MUSSET, Alfred (de) – Poésies, 2

Accueil Forums Textes MUSSET, Alfred (de) – Poésies, 2

15 sujets de 1 à 15 (sur un total de 15)
  • Auteur
    Messages
  • #146256
    VictoriaVictoria
    Participant

      MUSSET, Alfred (de) – Poésies, 2

      Lucie – (Recueil : Poésies nouvelles)

      Élégie


      Mes chers amis, quand je mourrai,
      Plantez un saule au cimetière.
      J’aime son feuillage éploré ;
      La pâleur m’en est douce et chère,
      Et son ombre sera légère
      À la terre où je dormirai.

      Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ;
      Elle penchait la tête, et sur son clavecin
      Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main.
      Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile
      D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux,
      Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux.
      Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques
      Sortaient autour de nous du calice des fleurs.
      Les marronniers du parc et les chênes antiques
      Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs.
      Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte
      Laissait venir à nous les parfums du printemps ;
      Les vents étaient muets, la plaine était déserte ;
      Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans.
      Je regardais Lucie. – Elle était pâle et blonde.
      Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur
      Sondé la profondeur et réfléchi l’azur.
      Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde.
      Mais je croyais l’aimer comme on aime une soeur,
      Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur !
      Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne.
      Je regardais rêver son front triste et charmant,
      Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement,
      Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine,
      Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
      Jeunesse de visage et jeunesse de coeur.
      La lune, se levant dans un ciel sans nuage,
      D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda.
      Elle vit dans mes yeux resplendir son image ;
      Son sourire semblait d’un ange : elle chanta.

      . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
      . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Fille de la douleur, harmonie ! harmonie !
      Langue que pour l’amour inventa le génie !
      Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux !
      Douce langue du coeur, la seule où la pensée,
      Cette vierge craintive et d’une ombre offensée,
      Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux !
      Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire
      Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire,
      Tristes comme son coeur et doux comme sa voix ?
      On surprend un regard, une larme qui coule ;
      Le reste est un mystère ignoré de la foule,
      Comme celui des flots, de la nuit et des bois !

      – Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie.
      L’écho de sa romance en nous semblait frémir.
      Elle appuya sur moi sa tête appesantie.
      Sentais-tu dans ton coeur Desdemona gémir,
      Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée
      Tu laissas tristement mes lèvres se poser,
      Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser.
      Telle je t’embrassai, froide et décolorée,
      Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau ;
      Telle, ô ma chaste fleur ! tu t’es évanouie.
      Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie,
      Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau.

      Doux mystère du toit que l’innocence habite,
      Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant,
      Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend,
      Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite,
      Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ?

      Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire !
      Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire,
      Durant les nuits d’été, ne voltigera plus…

      Mes chers amis, quand je mourrai,
      Plantez un saule au cimetière.
      J’aime son feuillage éploré ;
      La pâleur m’en est douce et chère,
      Et son ombre sera légère
      À la terre où je dormirai.

      #146257
      VictoriaVictoria
      Participant

        A Ninon – (Recueil : Poésies posthumes)


        Avec tout votre esprit, la belle indifférente,
        Avec tous vos grands airs de rigueur nonchalante,
        Qui nous font tant de mal et qui vous vont si bien,
        Il n’en est pas moins vrai que vous n’y pouvez rien.

        Il n’en est pas moins vrai que, sans qu’il y paraisse,
        Vous êtes mon idole et ma seule maîtresse ;
        Qu’on n’en aime pas moins pour devoir se cacher,
        Et que vous ne pouvez, Ninon, m’en empêcher.

        Il n’en est pas moins vrai qu’en dépit de vous-même,
        Quand vous dites un mot vous sentez qu’on vous aime,
        Que, malgré vos mépris, on n’en veut pas guérir,
        Et que d’amour de vous, il est doux de souffrir.

        Il n’en est pas moins vrai que, sitôt qu’on vous touche,
        Vous avez beau nous fuir, sensitive farouche,
        On emporte de vous des éclairs de beauté,
        Et que le tourment même est une volupté.

        Soyez bonne ou maligne, orgueilleuse ou coquette,
        Vous avez beau railler et mépriser l’amour,
        Et, comme un diamant qui change de facette,
        Sous mille aspects divers vous montrer tour à tour ;

        Il n’en est pas moins vrai que je vous remercie,
        Que je me trouve heureux, que je vous appartiens,
        Et que, si vous voulez du reste de ma vie,
        Le mal qui vient de vous vaut mieux que tous les biens.

        Je vous dirai quelqu’un qui sait que je vous aime :
        C’est ma Muse, Ninon ; nous avons nos secrets.
        Ma Muse vous ressemble, ou plutôt, c’est vous-même ;
        Pour que je l’aime encor elle vient sous vos traits.

        La nuit, je vois dans l’ombre une pâle auréole,
        Où flottent doucement les contours d’un beau front ;
        Un rêve m’apparaît qui passe et qui s’envole ;
        Les heureux sont les fous : les poètes le sont.

        J’entoure de mes bras une forme légère ;
        J’écoute à mon chevet murmurer une voix ;
        Un bel ange aux yeux noirs sourit à ma misère ;
        Je regarde le ciel, Ninon, et je vous vois ;

        Ô mon unique amour, cette douleur chérie,
        Ne me l’arrachez pas quand j’en devrais mourir !
        Je me tais devant vous ; – quel mal fait ma folie ?
        Ne me plaignez jamais et laissez-moi souffrir.

        #146258
        VictoriaVictoria
        Participant

          Perdican à Camille – (Théâtre : On ne badine pas avec l’amour)

          « Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres, si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

          #146259
          VictoriaVictoria
          Participant

            Tristesse – (Recueil : Poésies nouvelles)


            J’ai perdu ma force et ma vie,
            Et mes amis et ma gaieté;
            J’ai perdu jusqu’à la fierté
            Qui faisait croire à mon génie.

            Quand j’ai connu la Vérité,
            J’ai cru que c’était une amie ;
            Quand je l’ai comprise et sentie,
            J’en étais déjà dégoûté.

            Et pourtant elle est éternelle,
            Et ceux qui se sont passés d’elle
            Ici-bas ont tout ignoré.

            Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
            Le seul bien qui me reste au monde
            Est d’avoir quelquefois pleuré.

            #146260
            VictoriaVictoria
            Participant

              Une Soirée perdue – (Recueil : Poésies nouvelles)


              J’étais seul, l’autre soir, au Théâtre Français,
              Ou presque seul ; l’auteur n’avait pas grand succès.
              Ce n’était que Molière, et nous savons de reste
              Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste,
              Ignora le bel art de chatouiller l’esprit
              Et de servir à point un dénoûment bien cuit.
              Grâce à Dieu, nos auteurs ont changé de méthode,
              Et nous aimons bien mieux quelque drame à la mode
              Où l’intrigue, enlacée et roulée en feston,
              Tourne comme un rébus autour d’un mirliton.
              J’écoutais cependant cette simple harmonie,
              Et comme le bon sens fait parler le génie.
              J’admirais quel amour pour l’âpre vérité
              Eut cet homme si fier en sa naïveté,
              Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,
              Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde
              Que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer !
              Et je me demandais : Est-ce assez d’admirer ?
              Est-ce assez de venir, un soir, par aventure,
              D’entendre au fond de l’âme un cri de la nature,
              D’essuyer une larme, et de partir ainsi,
              Quoi qu’on fasse d’ailleurs, sans en prendre souci ?
              Enfoncé que j’étais dans cette rêverie,
              Çà et là, toutefois, lorgnant la galerie,
              Je vis que, devant moi, se balançait gaiement
              Sous une tresse noire un cou svelte et charmant ;
              Et, voyant cet ébène enchâssé dans l’ivoire,
              Un vers d’André Chénier chanta dans ma mémoire,
              Un vers presque inconnu, refrain inachevé,
              Frais comme le hasard, moins écrit que rêvé.
              J’osai m’en souvenir, même devant Molière ;
              Sa grande ombre, à coup sûr, ne s’en offensa pas ;
              Et, tout en écoutant, je murmurais tout bas,
              Regardant cette enfant, qui ne s’en doutait guère :
              ” Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
              Se plie, et de la neige effacerait l’éclat.”

              Puis je songeais encore (ainsi va la pensée)
              Que l’antique franchise, à ce point délaissée,
              Avec notre finesse et notre esprit moqueur,
              Ferait croire, après tout, que nous manquons de coeur ;
              Que c’était une triste et honteuse misère
              Que cette solitude à l’entour de Molière,
              Et qu’il est pourtant temps, comme dit la chanson,
              De sortir de ce siècle ou d’en avoir raison ;
              Car à quoi comparer cette scène embourbée,
              Et l’effroyable honte où la muse est tombée ?
              La lâcheté nous bride, et les sots vont disant
              Que, sous ce vieux soleil, tout est fait à présent ;
              Comme si les travers de la famille humaine
              Ne rajeunissaient pas chaque an, chaque semaine.
              Notre siècle a ses moeurs, partant, sa vérité ;
              Celui qui l’ose dire est toujours écouté.

              Ah ! j’oserais parler, si je croyais bien dire,
              J’oserais ramasser le fouet de la satire,
              Et l’habiller de noir, cet homme aux rubans verts,
              Qui se fâchait jadis pour quelques mauvais vers.
              S’il rentrait aujourd’hui dans Paris, la grand’ville,
              Il y trouverait mieux pour émouvoir sa bile
              Qu’une méchante femme et qu’un méchant sonnet ;
              Nous avons autre chose à mettre au cabinet.
              Ô notre maître à tous, si ta tombe est fermée,
              Laisse-moi dans ta cendre, un instant ranimée,
              Trouver une étincelle, et je vais t’imiter !
              J’en aurai fait assez si je puis le tenter.
              Apprends-moi de quel ton, dans ta bouche hardie,
              Parlait la vérité, ta seule passion,
              Et, pour me faire entendre, à défaut du génie,
              J’en aurai le courage et l’indignation !

              Ainsi je caressais une folle chimère.
              Devant moi cependant, à côté de sa mère,
              L’enfant restait toujours, et le cou svelte et blanc
              Sous les longs cheveux noirs se berçait mollement.
              Le spectacle fini, la charmante inconnue
              Se leva. Le beau cou, l’épaule à demi nue,
              Se voilèrent ; la main glissa dans le manchon ;
              Et, lorsque je la vis au seuil de sa maison
              S’enfuir, je m’aperçus que je l’avais suivie.
              Hélas ! mon cher ami, c’est là toute ma vie.
              Pendant que mon esprit cherchait sa volonté,
              Mon corps savait la sienne et suivait la beauté ;
              Et, quand je m’éveillai de cette rêverie,
              Il ne m’en restait plus que l’image chérie :
              ” Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
              Se plie, et de la neige effacerait l’éclat. “

              #146261
              VictoriaVictoria
              Participant

                A Juana – (Recueil : Premières poésies)

                O ciel ! je vous revois, madame,
                De tous les amours de mon âme
                Vous le plus tendre et le premier.
                Vous souvient-il de notre histoire ?
                Moi, j’en ai gardé la mémoire :
                C’était, je crois, l’été dernier.

                Ah ! marquise, quand on y pense,
                Ce temps qu’en folie on dépense,
                Comme il nous échappe et nous fuit !
                Sais-tu bien, ma vieille maîtresse,
                Qu’à l’hiver, sans qu’il y paraisse,
                J’aurai vingt ans, et toi dix-huit ?

                Eh bien ! m’amour, sans flatterie,
                Si ma rose est un peu pâlie,
                Elle a conservé sa beauté.
                Enfant ! jamais tête espagnole
                Ne fut si belle, ni si folle.
                Te souviens-tu de cet été ?

                De nos soirs, de notre querelle ?
                Tu me donnas, je me rappelle,
                Ton collier d’or pour m’apaiser,
                Et pendant trois nuits, que je meure,
                Je m’éveillai tous les quarts d’heure,
                Pour le voir et pour le baiser.

                Et ta duègne, ô duègne damnée !
                Et la diabolique journée
                Où tu pensas faire mourir,
                O ma perle d’Andalousie,
                Ton vieux mari de jalousie,
                Et ton jeune amant de plaisir !

                Ah ! prenez-y garde, marquise,
                Cet amour-là, quoi qu’on en dise,
                Se retrouvera quelque jour.
                Quand un coeur vous a contenue,
                Juana, la place est devenue
                Trop vaste pour un autre amour.

                Mais que dis-je ? ainsi va le monde.
                Comment lutterais-je avec l’onde
                Dont les flots ne reculent pas ?
                Ferme tes yeux, tes bras, ton âme ;
                Adieu, ma vie, adieu, madame,
                Ainsi va le monde ici-bas.

                Le temps emporte sur son aile
                Et le printemps et l’hirondelle,
                Et la vie et les jours perdus ;
                Tout s’en va comme la fumée,
                L’espérance et la renommée,
                Et moi qui vous ai tant aimée,
                Et toi qui ne t’en souviens plus !

                #146262
                VictoriaVictoria
                Participant

                  A une fleur – (Recueil : Poésies nouvelles)


                  Que me veux-tu, chère fleurette,
                  Aimable et charmant souvenir ?
                  Demi-morte et demi-coquette,
                  Jusqu’à moi qui te fait venir ?

                  Sous ce cachet enveloppée,
                  Tu viens de faire un long chemin.
                  Qu’as-tu vu ? que t’a dit la main
                  Qui sur le buisson t’a coupée ?

                  N’es-tu qu’une herbe desséchée
                  Qui vient achever de mourir ?
                  Ou ton sein, prêt à refleurir,
                  Renferme-t-il une pensée ?

                  Ta fleur, hélas ! a la blancheur
                  De la désolante innocence ;
                  Mais de la craintive espérance
                  Ta feuille porte la couleur.

                  As-tu pour moi quelque message ?
                  Tu peux parler, je suis discret.
                  Ta verdure est-elle un secret ?
                  Ton parfum est-il un langage ?

                  S’il en est ainsi, parle bas,
                  Mystérieuse messagère ;
                  S’il n’en est rien, ne réponds pas ;
                  Dors sur mon coeur, fraîche et légère.

                  Je connais trop bien cette main,
                  Pleine de grâce et de caprice,
                  Qui d’un brin de fil souple et fin
                  A noué ton pâle calice.

                  Cette main-là, petite fleur,
                  Ni Phidias ni Praxitèle
                  N’en auraient pu trouver la soeur
                  Qu’en prenant Vénus pour modèle.

                  Elle est blanche, elle est douce et belle,
                  Franche, dit-on, et plus encor ;
                  A qui saurait s’emparer d’elle
                  Elle peut ouvrir un trésor.

                  Mais elle est sage, elle est sévère ;
                  Quelque mal pourrait m’arriver.
                  Fleurette, craignons sa colère.
                  Ne dis rien, laisse-moi rêver.

                  #146263
                  VictoriaVictoria
                  Participant

                    Chanson de Fortunio – (Recueil : Poésies nouvelles)


                    Si vous croyez que je vais dire
                    Qui j’ose aimer,
                    Je ne saurais, pour un empire,
                    Vous la nommer.

                    Nous allons chanter à la ronde,
                    Si vous voulez,
                    Que je l’adore et qu’elle est blonde
                    Comme les blés.

                    Je fais ce que sa fantaisie
                    Veut m’ordonner,
                    Et je puis, s’il lui faut ma vie,
                    La lui donner.

                    Du mal qu’une amour ignorée
                    Nous fait souffrir,
                    J’en porte l’âme déchirée
                    Jusqu’à mourir.

                    Mais j’aime trop pour que je die
                    Qui j’ose aimer,
                    Et je veux mourir pour ma mie
                    Sans la nommer.

                    #146264
                    VictoriaVictoria
                    Participant

                      Chanson : J’ai dit à mon cœur… – (Recueil : Premières poésies)


                      J’ai dit à mon coeur, à mon faible coeur :
                      N’est-ce point assez d’aimer sa maîtresse ?
                      Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
                      C’est perdre en désirs le temps du bonheur ?

                      Il m’a répondu : Ce n’est point assez,
                      Ce n’est point assez d’aimer sa maîtresse ;
                      Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
                      Nous rend doux et chers les plaisirs passés ?

                      J’ai dit à mon coeur, à mon faible coeur :
                      N’est-ce point assez de tant de tristesse ?
                      Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
                      C’est à chaque pas trouver la douleur ?

                      Il m’a répondu : Ce n’est point assez
                      Ce n’est point assez de tant de tristesse ;
                      Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
                      Nous rend doux et chers les chagrins passés ?

                      #146265
                      VictoriaVictoria
                      Participant

                        Marie – (Recueil : Poésies nouvelles)
                        Sonnet


                        Ainsi, quand la fleur printanière
                        Dans les bois va s’épanouir,
                        Au premier souffle du zéphyr
                        Elle sourit avec mystère ;

                        Et sa tige fraîche et légère,
                        Sentant son calice s’ouvrir,
                        Jusque dans le sein de la terre
                        Frémit de joie et de désir.

                        Ainsi, quand ma douce Marie
                        Entr’ouvre sa lèvre chérie,
                        Et lève, en chantant, ses yeux bleus,

                        Dans l’harmonie et la lumière
                        Son âme semble tout entière
                        Monter en tremblant vers les cieux.

                        #146266
                        VictoriaVictoria
                        Participant

                          Venise – (Recueil : Premières poésies)


                          Dans Venise la rouge,
                          Pas un bateau qui bouge,
                          Pas un pêcheur dans l’eau,
                          Pas un falot.

                          Seul, assis à la grève,
                          Le grand lion soulève,
                          Sur l’horizon serein,
                          Son pied d’airain.

                          Autour de lui, par groupes,
                          Navires et chaloupes,
                          Pareils à des hérons
                          Couchés en ronds,

                          Dorment sur l’eau qui fume,
                          Et croisent dans la brume,
                          En légers tourbillons,
                          Leurs pavillons.

                          La lune qui s’efface
                          Couvre son front qui passe
                          D’un nuage étoilé
                          Demi-voilé.

                          Ainsi, la dame abbesse
                          De Sainte-Croix rabaisse
                          Sa cape aux larges plis
                          Sur son surplis.

                          Et les palais antiques,
                          Et les graves portiques,
                          Et les blancs escaliers
                          Des chevaliers,

                          Et les ponts, et les rues,
                          Et les mornes statues,
                          Et le golfe mouvant
                          Qui tremble au vent,

                          Tout se tait, fors les gardes
                          Aux longues hallebardes,
                          Qui veillent aux créneaux
                          Des arsenaux.

                          Ah ! maintenant plus d’une
                          Attend, au clair de lune,
                          Quelque jeune muguet,
                          L’oreille au guet.

                          Pour le bal qu’on prépare,
                          Plus d’une qui se pare,
                          Met devant son miroir
                          Le masque noir.

                          Sur sa couche embaumée,
                          La Vanina pâmée
                          Presse encor son amant,
                          En s’endormant ;

                          Et Narcissa, la folle,
                          Au fond de sa gondole,
                          S’oublie en un festin
                          Jusqu’au matin.

                          Et qui, dans l’Italie,
                          N’a son grain de folie ?
                          Qui ne garde aux amours
                          Ses plus beaux jours ?

                          Laissons la vieille horloge,
                          Au palais du vieux doge,
                          Lui compter de ses nuits
                          Les longs ennuis.

                          Comptons plutôt, ma belle,
                          Sur ta bouche rebelle
                          Tant de baisers donnés…
                          Ou pardonnés.

                          Comptons plutôt tes charmes,
                          Comptons les douces larmes,
                          Qu’à nos yeux a coûté
                          La volupté !

                          #146267
                          VictoriaVictoria
                          Participant

                            Chanson de Barberine – (Recueil : Poésies nouvelles)


                            Beau chevalier qui partez pour la guerre,
                            Qu’allez-vous faire
                            Si loin d’ici ?
                            Voyez-vous pas que la nuit est profonde,
                            Et que le monde
                            N’est que souci ?

                            Vous qui croyez qu’une amour délaissée
                            De la pensée
                            S’enfuit ainsi,
                            Hélas ! hélas ! chercheurs de renommée,
                            Votre fumée
                            S’envole aussi.

                            Beau chevalier qui partez pour la guerre,
                            Qu’allez-vous faire
                            Si loin de nous ?
                            J’en vais pleurer, moi qui me laissais dire
                            Que mon sourire
                            Etait si doux.

                            #146268
                            VictoriaVictoria
                            Participant

                              Sonnet : Se voir le plus possible… – (Recueil : Poésies nouvelles)


                              Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
                              Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
                              Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge,
                              Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;

                              Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge,
                              Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
                              Et dans cette clarté respirer librement -
                              Ainsi respirait Laure et chantait son amant.

                              Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
                              Cest vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci,
                              C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi.

                              Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
                              Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
                              Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.

                              #142148
                              VictoriaVictoria
                              Participant
                                #146269
                                VictoriaVictoria
                                Participant

                                  Jamais – (Recueil : Poésies nouvelles)


                                  Jamais, avez-vous dit, tandis qu’autour de nous
                                  Résonnait de Schubert la plaintive musique ;
                                  Jamais, avez-vous dit, tandis que, malgré vous,
                                  Brillait de vos grands yeux l’azur mélancolique.

                                  Jamais, répétiez-vous, pâle et d’un air si doux
                                  Qu’on eût cru voir sourire une médaille antique.
                                  Mais des trésors secrets l’instinct fier et pudique
                                  Vous couvrit de rougeur, comme un voile jaloux.

                                  Quel mot vous prononcez, marquise, et quel dommage !
                                  Hélas ! je ne voyais ni ce charmant visage,
                                  Ni ce divin sourire, en vous parlant d’aimer.

                                  Vos yeux bleus sont moins doux que votre âme n’est belle.
                                  Même en les regardant, je ne regrettais qu’elle,
                                  Et de voir dans sa fleur un tel coeur se fermer.

                                15 sujets de 1 à 15 (sur un total de 15)
                                • Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.
                                Veuillez vous identifier en cliquant ici pour participer à la discution.
                                ×