Six minutes dix-neuf [Validé]

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    ChristinaChristina
    Participant

      Bonjour,
      Est-ce que cela vous plairait que je partage ce petit texte ?
      Merci d’avance pour votre réponse et belle semaine à toutes et à tous.
      Christina

      Six minutes dix-neuf
      Les enfants sont « casés » depuis peu.
      À nous les jolis matins, thé et café au lit.
      Les discussions passionnées sur tes tableaux, sur mes écrits.
      Les soirées studieuses à écrire, lire ou visionner des documentaires.
      Principalement sur l’art. Nous venons de finir de regarder les cinquante et quelques émissions de la série « Palettes » sur la peinture. Magnifique série au demeurant. Tu aimes peindre. J’ai toujours aimé bouger. Depuis que nous vivons ensemble, tu n’avais jamais vraiment réalisé – je ne te l’ai jamais vraiment dit – à quel point j’aime les voyages. Mariée, j’ai fait une croix dessus. Au début, nous étions trop occupés, ensuite nous n’avions plus les moyens. Parfois, j’avais un serrement de cœur en y pensant et puis je suis passée à autre chose. D’ailleurs, j’avais déjà beaucoup reçu et je ne me sentais pas particulièrement frustrée.
      Pourtant, le virus était, malgré tout bien présent. Je m’en suis rendu compte quand tu as proposé que nous allions voir sur place, à l’occasion, les chefs-d’œuvre que nous venions d’admirer sur notre petit écran. Je me suis levée comme un seul homme, prête à partir à la découverte !
      Par quoi commencer ? Il faut d’abord que ce soit accessible. Pour apporter notre quote-part à la conscience écologique planétaire, nous refusons de prendre l’avion. Encore plus depuis qu’il est possible de polluer pour moins de cent francs suisses l’aller-retour. Nous prendrons donc le train. Vers quel musée ? On dit que le musée Van Gogh a été rénové, qu’il vient de rouvrir. Ce sera donc Amsterdam. Top-là, je retiens, via Internet, un compartiment avec deux couchettes. Un nid d’amour roulant, quelle aubaine ! Puis je nous trouve un autre nid d’amour, statique celui-là, dans l’un des plus jolis quartiers de la ville. Ne reste plus qu’à patienter. Puis à faire les bagages.
      À la dernière minute, je flanche. Laisser mes « bébés » tout seuls ? Et s’il nous arrivait quelque chose ? Ils sont si jeunes encore à presque dix-huit et vingt ans. Allons, allons, ma fille, un peu de courage. À leur âge tu étais partie depuis longtemps. Tu ne vas pas te dégonfler maintenant ! Dans ma tête passe en boucle cette magnifique chanson du grand Jacques Brel : ♬♩Je ne sais pas à quelle heure part ce triste train pour Amsterdam, qu’un couple doit prendre ce soir, un couple dont tu es la femme…♬♪♩ Moi, je sais à quelle heure il part ce train, je sais qu’il n’est pas triste et je sais que je suis la femme de ce couple qui part, et que mon mari c’est toi, que j’aime depuis vingt ans bientôt. Dimanche, nous célébrons nos dix-huit ans de mariage. Lundi soir nous partons pour ce nouveau voyage de noces.
      La température est douce ce lundi en gare de Bâle. Prudence oblige, j’ai pris une marge d’une heure avant notre départ. Le train qui précède le nôtre est encore à quai. Il va partir pour Prague. Prague ? Je rêve. Quels sont les musées intéressants à Prague ? Enfin, notre train arrive. Et la couchette est là. Draps blancs, couette immaculée, oreillers moelleux, cabinet de toilette avec ses gobelets d’eau potable pour se rincer la bouche. J’inspecte tout, comme une gamine à la découverte de sa maison de poupée. Tu prendras la couchette du bas.
      Je t’ai raconté longuement mes souvenirs de jeunesse. Parlé de ces trains que j’ai pris, quand je jouais à la Madone des sleepings. J’ai évoqué les arrêts dans les gares au milieu de la nuit, les pschitts des jets de vapeur mystérieusement soufflés de dessous les wagons, les pas rapides des mécanos sur le quai, la magie des lumières jaunes et tamisées, le bruit sourd des annonces en langages exotiques. Je t’ai parlé de tout cela et de bien plus encore, et tu as eu envie d’en goûter le plaisir. Au petit matin, sans avoir trop dormi, je me réveille en forme, magie des voyages… On nous apporte un copieux petit déjeuner que nous savourons tout en traversant la Hollande. Notre logis est proche de la gare. Ce matin, nous nous contenterons d’y poser nos affaires puis nous irons flâner dans un marché aux puces que nous avons repéré sur la carte, à quelques kilomètres de là.
      Aujourd’hui, il pleut des chats et des chiens, comme disent les Anglais, mais nous ne craignons rien, nous avons nos pèlerines. Celles-là mêmes qui nous font ressembler à deux pingouins colorés, mais qui ont l’énorme avantage de pouvoir se porter par-dessus un sac à dos. Oh, regarde ! Il y a même des baraques à frites, comme en Belgique où j’ai passé une partie de mon enfance. Quelle merveille ! En fait, les frites ne sont pas si bonnes, malgré la louche de mayonnaise qui déborde du cornet en papier ; tant pis, j’ai trop faim, je dévore. Après ce repas nostalgie, nous nous nettoyons les doigts tant bien que mal, puis tu poses les tiens sur la sarbacane de tes rêves que tu viens de découvrir une tente plus loin, et avec laquelle nous repartirons. Moi, ce sont des chaussettes que je vais m’offrir ; je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse si froid. Puis il est temps de rejoindre notre gîte afin de prendre possession des lieux. Nous finissons notre parcours, passons dessus un petit pont et, de l’autre côté, sommes accostés par deux charmantes damoiselles, caméra au poing.
      Elles nous expliquent, dans un anglais fort correct, que notre accoutrement les a fascinées ; qu’elles sont étudiantes à la Film Academie d’Amsterdam et que leur devoir d’aujourd’hui consiste à interroger un couple – chaque époux séparément – sur l’histoire de sa rencontre. Comment refuser ? Nous nous réfugions au sec, dans un Pub de l’autre côté de la rue. Très vite nous le transformons en confessionnal, intime et familier, à travers l’évocation des circonstances quasi-miraculeuses de notre rencontre. Oui, nous étions des miraculés, des survivants, et nous avions l’avantage d’en être conscients. Nous avons savouré chaque minute, chaque seconde de cette nouvelle vie inespérée. Et aujourd’hui nous dressons joyeusement un bilan positif. Dix-huit années passées à élever nos enfants, pendant lesquelles nous avons appris à vivre heureux, et affermi l’équilibre de notre couple. Désormais nous envisageons sereinement un avenir studieux et créatif tout en nous préparant à suivre, un jour lointain, la camarde en son paradis. Avant de les quitter, nous remercions chaleureusement nos nouvelles amies de nous avoir permis de revivre à voix haute le chemin parcouru.
      Nous sommes rentrés chez nous samedi matin. Nous avons reçu, via Internet, le film, découpé, monté, terminé, samedi après-midi. Un cadeau magnifique. Tout en teintes pastel, finement ciselé, délicatement ourlé. Pas une minute de trop parmi les six minutes dix-neuf d’émotions. Deux amoureux qui se racontent, se redécouvrent, puis s’éloignent sous la pluie, lumineux, main dans la main, vers de nouvelles aventures.

      (Octobre 2013)

      #335823
      Pauline PuccianoPauline Pucciano
      Maître des clés

        O

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