vice et sans travail je voudrais m’enrichir.
    – Eh bien ! sois un simple imbécile,
    J’en ai vu beaucoup réussir. »

    #146246
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Lierre et le thym


    Que je te plains, petite plante !
    Disait un jour le lierre au thym :
    Toujours ramper, c’est ton destin ;
    Ta tige chétive et tremblante
    Sort à peine de terre, et la mienne dans l’air,
    Unie au chêne altier que chérit Jupiter,
    S’élance avec lui dans la nue.
    Il est vrai, dit le thym, ta hauteur m’est connue ;
    Je ne puis sur ce point disputer avec toi :
    Mais je me soutiens par moi-même ;
    Et, sans cet arbre, appui de ta faiblesse extrême,
    Tu ramperais plus bas que moi.

    Traducteurs, éditeurs, faiseurs de commentaires,
    Qui nous parlez toujours de grec ou de latin
    Dans vos discours préliminaires,
    Retenez ce que dit le thym.

    #146247
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Pacha et le Dervis


    Un Arabe à Marseille autrefois m’ a conté
    qu’ un pacha turc dans sa patrie
    vint porter certain jour un coffret cacheté
    au plus sage dervis qui fût en Arabie.
    Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
    des diamants d’ un très grand prix :
    c’ est un présent que je veux faire
    à l’ homme que tu jugeras
    être le plus fou de la terre.
    Cherche bien, tu le trouveras.
    Muni de son coffret, notre bon solitaire
    s’ en va courir le monde. Avoit-il donc besoin
    d’ aller loin ?
    L’ embarras de choisir étoit sa grande affaire :
    des fous toujours plus fous venoient de toutes parts
    se présenter à ses regards.
    Notre pauvre dépositaire
    pour l’ offrir à chacun saisissoit le coffret :
    mais un pressentiment secret
    lui conseilloit de n’ en rien faire,
    l’ assuroit qu’ il trouveroit mieux.
    Errant ainsi de lieux en lieux,
    embarrassé de son message,
    enfin, après un long voyage,
    notre homme et le coffret arrivent un matin
    dans la ville de Constantin.
    Il trouve tout le peuple en joie :
    que s’ est-il donc passé ? Rien, lui dit un iman ;
    c’ est notre grand visir que le sultan envoie,
    au moyen d’ un lacet de soie,
    porter au prophete un firman.
    Le peuple rit toujours de ces sortes d’ affaires ;
    et, comme ce sont des miseres,
    notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
    -souvent ? -oui. -c’ est fort bien ; votre nouveau
    visir
    est-il nommé ? -sans doute : et le voilà qui passe.
    Le dervis, à ces mots, court, traverse la place,
    arrive, et reconnoît le pacha son ami.
    Bon ! Te voilà ! Dit celui-ci :
    et le coffret ? -seigneur, j’ ai parcouru l’ Asie ;
    j’ ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir :
    aujourd’ hui ma course est finie ;
    daignez l’ accepter, grand visir.

    #146248
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Rhinocéros et le Dromadaire


    Un rhinocéros jeune et fort
    disoit un jour au dromadaire :
    expliquez-moi, s’ il vous plaît, mon cher frere,
    d’ où peut venir pour nous l’ injustice du sort.
    L’ homme, cet animal puissant par son adresse,
    vous recherche avec soin, vous loge, vous chérit,
    de son pain même vous nourrit,
    et croit augmenter sa richesse
    en multipliant votre espece.
    Je sais bien que sur votre dos
    vous portez ses enfants, sa femme, ses fardeaux ;
    que vous êtes léger, doux, sobre, infatigable ;
    j’ en conviens franchement : mais le rhinocéros
    des mêmes vertus est capable.
    Je crois même, soit dit sans vous mettre en courroux,
    que tout l’ avantage est pour nous :
    notre corne et notre cuirasse
    dans les combats pourroient servir ;
    et cependant l’ homme nous chasse,
    nous méprise, nous hait, et nous force à le fuir.
    Ami, répond le dromadaire,
    de notre sort ne soyez point jaloux ;
    c’ est peu de servir l’ homme, il faut encor lui plaire.
    Vous êtes étonné qu’ il nous préfere à vous :
    mais de cette faveur voici tout le mystere,
    nous savons plier les genoux.

    #146249
    VictoriaVictoria
    Participant

    Le Rossignol et le prince


    Un jeune prince, avec son gouverneur,
    Se promenait dans un bocage,
    Et s’ennuyait suivant l’usage ;
    C’est le profit de la grandeur.
    Un rossignol chantait sous le feuillage :
    Le prince l’apperçoit, et le trouve charmant ;
    Et, comme il était prince, il veut dans le moment
    L’attraper et le mettre en cage.
    Mais pour le prendre il fait du bruit,
    Et l’oiseau fuit.
    Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère,
    Le plus aimable des oiseaux
    Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire,
    Tandis que mon palais est rempli de moineaux ?
    C’est, lui dit le mentor, afin de vous instruire
    De ce qu’un jour vous devez éprouver :
    Les sots savent tous se produire ;
    Le mérite se cache, il faut l’aller trouver.

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