GRIMM, Frères – La Gardeuse d’oies

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    GRIMM, Frères – La Gardeuse d'oies.

    Traduit de l'allemand pour litteratureaudio par Jean-Luc Fischer, donneur de voix.

    Il était une fois une vieille reine dont le mari était mort depuis de longues années. Elle avait une jolie fille, qui, en grandissant, fut promise au fils d'un roi. Quand vint le temps du mariage, et qu'elle devait partir pour ce royaume étranger, la vieille reine lui prépara des objets précieux, des parures, de l'or et de l'argent, des gobelets, des bijoux, bref, tout ce qui sied à une dot princière, car elle aimait son enfant de tout son cœur.

    Elle lui donna aussi une camériste qui devait voyager avec elle et la conduire à son fiancé. Chacune reçu un cheval pour le voyage. Celui de la princesse se nommait Falada. Et il savait parler. Lorsque vint le temps des adieux, la mère se rendit dans la chambre de sa fille, et, prenant un petit couteau, se coupa au doigt de façon à tirer un peu de sang. Elle prit un petit mouchoir blanc, y laissa tomber trois gouttes de sang, et donna le mouchoir à sa fille en lui disant :

    « Chère enfant, garde-le précieusement, il te sera bien utile en cours de route. »

    Elles prirent tristement congé l'une de l'autre. La jeune fille glissa le mouchoir dans son corsage, monta en selle et partit pour rejoindre son fiancé.

    Après avoir chevauché pendant une heure, elle eut une grand soif et dit à sa camériste :

    « Descends de cheval, va à ce ruisseau et remplis le gobelet que tu as apporté pour moi. J'ai envie de boire. »

    « Si vous avez soif ,» répondit la camériste,  « descendez vous-même de cheval,  penchez-vous au-dessus de l'eau et buvez. Je n’ai pas envie  d’être votre servante. »

    La princesse, qui avait grand soif, descendit de cheval, se pencha sur le ruisseau et but. Mais elle ne put pas boire dans le gobelet d’or.
     
    « Ah ! mon Dieu, dit-elle. »

    Alors, les trois gouttes de sang répondirent:

    « Il est mieux que ta mère
    Ne sache pas tout cela
    Car son coeur à coup sûr
    Volerait en éclats. »

    Mais la fille du roi était courageuse, ne dit rien et remonta à cheval. Elles chevauchèrent encore quelques lieues. Mais la journée était chaude, le soleil tapait fort. Bientôt, elle eut à nouveau soif.  Arrivant près d'un cours d’eau, elle dit à sa camériste :

    « Descends de cheval et donne-moi à boire dans mon gobelet d'or. »

    Elle avait déjà oublié les méchantes paroles de la camériste depuis longtemps. Mais celle-ci lui répondit avec plus de morgue encore :
     
    « Si vous avez soif, buvez toute seule, Je n’ai point de goût à être votre servante ! »

    La princesse avait soif. Alors, elle descendit de cheval, se pencha pour boire et dit en pleurant :

    « Ah ! Mon Dieu ! »

    Et les trois gouttes de sang dirent à nouveau :

    « Il est mieux que ta mère
    Ne sache pas tout cela
    Car son coeur à coup sûr
    Volerait en éclats. »

    Comme elle buvait, le petit mouchoir avec les trois gouttes de sang glissa hors de son corsage et partit au fil de l’eau. Elle ne s'en aperçût, tant elle avait peur. Mais la camériste, elle, avait tout vu et se réjouissait d'avoir à présent la fiancée à sa merci: car en perdant les gouttes de sang, elle était devenue faible et sans défense.

    Comme elle voulait remonter sur son cheval qui s’appelait Falada, la camériste lui dit :

    « Falada est pour moi à présent, toi, tu auras ma vieille carne ! »
     
    Bon gré mal gré, il fallut bien qu'elle se soumît. Ensuite, la camériste lui ordonna sèchement d’enlever ses habits royaux et de revêtir ses guenilles de servante.
    Et lui fit aussi jurer devant Dieu qu'elle ne dirait rien à âme qui vive à la cour du roi. N’eut-elle pas consenti, qu’elle eût été assassinée sur-le-champ. Mais Falada avait tout vu … et tout retenu.

    La camériste monta donc Falada, la princesse monta la mauvaise carne et elles poursuivirent ainsi jusqu'au château du roi. On s’y réjouit grandement de leur arrivée. Le fils du roi vint à leur rencontre, et aida la camériste à descendre de cheval, pensant qu'elle était sa promise. On la conduisit en haut des escaliers, tandis que la vraie princesse devait rester en bas. A ce moment, le vieux roi, qui regardait par la fenêtre, la vit dans la cour et remarqua combien elle était belle et délicate. Il se rendit aussitôt dans l'appartement royal et demanda à la fausse fiancée qui était cette jeune fille arrivée avec elle et qui se tenait présentement dans la cour.
     
    « Je l'ai rencontrée en chemin et je l'ai emmenée avec moi pour avoir de la compagnie. Donnez, je vous prie, du travail à cette servante, qu'elle ne reste pas oisive. »

    Mais le vieux roi n'avait pas de travail pour elle et ignorant tout lui répondit:

    « J'ai là un jeune garçon qui garde les oies, elle n'aura qu'à l'aider. »

    Ce garçon se nommait Conrad et la vraie fiancée dut l'aider à garder les oies.

    Peu de temps après, la fausse fiancée dit au jeune roi :

    «Cher époux, je vous prie, faites-moi une grâce. »

    « Je la ferai volontiers », répondit-il.

    « Faites venir l'équarisseur pour qu'il coupe la tête du cheval sur lequel je suis arrivée car pendant le voyage, il m'a mise en colère. »

    De fait, elle craignait que le cheval ne racontât son inconduite avec la fille du roi.

    La véritable fiancée l’apprit et quand le moment vint où le fidèle Falada devait mourir, elle promit à l'équarisseur une pièce d'argent en échange d’un petit service. Il y avait dans la ville une grande porte, très sombre, qu'elle passait chaque matin et chaque soir avec ses oies. Elle le pria d'y accrocher la tête de Falada afin qu'elle puisse le voir toujours. Le valet de l’équarisseur promit de le faire. Et en effet, il prit la tête et la cloua solidement au-dessus de la porte.

    Le lendemain, à l’aube, comme elle passait la sombre porte avec Conrad, elle dit à la tête :

     Ô  toi, mon Falada, qui es accroché là… !

    Alors la tête répondit :

    « Ô princesse, ma, princesse,
    Qui passe chaque jour par là
    Il est mieux que ta mère
    Ne sache pas tout cela
    Car son coeur à coup sûr
    Volerait en éclats. »

    Elle sortit de la ville sans en dire davantage et conduisit ses oies au pré.  Quand elle fut arrivée, elle s'assit par terre et défit ses cheveux qui étaient comme de l'or. Conrad la regardait et était heureux. Comme il voulut en prendre un elle dit :

    « Souffle, souffle vent léger,
    Le bonnet de Conrad
    Presse-toi d’emporter !
    Souffle, souffle vent léger
    Et qu’il revienne vers moi
    Quand je serai recoiffée ! »

    Et soudain un vent si fort se leva qu’il emporta le bonnet de Conrad. Il courut à sa poursuite travers la campagne et quand il revint, comme elle avait fini de se recoiffer il ne put plus lui voler un cheveu. Il en fut bien fâché et ne lui parla plus. Ainsi, ils gardèrent les oies jusqu'au soir, puis rentèrent au château.
     
    Le lendemain matin, alors qu’ils passaient sous la sombre porte, la jeune fille dit :

     « Ô ! toi, mon Falada, qui es accroché là…  »
    Et Falada répondit :

    « Ô princesse, ma, princesse,
    Qui passe chaque jour par là
    Il est mieux que ta mère
    Ne sache pas tout cela
    Car son coeur à coup sûr
    Volerait en éclats. »

    Arrivée au pré, elle s'assit de nouveau par terre et commença à défaire ses cheveux. Conrad courut vers elle pour en attraper un. Alors prestement elle dit :

    « Souffle, souffle vent léger,
    Le bonnet de Conrad
    Presse-toi d’emporter !
    Souffle, souffle vent léger
    Et qu’il revienne vers moi
    Quand je serai recoiffée ! »

    Le vent emporta le chapeau de Conrad et quand il revint enfin, elle avait déjà arrangé sa coiffure. Il ne put attraper un seul cheveu. Ainsi, ils gardèrent les oies jusqu'au soir.

    Mais, ce soir-là après avoir regagné le château, Conrad alla voir le vieux roi et lui dit :

    « Je ne veux plus garder les oies avec cette fille. »

    « Et pourquoi cela? », demanda le vieux roi.

    «  Ah ! elle m’ennuie toute la journée. »

    Le vieux roi lui ordonna de raconter tout ce qui s’était passé.

    Conrad  obéit :
    « Le matin, quand nous passons la sombre porte avec le troupeau il y a une tête de cheval accrochée au mur. Elle lui parle, et lui dit : »

    « Ô  toi, mon Falada, qui es accroché là… ! »

    Et la tête répond :

    « Ô princesse, ma, princesse,
    Qui passe chaque jour par là
    Il est mieux que ta mère
    Ne sache pas tout cela
    Car son coeur à coup sûr
    Volerait en éclats. »

    Conrad raconta aussi ce qui se passait ensuite dans le pré aux oies et comment il était obligé chaque jour de courir après son bonnet.

    Le vieux roi lui ordonna de retourner garder les oies le lendemain. Au matin, il se cacha  derrière la sombre porte et entendit comment la jeune fille parlait à la tête de Falada. Il alla ensuite dans les prés et se dissimula derrière un buisson. Il vit la gardeuse et le gardien d'oies amener le troupeau et bientôt,  la jeune fille s'asseoir et défaire ses cheveux qui brillaient comme l’or. Là, elle dit à nouveau :

    « Souffle, souffle vent léger,
    Le bonnet de Conrad
    Presse-toi d’emporter !
    Souffle, souffle vent léger
    Et qu’il revienne vers moi
    Quand je serai recoiffée ! »

    Le vent se leva et Conrad dut courir derrière son bonnet pendant que la servante se recoiffait. Le vieux roi observa tout. Il rentra sans qu'on l’aperçût et, quand la gardeuse d’oie fut revenue le soir, il la fit appeler et lui demanda pourquoi elle agissait ainsi.
     
    « Je ne peux pas vous le dire », répondit-elle, « tout comme je ne peux dire mon malheur à personne au monde, car je l'ai juré devant Dieu pour éviter d’être tuée. »
     
    Le roi voulut l’obliger à parler et ne la laissa pas en repos, mais il ne put rien tirer d’elle.

    Alors il dit :

    « Si tu ne veux rien me dire, va donc raconter tes malheurs au poêle. »
     
    Et il s'en alla.

    La vraie fiancée se traîna jusqu’au poêle, pleura, et, vidant son cœur, dit :

    « Me voici, abandonnée du monde entier, quoique fille de roi. Une méchante camériste m'a forcée à lui donner mes habits royaux. Elle a pris ma place auprès de mon fiancé et m’a contrainte à servir comme gardeuse d'oies. Si ma mère savait cela, à coup sûr, son coeur volerait en éclats. »

    Cependant, le vieux roi qui se tenait dehors près de la cheminée entendit tout. Il revint et l’appela.

    Il ordonna qu’on lui rapportât ses vêtements royaux, elle les mit et soudain, c’était miracle tant elle était belle. Alors, le vieux roi fit appeler son fils et lui expliqua qu'il avait épousé une fausse fiancée, qui n’était en réalité qu’une camériste et qu’enfin la véritable fiancée était la gardeuse d’oies. Le jeune roi en fut rempli de joie en la voyant si belle et si courageuse.

    On prépara un grand repas auquel tous furent priés. Le fiancé était assis en bout de table, avec d’un côté la fille du roi et de l’autre la camériste. Mais celle-ci, éblouie par les bijoux de la princesse ne la reconnut point. Quand ils eurent mangé et bu et que tout le monde fut de bonne humeur, le vieux roi proposa une devinette à la camériste :

    « Que peut valoir une servante qui aurait trompé tout son monde ? »

     Il raconta toute l'histoire et demanda :

    « Quelle peine aurait-t-elle mérité ? »

    La fausse fiancée répondit :

    « Elle ne vaut pas mieux que d'être placée, toute nue, dans un tonneau couvert de clous pointus à l'intérieur, auquel on attèlera deux chevaux blancs qui la tireront de ruelles en ruelles jusqu'à ce qu'elle passe. »

    « Cette servante, c'est toi ! », dit le vieux roi, « et tu as prononcé ta propre sentence:  tu seras traitée ainsi !»
     
    Quand la peine eut été exécutée, le jeune roi épousa sa véritable fiancée et tous deux régnèrent dans la paix et la félicité.

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